Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 avril 2015, Mme A... C...épouseE..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 décembre 2014 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 19 juin 2013 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés en première instance, ainsi qu'une somme d'un même montant au titre des frais exposés en appel, à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 729-2 du code de procédure pénale dès lors que l'interdiction judiciaire du territoire français prononcée à son encontre a été suspendue par sa libération conditionnelle intervenue le 28 janvier 2013, puis levée en l'absence de révocation de cette mesure de libération ;
- cette décision a été prise le 19 juin 2013 alors que l'interdiction judiciaire du territoire français était suspendue jusqu'au terme de sa peine, initialement prévu le 28 octobre 2013 ;
- elle n'a jamais entendu demander le relèvement de l'interdiction judiciaire du territoire français dès lors que celle-ci a été levée de plein droit ;
- le préfet n'établit pas que la mesure de libération conditionnelle n'aurait pas été assortie d'une suspension de l'interdiction judiciaire du territoire français ;
- la décision attaquée méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnait le 7° et le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la mesure d'éloignement doit être annulée en conséquence de l'illégalité du retrait de titre de séjour ;
- cette mesure a été abrogée par le récépissé délivré le 2 février 2015 en exécution du jugement du 18 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 18 février 2014 portant refus de délivrer une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile ;
- cette mesure d'éloignement est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de destination doit être annulée en conséquence de l'illégalité du retrait de titre de séjour ;
- elle a été abrogée par le récépissé délivré le 2 février 2015 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnait les articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 août 2015, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens n'est fondé.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision du 19 juin 2013 en tant qu'elle fixe le pays à destination duquel Mme E...pourra être reconduite dès lors que cette mesure a été implicitement mais nécessairement abrogée par le récépissé de demande de titre de séjour qui lui a été délivré pour la période du 2 février au 1er mai 2015.
Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du président du bureau d'aide juridictionnelle du 26 mars 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- et les observations de MeD..., pour MmeE....
1. Considérant que MmeE..., ressortissante nigériane née le 26 janvier 1983, est entrée irrégulièrement en France au cours de l'année 2001 ; qu'elle a épousé le 20 août 2010 M. B... E..., alors ressortissant sierra-léonais bénéficiaire du statut de réfugié, et père de ses quatre enfants nés sur le territoire français les 14 mars 2005, 27 janvier 2007, 22 juin 2008 et 12 novembre 2011 ; qu'eu égard à la situation privée et familiale de MmeE..., une carte de séjour temporaire lui a été délivrée pour une durée d'un an à compter du 30 novembre 2005 et a été ensuite renouvelée chaque année et, en dernier lieu, pour la période du 30 novembre 2012 au 29 novembre 2013 ; que l'intéressée et son époux ont été condamnés à une peine d'emprisonnement de trois ans par une décision du tribunal correctionnel de Strasbourg en date du 18 février 2009, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Colmar du 17 décembre 2009 ; que par un arrêt du 23 novembre 2011, cette même cour a également prononcé une interdiction définitive du territoire français à l'encontre de Mme E...et de son époux ; que le pourvoi formé par les deux époux contre cet arrêt a été rejeté par la cour de cassation le 14 novembre 2012 ; que par une décision du 19 juin 2013, le préfet du Bas-Rhin a retiré la carte de séjour dont bénéficiait l'intéressée et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite ; que la requérante relève appel du jugement du 18 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision ;
Sur la recevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le Nigéria comme pays de destination :
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le préfet du Bas-Rhin a délivré à Mme E...un récépissé de demande de titre de séjour valable du 2 février au 1er mai 2015 ; qu'en accordant ce récépissé admettant provisoirement Mme E...à séjourner en France au titre de l'asile, le préfet du Bas-Rhin a implicitement mais nécessairement abrogé sa décision du 19 juin 2013 en tant qu'elle fixe le pays à destination duquel elle pourra être reconduite ; qu'ainsi, les conclusions de la requérante enregistrées au greffe de la cour le 9 avril 2015 étaient, dans cette mesure, sans objet et, par suite, irrecevables ;
Sur le surplus des conclusions de la requête :
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 311-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le titre de séjour est retiré : (...) 6° Si son détenteur fait l'objet d'une décision judiciaire d'interdiction du territoire (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 541-1 du même code : " La peine d'interdiction du territoire français susceptible d'être prononcée contre un étranger coupable d'un crime ou d'un délit est régie par les dispositions des articles 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal ci-après reproduites : " Art. 131-30 du code pénal. / " Lorsqu'elle est prévue par la loi, la peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit. / " L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion. / " Lorsque l'interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son application est suspendue pendant le délai d'exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin. / " L'interdiction du territoire français prononcée en même temps qu'une peine d'emprisonnement ne fait pas obstacle à ce que cette peine fasse l'objet, aux fins de préparation d'une demande en relèvement, de mesures de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de placement sous surveillance électronique ou de permissions de sortir. (...) " ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 729-2 du code de procédure pénale : " Lorsqu'un étranger condamné à une peine privative de liberté est l'objet d'une mesure d'interdiction du territoire français, d'obligation de quitter le territoire français, d'interdiction de retour sur le territoire français, de reconduite à la frontière, d'expulsion, d'extradition ou de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen, sa libération conditionnelle est subordonnée à la condition que cette mesure soit exécutée. Elle peut être décidée sans son consentement. / Par exception aux dispositions de l'alinéa précédent, le juge de l'application des peines, ou le tribunal de l'application des peines, peut également accorder une libération conditionnelle à un étranger faisant l'objet d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire français en ordonnant la suspension de l'exécution de cette peine pendant la durée des mesures d'assistance et de contrôle prévue à l'article 732. A l'issue de cette durée, si la décision de mise en liberté conditionnelle n'a pas été révoquée, l'étranger est relevé de plein droit de la mesure d'interdiction du territoire français. Dans le cas contraire, la mesure redevient exécutoire. " ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 14 décembre 2012, le juge de l'application des peines du tribunal de grande instance de Strasbourg a accordé à Mme E...le bénéfice d'une libération conditionnelle du 28 janvier 2013 au 28 octobre 2013, date prévue pour le terme de sa peine, et l'a soumise pendant cette période à des mesures d'assistance et de contrôle ; que cette décision n'ordonne nullement la suspension de l'exécution de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français dont l'intéressée faisait alors l'objet ; qu'il ne ressort ni des termes de cette décision ni d'aucune des autres pièces du dossier que le juge de l'application des peines aurait entendu prononcer une telle suspension ; que, dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'exécution de la peine d'interdiction du territoire français était suspendue à la date de la décision attaquée, faisant ainsi obstacle au retrait de son titre de séjour ; que, pour les mêmes raisons, elle ne saurait être regardée comme ayant été relevée de plein droit de la mesure d'interdiction du territoire français ; que, par suite, elle ne saurait se prévaloir des dispositions de l'article 729-2 du code de procédure pénale pour contester la légalité de la décision attaquée ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que Mme E...a été condamnée à une interdiction définitive du territoire français ; que l'autorité administrative était tenue de pourvoir à l'exécution de la décision judiciaire d'interdiction du territoire français en procédant, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 311-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au retrait du titre de séjour de l'intéressée ; que le préfet du Bas-Rhin était, dès lors, en situation de compétence liée pour procéder à ce retrait et ne disposait d'aucun pouvoir d'appréciation quant aux conséquences de sa décision sur la situation personnelle et familiale de l'intéressée ; que, par suite, Mme E...ne saurait utilement se prévaloir d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; qu'elle ne saurait non plus, en tout état de cause, se prévaloir des 7° et 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors que le retrait de titre de séjour est fondé sur les dispositions précitées des articles R. 311-14 et L. 541-1 du même code ; que si elle fait encore état des risques encourus par ses enfants en cas de retour au Nigéria, la décision attaquée n'a ni pour objet, ni pour effet d'ordonner un retour vers ce pays ;
7. Considérant, enfin, que la mesure d'éloignement prise par le préfet résulte de plein droit de la condamnation judiciaire prononcée à l'encontre de MmeE... ; que, s'agissant d'une simple mesure d'exécution de la peine d'interdiction du territoire français dont elle fait l'objet, les moyens qu'elle soutient pour en contester la légalité ne peuvent qu'être écartés ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C...épouse E...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 15NC00644