Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 janvier et le 13 novembre 2015, la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime, représentée par Me Jegu, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 25 novembre 2014 ;
2°) dans le dernier état de ses écritures, de condamner le centre hospitalier de Sélestat à lui verser une somme de 67 953,19 euros au titre des débours exposés et une somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre les entiers dépens de la présente instance à la charge du centre hospitalier de Sélestat ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier Sélestat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de dire que l'ensemble de ces condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception du recours préalable par le centre hospitalier de Sélestat et de la capitalisation des intérêts.
Elle soutient que :
- la pose d'un clip sur la voie biliaire principale et non sur la voie cystique constitue une faute dans la réalisation de l'acte médical ; les premiers juges ne pouvaient retenir qu'il s'agissait d'une maladresse non fautive, ni exonérer le centre hospitalier de sa responsabilité au motif du contexte inflammatoire des organes en cause ;
- le décompte des débours exposés, qui prend en compte l'indemnisation de M. A... déjà effectuée par l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, couvre les dépenses de santé actuelles, les pertes de gains professionnels actuelles ainsi que les dépenses de santé futures, lesquelles s'élèvent à une somme totale de 67 953,19 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 6 mars 2015 et le 26 novembre 2015, le centre hospitalier de Sélestat, représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- aucune faute n'a été commise par le chirurgien ; les soins et investigations ont été menés conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science médicale ; le contexte très inflammatoire, rendant particulièrement difficile la reconnaissance des différents éléments anatomiques même pour un chirurgien dûment formé et expérimenté, est à l'origine de l'erreur commise, qui n'est pas fautive ;
- les conclusions de l'ONIAM sont irrecevables ; en tout état de cause, elles doivent être rejetées en raison de l'absence de faute
Par un mémoire enregistré le 26 mars 2015, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me de la Grange, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 25 novembre 2014 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Sélestat à lui verser une somme de 20 811,50 euros au titre de l'indemnisation qu'il a accordée à M. A...sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, ainsi que la somme de 3 127,15 euros au titre de la pénalité légale de 15% ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Sélestat les frais d'expertise qui s'élèvent à 1 400 euros ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Sélestat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité du centre hospitalier de Sélestat est engagée en raison de la faute commise par le chirurgien lors de l'opération de M.A... ;
- il est fondé à demander le remboursement de l'indemnisation versée à M. A..., qui s'élève à 20 811,50 euros ;
- l'assureur du centre hospitalier ayant omis de transmettre une offre d'indemnisation, une pénalité de 15%, fixée à l'alinéa 4 de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, doit lui être infligée.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de l'ONIAM en raison de leur caractère nouveau, dès lors que ces conclusions ont été présentées devant le tribunal après clôture de l'instruction et qu'elles n'ont pas donné lieu à réouverture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Fuchs,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de Me Jegu, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime et de Me Armand, avocat du centre hospitalier de Selestrat.
1. Considérant que M.A..., né le 11 octobre 1952, a subi le 11 août 2006 au centre hospitalier de Sélestat une ablation de la vésicule biliaire, consécutive à une cholécystite aiguë ; que, dans les suites de cette intervention, il a été victime d'un ictère rétentionnel ayant rendu nécessaire une nouvelle opération et causé un épisode d'angiocholite ; que, saisie par M. A..., la commission régionale de conciliation et d'indemnisation a conclu, par un avis du 17 septembre 2008, à la responsabilité du centre hospitalier de Sélestat en raison d'une maladresse fautive dans la réalisation de l'acte chirurgical ; qu'à la suite du refus de l'assureur de l'hôpital de l'indemniser, M. A...a obtenu une indemnisation des préjudices qu'il a subis de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime relève appel du jugement du 25 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant au remboursement des débours qu'elle a exposés dans les suites de l'opération de M.A... ; que l'ONIAM, qui est subrogé dans les droits de la victime à concurrence de la somme qu'il lui a versée, demande également l'annulation du jugement attaqué et le remboursement de cette somme ;
Sur la recevabilité des conclusions de l'ONIAM :
2. Considérant que l'ONIAM demande à la cour de condamner le centre hospitalier de Sélestat à lui verser une somme de 20 811,50 euros au titre de l'indemnisation qu'il a accordée à M. A...sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, ainsi que la somme de 3 127,15 euros au titre de la pénalité légale de 15% ; qu'il résulte des pièces du dossier de première instance que l'ONIAM, qui est subrogé dans les droits de la victime, n'a présenté ces mêmes conclusions contre le centre hospitalier de Sélestat que le 23 octobre 2014, après la clôture de l'instruction, fixée au 23 juillet 2014, sans que celle-ci ait été rouverte ; que d'ailleurs, si le tribunal a visé ces conclusions, il ne les a pas analysées ; qu'ainsi, de telles conclusions doivent être regardées comme étant présentées contre cet établissement pour la première fois en appel ; qu'elles constituent des demandes nouvelles et ne sont, par suite, pas recevables ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie :
En ce qui concerne la faute du centre hospitalier de Sélestat :
3. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des rapports des deux expertises ordonnées par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation ainsi que du compte-rendu opératoire, que les préjudices subis par M. A...résultent de la circonstance qu'un clip, qui devait être posé sur la voie cystique, l'a été sur la voie biliaire principale ; que s'agissant du type d'opération réalisée, qui est fréquente et bénigne, le risque de traumatisme de la voie biliaire est connu et chiffré et résulte principalement de plaies ou brûlures causées par l'usage d'instruments opératoires ou de lésions résultant de la migration de clips ; qu'en l'espèce, toutefois, la pose d'un clip sur le mauvais organe est consécutive à la confusion opérée, par le chirurgien, entre le canal cystique et la voie biliaire principale ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette confusion aurait été provoquée par l'existence d'une anomalie anatomique, le patient ne présentant pas de malformation des voies biliaires ou d'autre particularité anatomique ; que si le chirurgien qui a pratiqué l'intervention a noté, dans son compte-rendu opératoire, l'existence d'une hydrocholécyste très inflammatoire, circonstance pouvant favoriser la mauvaise interprétation de l'anatomie, il n'a pas relevé de difficulté dans l'identification des organes et n'a fait état d'aucun problème particulier qu'il aurait rencontré dans la réalisation de son geste ; que, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, l'erreur du chirurgien dans la pose du clip constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Sélestat ;
En ce qui concerne les préjudices :
5. Considérant, en premier lieu, que la caisse primaire d'assurance maladie requérante demande la condamnation du centre hospitalier de Sélestat à lui rembourser les débours qu'elle a exposés correspondant aux dépenses de santé déjà engagées et à venir ainsi qu'aux indemnités journalières versées à M.A... ; qu'il résulte de l'instruction, en particulier de l'attestation d'imputabilité du médecin-conseil de l'assurance maladie en date du 4 août 2015, corroborée sur ces points par les rapports d'expertise, que les dépenses ainsi exposées sont en lien direct avec l'acte médical fautif du 11 août 2006 ;
6. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que les dépenses de santé exposées par la caisse primaire d'assurance maladie jusqu'au 1er janvier 2015 s'élèvent à 55 913,29 euros ; que les frais de santé futurs sont évalués à une somme de 386,04 euros par annuité ; qu'eu égard à l'âge de M. A...à la date du présent arrêt, le centre hospitalier de Sélestat versera à la caisse primaire d'assurance maladie la somme demandée de 5 189,92 euros ; qu'enfin, la caisse requérante est fondée à demander que lui soit versée la somme correspondant aux indemnités journalières qu'elle a versées, qui s'élève à 6 849,98 euros ; que, par suite, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Sélestat à verser à la caisse primaire d'assurance maladie une somme totale de 67 953,19 euros ;
En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :
7. Considérant, en premier lieu, d'une part, que lorsqu'ils sont demandés, les intérêts des indemnités allouées sont dus, quelle que soit la date de cette demande, à compter du jour où la demande d'indemnité est parvenue à l'autorité compétente ou, à défaut, à compter de la date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif des conclusions tendant au versement de ladite indemnité ; que la caisse primaire d'assurance maladie requérante n'est pas fondée à demander que les indemnités allouées portent intérêt à compter de la réception du recours préalable légal adressé au centre hospitalier de Sélestat, dès lors qu'elle n'établit pas qu'elle aurait transmis à ce centre hospitalier un tel recours ; que les sommes allouées ne pourront porter intérêt qu'à compter de la date de l'introduction de sa requête devant le tribunal administratif de Strasbourg, le 7 janvier 2012 ;
8. Considérant d'autre part, que les intérêts demandés sur une somme en application de l'article 1153 du code civil ne peuvent courir à une date antérieure à celle du paiement effectif du principal auquel ils se rapportent ; qu'ainsi, les sommes engagées avant le 7 janvier 2012 portent intérêts à compter de cette date ; que les dépenses acquittées postérieurement à cette demande ne portent intérêts qu'à compter du jour où ladite caisse justifie les avoir payées ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que la caisse peut demander la capitalisation des intérêts à compter du 7 janvier 2012, date de l'introduction de sa demande devant le tribunal administratif de Strasbourg ; que, pour les dépenses engagées avant cette date, il y lieu d'ordonner cette capitalisation à compter du 7 janvier 2013, date à laquelle a été due une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure ; qu'en ce qui concerne les dépenses engagées postérieurement à cette date, il y a lieu d'ordonner cette capitalisation à compter de la date à laquelle a été due une année d'intérêts à partir du moment où la dépense a été engagée, puis à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur l'indemnité prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
10. Considérant, en premier lieu, que la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime a droit à l'indemnité forfaitaire de gestion de 1 037 euros prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il y a lieu de mettre cette somme à la charge du centre hospitalier de Sélestat;
11. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 1153-1 du code civil : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement " ; que, conformément à ces dispositions, la somme représentative du montant de l'indemnité forfaitaire de gestion portera intérêts à compter du présent arrêt ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant qu'en l'absence de dépens exposés dans la présente instance, les conclusions de la caisse tendant à ce que les entiers dépens soient mis à la charge du centre hospitalier de Sélestat ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime, qui n'est pas la partie perdante, la somme demandée par le centre hospitalier de Sélestat sur ce fondement ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Sélestat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime et non compris dans les dépens ; que la somme allouée au titre des frais non compris dans les dépens est productive d'intérêts dans les conditions fixées par les dispositions précitées de l'article 1153-1 du code civil ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 25 novembre 2014 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Sélestat est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime la somme de 67 953,19 euros, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts calculés conformément au présent arrêt, ainsi que la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Article 3 : Le centre hospitalier de Sélestat est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier de Sélestat présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Les conclusions de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine-Maritime, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et au centre hospitalier de Sélestat.
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N° 15NC00014