Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 juillet 2015, M. A...C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 9 juin 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Aube du 3 février 2015 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Aube de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à Me B...sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- la préfète n'a pas procédé à l'examen de sa situation personnelle ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît encore les dispositions de la circulaire du ministère de l'intérieur du 28 novembre 2012, qui n'est d'ailleurs pas visée ;
- elle méconnaît enfin les dispositions de l'article L. 313-14 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la préfète a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2015, la préfète de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- le requérant aurait pu bénéficier du regroupement familial mais n'en a pas fait la demande ;
- aucun des autres moyens soulevés n'est fondé.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 26 novembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Fuchs a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.C..., ressortissant arménien né le 30 novembre 1986, est entré irrégulièrement en France le 23 décembre 2012, selon ses déclarations ; que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile, introduite le 7 janvier 2013, par une décision du 30 juillet 2013, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 12 mai 2014 ; que consécutivement à l'annulation par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de deux premières obligations de quitter le territoire français, en date des 27 juin 2014 et 25 juillet 2014, la préfète de l'Aube a réexaminé la situation de M. C...et, par l'arrêté contesté du 5 février 2015, a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné ; que le requérant relève appel du jugement du 9 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales susvisée : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : [...] 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus " ;
3. Considérant qu'en application des dispositions et stipulations précitées, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise ; que la circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé ; que cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure ;
4. Considérant qu'il est constant que M. C...s'est marié le 9 août 2012 en Arménie avec Mme A., qui réside en France depuis l'âge de 16 ans et qui disposait, à la date de la décision en litige, d'un titre de séjour en cours de validité ; que sa présence sur le territoire est attestée depuis le début du mois de janvier 2013, de même que la vie commune qu'il mène avec son épouse dans un logement dont ils sont propriétaires ; qu'ainsi, compte tenu de l'intensité et de la stabilité de la relation entretenue par M. C...avec son épouse, présente depuis plusieurs années sur le territoire français, la décision en litige, au regard des buts qu'elle poursuit, a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, nonobstant la circonstance selon laquelle le requérant, qui aurait pu prétendre au bénéfice du regroupement familial, n'a pas respecté cette procédure ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées doit donc être accueilli ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Considérant qu'eu égard aux motifs précités de l'annulation de la décision en litige, il y a lieu d'enjoindre à la préfère de l'Aube de délivrer à M. C...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, à verser à Me B...sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat :
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 9 juin 2015 et la décision de la préfète de l'Aube du 3 février 2015 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de l'Aube de délivrer à M. C...une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me B...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Aube.
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N° 15NC01530