Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 septembre 2019, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 2 juillet 2019 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de rejeter les demandes de première instance de Mme B... E..., de Mme A... E... et de M. H... G... ;
Il soutient que :
- la décision de suspension notifiée à Mme B... E..., désignée comme attributaire de l'allocation pour demandeur d'asile en application de l'article D. 744-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, était opposable à tous les membres de la famille si bien que l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'avait pas à notifier sa décision de suspension aux enfants majeurs de celle-ci ;
- le tribunal administratif a fondé son jugement sur un motif de fait erroné car Mme B... E... avait refusé l'orientation d'hébergement proposée, tel que cela ressort du courrier d'intention du 27 novembre 2017, de sorte que la décision de suspension des conditions matérielles d'accueil était justifiée en vertu des articles L. 744-8 et D. 744-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction, le tribunal administratif n'ayant pas été saisi de la décision du 29 décembre 2017 de suspension des conditions matérielles, il ne pouvait être qu'enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de verser à la famille E... l'allocation pour demandeur d'asile pour les mois de novembre et décembre 2017.
Par trois mémoires en défense, enregistrés le 29 mars 2021, Mme B... E..., Mme A... E... et M. H... G..., représentés par Me C... concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent :
- à titre principal, que l'appel de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est mal fondé car Mme E... n'a jamais refusé d'offre d'hébergement ;
- à titre subsidiaire, que la décision implicite de suspension des conditions matérielles d'accueil viole le principe du contradictoire et est entachée d'un défaut de motivation car l'Office français de l'immigration et de l'intégration a cessé de verser l'allocation pour demandeur d'asile avant même de notifier à Mme E... sa lettre d'intention du 27 novembre 2017 ;
- il y a erreur de droit car l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoit pas la suspension des conditions d'accueil en cas de refus d'hébergement ;
- l'Office français de l'immigration et de l'intégration a commis une erreur manifeste d'appréciation, au regard des articles L. 744-8 et L. 744-6 du même code, en ne tenant pas compte de la situation de vulnérabilité de Mme E... qui suit un traitement médical régulier ;
Mme B... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 11 mars 2020.
L'Office français de l'immigration et de l'intégration a présenté des observations le 26 mars 2021 et précise avoir exécuté le jugement du 2 juillet 2019 du tribunal administratif de Strasbourg.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé l rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme D..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... E... et ses enfants majeurs, Mme A... E... et
M. H... G..., ressortissants de nationalité russe, sont entrés en France le
6 juillet 2017 et ont sollicité leur admission au séjour au titre de l'asile. L'Office français de l'immigration et de l'intégration leur a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à compter du 1er novembre 2017. Mme B... E..., Mme A... E... et M. H... G... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions de suspension et le rejet des recours gracieux. Par un jugement du 2 juillet 2019, le tribunal a annulé ces décisions et a enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration d'accorder à Mme B... E..., Mme A... E... et M. H... G... le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à compter du 1er novembre 2017 dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration relève appel du jugement du 2 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces décisions.
Sur l'étendue du litige :
2. Il ressort des pièces du dossier que la demande de Mme B... E..., de Mme A... E... et de M. H... G... était dirigée contre les décisions de suspension des conditions matérielles d'accueil révélées par l'absence de versement de l'allocation pour demandeur d'asile dès le mois de novembre 2017 et le rejet des recours gracieux. Il ressort des pièces du dossier qu'une décision expresse de suspension des conditions matérielles d'accueil est intervenue le 29 décembre 2017. Une telle décision s'est implicitement mais nécessairement substituée à celles révélées par l'interruption des versements. Dans ces conditions, les conclusions d'annulation doivent être regardées comme tendant à l'annulation de cette décision du 29 décembre 2017 et du rejet du recours gracieux.
Sur les moyens d'annulation retenus par le tribunal administratif :
3. Aux termes de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile par l'autorité administrative compétente, en application du présent chapitre. Les conditions matérielles d'accueil comprennent les prestations et l'allocation prévues au présent chapitre. (...) ". Aux termes de l'article D. 744-35 du même code : " Le versement de l'allocation peut être suspendu lorsqu'un bénéficiaire : 1° A refusé une proposition d'hébergement dans un lieu mentionné à l'article L. 744-3 ; (...) ".Aux termes de l'article D. 744-25 du même code : " Au sein du foyer, le bénéficiaire de l'allocation est celui qui a déposé la demande. Toutefois, le bénéficiaire peut être désigné d'un commun accord. Ce droit d'option peut être exercé à tout moment. L'option ne peut être remise en cause qu'au bout d'un an, sauf changement de situation, sur demande motivée. Lorsqu'un même foyer compte plusieurs demandeurs d'asile, une seule allocation peut être versée au foyer, même si plusieurs demandes d'allocation sont déposées ".
4. Il ressort des pièces du dossier que l'offre de prise en charge au titre du dispositif national d'accueil a été signée le 5 septembre 2017 par Mme B... E... qui s'est déclarée attributaire de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) pour l'ensemble de la famille, laquelle est composée selon le formulaire signé et produit par l'Office français de l'immigration et de l'intégration de Laura, enfant mineur à charge et de Diana et H..., enfants majeurs à charge. Par suite, et comme le soutient l'Office français de l'immigration et de l'intégration, il n'avait pas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, à notifier à Diana et à H... son intention de suspendre les conditions matérielles d'accueil.
5. En revanche, si Mme B... E..., après avoir accepté l'orientation proposée au centre d'accueil pour demandeur d'asile (CADA) de Mulhouse le 27 novembre 2017, a finalement refusé cette orientation le jour même et a signé la notification d'intention de suspension des conditions matérielles d'accueil mentionnant expressément qu'elle était motivée par le refus de cette dernière de l'hébergement proposé, elle a indiqué par courrier du 11 décembre 2017 qu'elle regrettait avoir refusé l'hébergement au regard de l'offre de soins requis pour son état de santé disponible dans un hôpital à Mulhouse. Mme B... E... devait donc être regardée comme s'étant rétractée de son refus d'hébergement avant que l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, le 29 décembre 2017, de lui suspendre les conditions matérielles d'accueil. Dans ces conditions, l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne pouvait plus se fonder sur l'existence d'un refus pour suspendre ses conditions matérielles d'accueil. Par suite, l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'est pas fondé à soutenir que sa décision n'est pas entachée d'erreur de fait.
6. Il résulte de ce qui précède que l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision portant suspension des conditions matérielles d'accueil de Mme B... E..., Mme A... E... et M. H... G..., et le rejet du recours gracieux.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocate de Mme B... E..., de Mme A... E... et de M. H... G..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le versement à Me C... de la somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est rejetée.
Article 2 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera la somme de 1 200 euros à Me C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme B... E..., à Mme A... E... à M. H... E... et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 19NC02821