Par une requête enregistrée le 31 janvier 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 29 décembre 2017 et de rejeter les demandes présentées par M. C...et MmeB....
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'un refus de séjour porte atteinte au droit de M. C...et de Mme B...à une vie privée et familiale normale ;
- les autres moyens que ces derniers ont soulevés en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2018, M. D...C...et Mme A...B..., représentés par Me Lévy-Cyferman, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat et versée à leur conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les refus de séjour litigieux ont porté une atteinte disproportionnée à leur droit de mener une vie privée et familiale normale.
M. C...et Mme B...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 17 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- et les observations de M.C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C...et MmeB..., ressortissants arméniens nés respectivement le 20 juillet 1986 et le 14 novembre 1985, déclarent être entrés en France le 1er mai 2012 pour y solliciter le statut de réfugié. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par deux décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 30 septembre 2013, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 31 mars 2015. Par deux arrêtés du 4 mai 2015, le préfet de Meurthe-et-Moselle leur a, en conséquence, refusé le droit au séjour en leur faisant obligation de quitter le territoire français à destination de leur pays d'origine. M. C...et Mme B...ont saisi le préfet, le 8 février 2017, d'une nouvelle demande de titre de séjour en faisant état de leur situation personnelle et familiale sur le territoire français. Le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté cette demande de titre de séjour par deux arrêtés du 4 juillet 2017 qui, en outre, les obligent à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixent le pays à destination duquel ils pourraient être renvoyés en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement. Le préfet de Meurthe-et-Moselle fait appel du jugement du 29 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé ces arrêtés.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
2. Le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit (...) A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. C...et Mme B...sont entrés sur le territoire français le 1er mai 2012, plus de cinq ans avant les décisions contestées. M.C..., qui fait partie de l'orchestre philarmonique de Thionville en qualité de clarinettiste, et Mme B..., qui a obtenu un certificat de compétences de citoyen de sécurité civile en prévention et secours en 2013, suit une formation d'esthéticienne et dispose d'une promesse d'embauche, justifient suffisamment de leur insertion sociale. Ils produisent plusieurs attestations émanant d'associations et de particuliers dont il ressort qu'ils ont suivi des cours de français de façon assidue et noué de nombreux liens amicaux sur le territoire français. Il n'est pas démontré qu'ils auraient conservé des attaches dans leur pays d'origine, alors que M. C... produit en appel le certificat de décès de son père. Leurs deux enfants sont nés en France, respectivement, les 3 novembre 2012 et 18 avril 2014, y sont scolarisés en section maternelle et ne présentent aucune attache avec le pays d'origine de leurs parents. Dans les conditions très particulières de l'espèce, eu égard notamment à la durée du séjour des intéressés en France et à leur insertion particulière, les décisions leur refusant le droit au séjour ont porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elles ont été prises. Le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est, par suite, pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a annulé ses arrêtés du 4 juillet 2017 au motif qu'il avait méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé ses arrêtés du 4 juillet 2017 refusant à M. C...et Mme B...la délivrance d'un titre de séjour et les obligeant à quitter le territoire français à destination de l'Arménie.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
5. M. C...et Mme B...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Leur avocat peut donc se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lévy-Cyferman, avocate de M. C...et de MmeB..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Lévy-Cyferman.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de Meurthe-et-Moselle est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Lévy-Cyferman, avocate de M. C...et de Mme B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Lévy-Cyferman renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...C..., à Mme A...B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 18NC00266