Il soutient que :
s'agissant de la condition d'urgence : la décision en litige fait obstacle à son recrutement en contrat à durée indéterminée par la société Roger Martin, ce qui le prive de toute ressource ;
s'agissant du doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
- elle est entachée d'erreur de fait quant à la qualification de frauduleux des documents d'état civil qu'il a produit ;
- elle méconnaît l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2020, la préfète de la Haute-Saône conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et les moyens soulevés ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de décision contestée.
Vu :
- la requête n° 20NC03338 par laquelle M. A... fait appel du jugement du tribunal administratif de Besançon du 13 octobre 2020 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 juin 2020 ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- du décret n° 20071205 du 10 août 2007 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la cour a, par une ordonnance du 1er septembre 2020 désigné Mme F... G... comme juge des référés en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 7 décembre 2020 :
- le rapport de Mme G..., juge des référés,
- les observations de Me B..., substituant Me C..., pour M. A... qui fait valoir qu'il n'appartient pas à la police aux frontières de se prononcer sur la régularité de jugements des tribunaux guinéens et que la nouvelle légalisation met un terme aux doutes quant au caractère authentique des actes d'état civil de M. A... ;
- et les observations de Mme E..., son éducatrice, qui explique toutes les démarches réalisées pour obtenir la première et la deuxième légalisation auprès du ministère des affaires étrangères en Guinée et auprès de l'ambassade de Guinée en France et précise qu'une légalisation par le consul de Guinée en France est impossible dès lors qu'une telle autorité n'existe pas.
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
1. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ". Aux termes de l'article 62 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " (...) L'admission provisoire peut être prononcée d'office si l'intéressé a formé une demande d'aide juridictionnelle sur laquelle il n'a pas encore été définitivement statué ".
2. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'admettre M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Sur les conclusions à fin de suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 juin 2020 :
3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".
4. M. A..., ressortissant guinéen, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 14 novembre 2017. Le 12 décembre 2017, il a été pris en charge, compte tenu de sa minorité, par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de Haute-Garonne, puis, à compter de janvier 2018, par le centre éducatif et professionnel (CEP) " Les Chennevières ". Le 19 juillet 2018, il a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 15 juin 2020, la préfète de la Haute-Saône a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi. Ses demandes tendant à la suspension de l'exécution puis à l'annulation de cette décision ont été rejetées respectivement par le juge des référés du tribunal administratif de Besançon par une ordonnance du 29 juillet 2020 et par ce tribunal par un jugement du 13 octobre 2020. Un appel contre ce jugement, enregistré sous le n°20NC03338, est actuellement pendant devant la cour.
En ce qui concerne l'urgence :
5. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de cette décision sur sa situation ou, le cas échéant, des autres personnes concernées, sont de nature à caractériser, à la date à laquelle il statue, une urgence justifiant que, sans attendre le jugement du recours au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
6. Il résulte de l'instruction que M. A... a été pris en charge en 2017 par le service d'aide sociale à l'enfance du département de Haute-Garonne puis par le CEP " Les Chennevières ", qui l'a accompagné dans sa formation qui s'est soldée par l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle en juin 2020. Alors qu'il était sur le point d'être embauché, le refus de titre en litige lui a été opposé, lequel a été assorti d'une mesure d'éloignement. Eu égard aux effets du refus de titre de séjour contesté et de la perspective d'embauche dont il résulte de l'instruction qu'elle ne pourra être assurée au-delà de janvier 2021, M. A... établit que la décision en litige préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation personnelle. La condition d'urgence est par suite remplie.
En ce qui concerne le doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée :
7. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ". Pour refuser à M. A... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète de la Haute-Saône s'est fondée d'une part sur le caractère frauduleux des actes d'état civil dont se prévaut M. A... pour justifier de son identité et de son âge et d'autre part de ce que l'intéressé n'établit pas n'avoir plus de lien avec sa famille restée dans le pays d'origine.
8. D'une part, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". L'article L. 111-6 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil précise que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Enfin, l'article 2 du décret n° 20071205 du 10 août 2007 relatif aux attributions du ministre des affaires étrangères, des ambassadeurs et des chefs de poste consulaire en matière de légalisation d'actes prévoit que : " La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. / Elle donne lieu à l'apposition d'un cachet dont les caractéristiques sont définies par arrêté du ministre des affaires étrangères ".
9. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
10. Pour demander le bénéfice d'un titre de séjour, M. A... a fourni un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance du 19 mars 2018 et un extrait de registre d'état civil du 29 mars 2018. Il résulte de l'instruction et notamment des débats à l'audience que ce sont les encadrants du centre éducatif et professionnel " Les Chennevières " qui ont pris l'initiative, sur les conseils de l'ambassade de Guinée, d'envoyer le jugement supplétif en Guinée afin de le faire légaliser par le service des affaires étrangères. C'est ce document qui a été soumis à l'expertise d'un analyste en fraude documentaire et à l'identité de la police aux frontières qui a notamment mis en doute l'authenticité du cachet apposé sur le jugement supplétif et de la signature de la personne signataire de la légalisation. Au regard de ce rapport, M. A..., accompagné de son éducatrice, s'est rendu à l'ambassade de Guinée à Paris pour faire état des doutes de l'administration française quant à l'authenticité du jugement supplétif et obtenir une nouvelle légalisation de ce document. Il n'est pas contesté et ressort des termes du jugement du tribunal administratif de Besançon du 13 octobre 2020 qu'une nouvelle légalisation a été obtenue sous la signature de la chargée d'affaires financières et consulaires. Il est produit dans le cadre de la présente instance une attestation de l'ambassadeur de Guinée en France au termes de laquelle il est précisé que la signataire a bien qualité pour légaliser les documents d'état civil. Cette nouvelle légalisation, même postérieure à la date de la décision contestée, tend, en l'état de l'instruction, à redonner force probante aux documents d'état civil dont le requérant se prévaut.
11. D'autre part, lorsqu'il examine une demande de titre de séjour délivré à titre exceptionnel portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 311-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, le préfet ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale notamment au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle restreint sur les motifs de refus de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. La seule circonstance que M. A... ait été dans l'impossibilité de produire les actes de décès de ses parents alors qu'il a pu obtenir les actes d'état civil le concernant ne peut démontrer qu'il a gardé des liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. Par ailleurs et en tout état de cause, de tels liens ne peuvent, à eux-seuls, justifier le refus de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la nature des liens avec la famille restée dans le pays d'origine ne constituant qu'un élément d'appréciation de la situation de l'intéressé.
13. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de l'erreur de fait quant au caractère frauduleux des actes d'état civil et d'une application inexacte des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Il y a en conséquence lieu de suspendre l'exécution de l'arrêté du 15 juin 2020 portant refus de titre de séjour et la mesure d'éloignement prise sur son fondement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Le présent arrêt implique qu'il soit enjoint à la préfète de la Haute-Saône de réexaminer la situation de M. A... et de lui délivrer dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente ordonnance, dans l'attente de l'arrêt au fond, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Sur les frais de l'instance :
15. M. A... ayant été admis provisoirement à l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me C..., avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et sous réserve de l'admission définitive de son client à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 200 euros. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. A... par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros sera versée à M. A....
ORDONNE
Article 1er : L'exécution de l'arrêté du 15 juin 2020 est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Haute-Saône de réexaminer la situation de M. A... et de lui délivrer dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente ordonnance, dans l'attente de l'arrêt au fond, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : Sous réserve de l'admission définitive de M. A... à l'aide juridictionnelle et sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier versera à cette dernière, avocate de M. A..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. A... par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros sera versée à M. A....
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Saône.
Fait à Nancy, le 8 décembre 2020
Le juge des référés,
Signé : V. G...
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme
La greffière,
F. Dupuy
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N° 20NC03342