Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2018, le préfet de la Marne demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 26 novembre 2018 en tant qu'il annule la décision de transfert ;
2°) de rejeter la demande de MmeB....
Il soutient que :
- l'état de santé de Mme B...ne s'oppose pas à son transfert vers l'Espagne qui est en mesure d'assurer son suivi médical ;
- Mme B...a reçu l'information prévue par l'article 4 du règlement du 26 juin 2014 ;
- elle a bénéficié d'un entretien en application de l'article 5 du règlement du 26 juin 2014 ;
- il a pris en compte les éléments portés à sa connaissance pour apprécier s'il y avait lieu de mettre en oeuvre les clauses discrétionnaires.
Par un mémoire, enregistré le 15 février 2019, Mme A...B..., représentée par Me Dollé, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête a perdu son objet dès lors que le préfet l'a autorisée à déposer une demande d'asile en procédure prioritaire ;
- le préfet n'établit pas que son état de vulnérabilité a été pris en compte et qu'elle sera soignée en Espagne ; en outre le préfet soutient que le transfert sera exécuté après son accouchement, soit au-delà du délai de six mois qui court à compter du 26 novembre 2018 ; son état de santé justifie la responsabilité de la France pour examiner sa demande d'asile en vertu de l'article 17 du règlement 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle n'a pas bénéficié de l'entretien individuel prévu à l'article 5 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- la décision de transfert est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne permet pas d'identifier le critère retenu.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré, enregistrée le 3 mai 2019, a été présentée par le préfet de la Marne.
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., de nationalité ivoirienne, née en 1995, est entrée en France, selon ses déclarations, le 10 mai 2018. Elle s'est présentée à la préfecture de la Moselle en vue de déposer une demande d'asile le 27 juillet 2018. Le relevé de ses empreintes digitales a fait apparaître, après leur transmission au système Eurodac, qu'elles avaient été enregistrées en Espagne les 6 et 21 mars 2018. Les autorités espagnoles, saisies le 1er août 2018 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013, ont explicitement accepté le transfert de l'intéressée le 7 août 2018. Par un arrêté du 22 novembre 2018, le préfet de la Marne a ordonné sa remise aux autorités espagnoles et, par un second arrêté du même jour, son assignation à résidence pour une durée de six mois. Par un jugement du 26 novembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé ces arrêtés. Le préfet de la Marne demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé la décision de transfert.
Sur l'exception de non lieu à statuer opposée par MmeB... :
2. Mme B...soutient que la requête d'appel a perdu son objet dès lors que le préfet de la Marne lui a délivré le 8 février 2019, une attestation de demande d'asile et l'a informée que sa demande serait transmise à l'Office français de protection des apatrides et des réfugiés dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, la décision de transfert ayant été annulée par le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 26 novembre 2018, la délivrance de cette attestation de demande d'asile ne saurait être regardée comme rapportant implicitement mais nécessairement cette mesure d'éloignement qui a, compte tenu de son annulation contentieuse, disparu de l'ordonnancement juridique. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer doit être écartée.
Sur le moyen d'annulation retenu le premier juge :
3. Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement / (...) ; L'état membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ".
4. Dans son arrêt n° C-578/16 PPU du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que " L'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que : (...) - dans des circonstances dans lesquelles le transfert d'un demandeur d'asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de l'état de santé de l'intéressé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens dudit article ; - il incombe aux autorités de l'État membre devant procéder au transfert et, le cas échéant, à ses juridictions, d'éliminer tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur l'état de santé de l'intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l'état de santé de cette personne. (...) - le cas échéant, s'il s'apercevait que l'état de santé du demandeur d'asile concerné ne devrait pas s'améliorer à court terme, ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquerait d'aggraver l'état de l'intéressé, l'État membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande de celui-ci en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013 ".
5. Il ressort des pièces du dossier, notamment de certificats médicaux du 7 août 2018, du 30 octobre 2018 et du 9 janvier 2019, que Mme B...est atteinte du VIH, lequel a été diagnostiqué lors de son arrivée en France en mai 2018 et qu'elle est traitée, compte tenu de sa grossesse, par trithérapie antirétrovirale depuis le 31 mai 2018. Selon un certificat médical du 17 janvier 2019, elle n'a bénéficié d'aucun traitement antirétroviral avant son arrivée en France. Selon le certificat médical du 9 janvier 2019, qui est de nature à établir une situation de fait existante à la date de la décision en litige, l'interruption du traitement pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour MmeB.... Le préfet de la Marne a d'ailleurs été informé par l'intéressée de son état de santé par un courrier du 21 novembre 2018. S'il ressort des pièces du dossier que les autorités espagnoles ont été saisies d'une demande de reprise en charge de MmeB..., le 1er août 2018, à laquelle ils ont répondu dès le 7 août suivant, le préfet de la Marne n'établit pas qu'elles ont été informées de l'état de santé de l'intéressée et qu'elles l'auraient assuré de la possibilité pour l'intéressée de poursuivre son traitement à la suite de son transfert. Les documents généraux produits par le préfet, dont il ressort que les migrants ne sont pas assurés de bénéficier des traitements adaptés contre le VIH, ne permettent pas d'écarter tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur la santé de l'intéressée. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, le préfet de la Marne a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de retenir la compétence de la France pour examiner la demande de Mme B... en application des dispositions de l'article 17 du règlement n° 603/2014 du 26 juin 2013.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné a annulé l'arrêté de transfert.
Sur les frais de l'instance :
7. Mme B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Dollé, avocat de MmeB..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dollé de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de la Marne est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Dollé une somme de 1 500 (mille-cinq-cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Dollé renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Marne.
N° 18NC03434 2