Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 juillet 2018, le préfet du Doubs, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon du 2 juillet 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. C...devant le tribunal administratif de Besançon.
Il soutient que :
- le jugement, qui ne vise pas l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'est pas suffisamment motivé ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que le délai de trois mois prévu à de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 a commencé à courir à compter de l'enregistrement de la demande de M. C...à la plate-forme d'accueil des demandeurs d'asile de Besançon ;
- c'est à tort que le tribunal lui a enjoint de délivrer à M. C...une attestation de demande d'asile lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2018, M. A...C..., représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'enjoindre au préfet du Doubs de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros, à verser à son conseil, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le préfet n'est fondé.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Haudier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant ivoirien né en 1982, indique être entré irrégulièrement en France au mois de septembre 2017 afin d'y solliciter l'asile. Après avoir constaté que les empreintes de l'intéressé avaient été relevées en Espagne, le préfet a présenté une demande de prise en charge de l'intéressé par les autorités espagnoles, laquelle a été acceptée le 13 mars 2018. Par un arrêté du 18 juin 2018, le préfet du Doubs a décidé la remise de M. C...aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile. Il l'a, par ailleurs, assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours par un arrêté du même jour. Le préfet du Doubs relève appel du jugement du 2 juillet 2018, par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement :
2. Alors même qu'ils n'ont pas cité l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement. Par suite, le préfet n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ".
4. D'une part, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 dit " Dublin III ", relatif à la présentation d'une requête aux fins de prise en charge lorsqu'une demande a été introduite dans l'Etat membre requérant : " 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre tat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif ("hit") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) no 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéas, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-670/16 du 26 juillet 2017, qu'une décision de transfert vers un Etat membre autre que celui auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite ne saurait être valablement adoptée une fois expiré le délai de trois mois prévu par le 1 précité de l'article 21 (point 53). La Cour a précisé que ces dispositions contribuent de manière déterminante à la réalisation de l'objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, mentionné au considérant 5 du règlement Dublin III, en garantissant, en cas de retard dans la conduite de la prise en charge, que l'examen de la demande de protection internationale soit effectué dans l'Etat membre où cette demande a été introduite afin de ne pas différer davantage cet examen par l'adoption et l'exécution d'une décision de transfert (point 54). la Cour de justice de l'Union européenne a par ailleurs jugé dans son arrêt, que les dispositions précitées de l'article 21, du règlement Dublin III devaient être interprétées en ce sens qu'une requête aux fins de prise en charge ne peut être valablement formulée plus de trois mois après l'introduction de la demande de protection internationale, même si cette requête est formulée moins de deux mois après la réception d'un résultat positif Eurodac, au sens de cette disposition (point 88).
6. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 604/2013 ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-670/16, qu'au sens de cet article, une demande de protection internationale est réputée introduite lorsqu'un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l'autorité chargée de l'exécution des obligations découlant de ce règlement et, le cas échéant, lorsque seules les principales informations figurant dans un tel document, mais non celui-ci ou sa copie, sont parvenues à cette autorité. La cour a également précisé, dans cet arrêt, que, pour pouvoir engager efficacement le processus de détermination de l'Etat responsable, l'autorité compétente a besoin d'être informée, de manière certaine, du fait qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité une protection internationale, sans qu'il soit nécessaire que le document écrit dressé à cette fin revête une forme précisément déterminée ou qu'il comporte des éléments supplémentaires pertinents pour l'application des critères fixés par le règlement Dublin III ou, a fortiori, pour l'examen au fond de la demande, et sans qu'il soit nécessaire à ce stade de la procédure qu'un entretien individuel ait déjà été organisé (point 88).
7. Lorsque l'autorité compétente pour assurer au nom de l'Etat français l'exécution des obligations découlant du règlement Dublin III a, ainsi que le permet l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévu que les demandes de protection internationale doivent être présentées auprès de l'une des personnes morales qui ont passé avec l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) la convention prévue à l'article L. 744-1 de ce code, la date à laquelle cette personne morale, auprès de laquelle le demandeur doit se présenter en personne, établit le document écrit matérialisant l'intention de ce dernier de solliciter la protection internationale doit être regardée comme celle à laquelle est introduite cette demande de protection internationale, alors même que cette personne morale n'est pas de droit public, et fait donc courir le délai de trois mois fixé par l'article 21 de ce règlement. L'objectif de célérité dans le processus de détermination de l'Etat responsable, rappelé par l'arrêt précité de la CJUE, serait en effet compromis si le point de départ de ce délai devait être fixé à la date à laquelle ce ressortissant se présente au " guichet unique des demandeurs d'asile " (GUDA) de la préfecture ou celle à laquelle sa demande est enregistrée par la préfecture.
8. Il est constant que M. C...s'est présenté le 6 octobre 2017 à la plate-forme d'accueil des demandeurs d'asile de Besançon, afin d'y solliciter l'asile. Il est, par ailleurs constant que cet organisme est chargé, dans le cadre d'un marché public conclu avec l'OFII, de prestations de pré-accueil incluant la prise de rendez-vous en guichet unique à l'attention de ressortissants étrangers qui manifestent leur intention de demander l'asile, qu'il a transmis au guichet unique de la préfecture du Doubs le formulaire électronique de demande d'asile rempli par l'intéressé dans l'application " SI Asile " et qu'il a pris un rendez-vous pour M. C...en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile au guichet unique de la préfecture qui a été fixé le 23 janvier 2018. Dans ces conditions, la demande de protection internationale formée par M. C...doit, au sens de l'article 20 du règlement précité, être réputée avoir été introduite le 6 octobre 2017 et non, comme le soutient le préfet, à la date de son rendez-vous en préfecture le 23 janvier 2018. Ainsi, le délai de trois mois fixé par l'article 21 du règlement précité avait expiré lorsque, le 5 mars 2018, le préfet a saisi les autorités espagnoles de sa requête aux fins de prise en charge de l'intéressé. Dès lors, en application du même article, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale présentée par M.C..., à la date de la décision litigieuse, incombait à la France. Par conséquent, le préfet ne pouvait plus légalement décider de le remettre aux autorités espagnoles.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la décision portant transfert de M. C...aux autorités espagnoles, et par voie de conséquence la décision portant assignation à résidence de l'intéressé.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. L'annulation de la décision portant transfert de M. C...aux autorités espagnoles, implique nécessairement l'enregistrement de la demande d'asile de l'intéressé et la délivrance à celui-ci d'une attestation de demande d'asile. Par suite, le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal lui a enjoint de délivrer à M. C... une attestation de demande d'asile lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai d'un mois.
11. L'annulation de la décision portant transfert n'implique, en revanche, pas d'autre mesure d'exécution. Il n'y a, en outre, pas lieu d'assortir l'injonction prononcée par le tribunal d'une astreinte. Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées en appel par M. C...ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. M. C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B... de la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet du Doubs est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me B... la somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. C...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
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N° 18NC02021