Procédures devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée sous le n° 20NC03068 le 21 octobre 2020, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'annuler le jugement du 23 septembre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Il soutient que :
- les documents présentés par M. B... ne permettent pas d'attester avec certitude de son identité ;
- la consultation du système Visabio entretient cette incertitude ;
- il n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de régulariser la situation de M. B... au titre de son pouvoir discrétionnaire ;
- M. B... ne produit pas de passeport en cours de validité, ce qui fait obstacle à ce qu'une carte de séjour temporaire lui soit délivrée ;
- les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg doivent être écartés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2021, M. B..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il satisfait aux conditions prévues par l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le tribunal était fondé à enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ;
- les autres moyens soulevés par le préfet du Haut-Rhin ne sont pas fondés.
II - Par une requête, enregistrée sous le n° 20NC03532, le 4 décembre 2020, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement du 23 septembre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg.
Il soutient que :
- il fait état de moyens sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet des conclusions présentées par M. B... en première instance ;
- les documents présentés par M. B... ne permettent pas d'attester avec certitude de son identité ;
- la consultation du système Visabio entretient cette incertitude ;
- il n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de régulariser la situation de M. B... au titre de son pouvoir discrétionnaire ;
- M. B... ne produit pas de passeport en cours de validité, ce qui fait obstacle à ce qu'une carte de séjour temporaire lui soit délivrée ;
- il s'en réfère à ses écritures de première instance pour écarter les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2021, M. B..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet du Haut-Rhin ne sont pas sérieux et ne sont pas de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet de sa demande devant le tribunal administratif de Strasbourg.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 février 2021.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger ;
- l'arrêté du 26 septembre 2017 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif aux étrangers sollicitant la délivrance d'un visa, dénommé France-Visas ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Grenier, présidente assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen, qui déclare être né le 23 mars 2002, est entré en France le 8 août 2018 et a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département du Haut-Rhin en vertu d'une ordonnance de placement provisoire du procureur de la République de Dijon du 19 septembre 2018. Il a demandé à sa majorité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 5 mai 2020, le préfet du Haut-Rhin a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être renvoyé. Par un jugement du 23 septembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 5 mai 2020 du préfet du Haut-Rhin et lui a enjoint de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Le préfet du Haut-Rhin relève appel de ce jugement et demande, en outre, qu'il soit sursis à son exécution en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions d'annulation de l'arrêté du 5 mai 2020 :
2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ".
3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de "salarié" ou "travailleur temporaire", présentée sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance (ASE) entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". En vertu de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Aux termes de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. / Dans le délai prévu à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative informe par tout moyen l'intéressé de l'engagement de ces vérifications. ".
5. Les dispositions citées au point précédent posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Cependant, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact et notamment par les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé Visabio, qui sont présumées exactes. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
6. Il ressort des termes de la décision attaquée que le titre de séjour de M. B... a été refusé au motif que ce dernier n'établissait pas sa minorité lorsqu'il a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département du Haut-Rhin, dès lors que d'une part, la consultation du fichier Visabio a révélé que M. B... s'est vu refuser un visa par les autorités allemandes, le 4 août 2017, sous les mêmes nom et prénom mais avec une date de naissance différente le 23 octobre 1992 à Conakry et d'autre part que ses documents d'état civil " ne sont pas recevables au titre de l'article 47 du code civil car ils n'ont pas fait l'objet d'une sur-légalisation ".
7. Or, il ressort des pièces produites par M. B..., et notamment de la carte d'identité consulaire établie le 7 octobre 2020 par l'ambassade de Guinée en France, que la photo du document Visabio n'est pas celle de M. B.... Par suite le relevé des données Visabio ne permet pas, à lui seul, de renverser la présomption d'authenticité garantie aux actes d'état civil étrangers par l'article 47 du code civil alors, au demeurant, que le rapport initial d'évaluation de la minorité de M. B... établi par les services de l'aide sociale à l'enfance le 30 août 2018 ne mettait pas en cause sa minorité. Par ailleurs, le préfet du Haut-Rhin ne donne aucune indication quant à la réponse qui a été donnée à la demande d'enquête qu'il a adressée au procureur de la république en décembre 2019. Enfin, le préfet du Haut-Rhin ne conteste pas, en appel, le fait que le défaut de " sur-légalisation " ne constitue pas un motif permettant de douter de l'authenticité des actes d'état civil étrangers au sens et pour l'application de l'article 47 du code civil.
8. Par suite, le préfet du Haut-Rhin n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement contesté le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 5 mai 2020.
En ce qui concerne les conclusions d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 313-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La durée de validité de la carte de séjour temporaire ne peut être supérieure à un an et ne peut dépasser la durée de validité des documents et visas mentionnés à l'article L. 211-1 du présent code. La durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle ne peut être supérieure à quatre ans. A l'expiration de la durée de validité de sa carte, l'étranger doit quitter la France, à moins qu'il n'en obtienne le renouvellement ou qu'il ne lui soit délivré un autre document de séjour ".
10. Contrairement à ce que soutient le préfet du Haut-Rhin, il ne résulte pas des dispositions précitées que la délivrance d'une première carte de séjour temporaire requière la production d'un passeport dès lors qu'elle est délivrée pour une durée d'un an.
11. Pour refuser un titre de séjour à M. B... en application de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Haut-Rhin s'est fondé sur la seule circonstance qu'il ne justifiait pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et de dix-huit ans. Il n'a contesté ni en première instance, ni en appel qu'il satisfait aux autres conditions prévues par ces dispositions. En conséquence, le préfet du Haut-Rhin n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ".
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
12. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 23 septembre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg. Il n'y a, par suite, plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête, enregistrée sous le n° 20NC03532, du préfet du Haut-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur les frais liés aux instances :
13. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A..., avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête n°20NC03068 est rejetée.
Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20NC03532 du préfet du Haut-Rhin à fin de sursis à exécution du jugement du 23 septembre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg.
Article 3 : L'Etat versera à Me A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet du Haut-Rhin, à M. C... B..., au ministre de l'intérieur et à Me A....
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N°s 20NC03068, 20NC03532