Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 février et 20 septembre 2019, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'ordonner, avant-dire droit, une expertise contradictoire en désignant un collège d'experts aux fins :
- de décrire son état de santé et de détailler les pathologies observées ;
- après avoir entendu tous sachant et s'être fait communiquer tout document utile, notamment son entier dossier médical et avoir procédé à toutes les investigations nécessaires :
- de préciser la nature de la pathologie qu'il présente et la nature du traitement médical nécessaire ;
- de décrire les soins adaptés à son état de santé et de préciser les conséquences de leur défaut éventuel ;
- de se prononcer sur la durée de ces soins ;
- de préciser si ces soins doivent nécessairement être poursuivis en France et s'ils sont disponibles au Cameroun et accessibles compte-tenu de l'état de santé du requérant et de sa situation personnelle ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 9 janvier 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros toutes taxes comprises au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le préfet du Bas-Rhin s'est borné à suivre l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration sans explication, sans procéder à un examen de sa situation et sans porter d'appréciation sur son état de santé ;
- il est dans l'impossibilité de bénéficier d'un traitement au Cameroun ;
- le refus de renouvellement de son titre de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale normale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation de quitter le territoire français n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé ;
- elle méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale normale ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale, dès lors que son pronostic vital risque d'être engagé en cas de retour au Cameroun.
La procédure a été communiquée au préfet de la région Grand-Est, préfet du Bas-Rhin, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D..., présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant camerounais né en 1950, est entré régulièrement en France, le 27 juillet 2014 avec un visa de court séjour. Des autorisations provisoires de séjour lui ont été délivrées à partir du 23 décembre 2014, suivies d'un titre de séjour pour raisons de santé, le 31 décembre 2015 qui a été renouvelé le 31 décembre 2016 pour une durée d'un an. Cependant, par un arrêté du 8 août 2018, le préfet du Bas-Rhin a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 9 janvier 2019, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté. M. A... demande également à la cour d'ordonner, avant dire-droit une expertise médicale sur son état de santé.
Sur le refus de titre de séjour :
2. Aux termes du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
3. Il résulte des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 du même code, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. En premier lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté du 8 août 2018 que le préfet du Bas-Rhin s'est approprié les termes de l'avis du 12 mai 2018 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Il n'est pas établi que le préfet du Bas-Rhin n'a pas procédé à un examen suffisamment approfondi de la situation de M. A... au vu des éléments dont il disposait sur sa situation médicale et familiale et qu'il s'est estimé, à tort, en situation de compétence liée par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. La seule circonstance que M. A... ait, antérieurement, bénéficié de deux titres de séjour pour raisons de santé ne lui donnait aucun droit à voir son titre de séjour renouvelé. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen suffisant de la situation du requérant et de l'erreur du préfet du Bas-Rhin sur sa compétence doit être écarté.
5. En deuxième lieu, par un avis du 12 mai 2018, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de M. A... nécessitait une prise en charge, dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour lui. Il a cependant également relevé qu'il existait un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A... bénéficie d'un suivi médical régulier pour le traitement d'un lymphome folliculaire, initialement diagnostiqué en 2014 au Cameroun. M. A... soutient qu'il fait l'objet d'un suivi très régulier en raison des risques importants de rechute, notamment par scanners et biologie, dont il ne pourra pas bénéficier au Cameroun.
7. D'autre part, toutefois, il ressort des pièces produites par M. A..., et notamment du certificat médical du 14 septembre 2018 du Dr. Toussaint, oncologue qui, s'il est postérieur à l'arrêté attaqué, fait état d'éléments médicaux antérieurs, que le cancer de M. A... a été traité de 2014 à janvier 2017, avec obtention d'une rémission complète. Ce certificat est confirmé par celui du 15 janvier 2019 du Dr. Orenstein, médecin généraliste, qui confirme que M. A... est en situation de rémission, sans cependant être guéri. Ce dernier certificat, qui peut être pris en compte alors même qu'il est postérieur à l'arrêté attaqué, relève que la neutropénie dont M. A... est atteint nécessite une surveillance médicale rapprochée, par une prise de sang et des consultations mensuelles chez le médecin généraliste et trimestrielles chez l'oncologue.
8. En outre, M. A... produit des articles récents datant de l'année 2019 ainsi que plusieurs autres articles faisant état de la difficulté d'accès à la chimiothérapie au Cameroun en raison du manque de structures adaptées, de l'augmentation importante du nombre de cancers diagnostiqués au Cameroun depuis 2016, de la forte mortalité liée au cancer et enfin de la présence, pour tout le pays, de 4 oncologues et 3 radiothérapeutes seulement. Ces articles font cependant état des traitements par chimiothérapie et radiothérapie, alors que M. A... ne bénéficie plus de tels traitements, mais d'une surveillance médicale régulière. Un certificat médical du 15 août 2018 du médecin camerounais qui a diagnostiqué son cancer en 2014, cependant postérieur à l'arrêté litigieux, précise que M. A... doit continuer à bénéficier d'un suivi médical en France, le plateau technique existant à l'hôpital de Yaoundé ne permettant pas d'assurer la surveillance médicale dont il a besoin. Cependant, ainsi que l'indique le certificat médical du 15 janvier 2019 du Dr. Orenstein, le suivi de M. A... consiste désormais en une prise de sang et une consultation mensuelles chez un médecin généraliste. Or, il ne ressort pas des pièces produites par M. A... qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un tel suivi au Cameroun. Il ne ressort pas davantage des pièces produites qu'il ne pourrait pas effectivement y bénéficier d'une surveillance par scanner, surveillance dont il bénéficie, selon ses écritures, tous les huit mois, alors même que plusieurs heures de route seraient nécessaires pour pratiquer cet examen qui peut être programmé à l'avance. Par ailleurs, si M. A... précise que quatre heures de route sont nécessaires entre son domicile et l'hôpital de Douala, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa pathologie nécessite la proximité d'un hôpital. Son hospitalisation du 21 janvier 2019 à Strasbourg, postérieure au demeurant à l'arrêté attaqué, résulte d'un simple malaise vagal sans signe de gravité clinico-biologique n'ayant donné lieu à aucune intervention chirurgicale selon les termes mêmes du compte-rendu d'hospitalisation. Les résultats d'une récente analyse de sang ne permettent pas davantage d'établir que l'arrêté du 8 août 2018 serait entaché d'erreur d'appréciation.
9. Enfin, M. A... ne saurait utilement invoquer deux précédents avis favorables de l'Agence régionale de santé, au demeurant non produits, dès lors qu'il appartenait au préfet du Bas-Rhin d'examiner son état de santé à la date à laquelle il a édicté l'arrêté du 8 août 2018.
10. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet du Bas-Rhin aurait, à tort, estimé que M. A... serait en mesure du bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine, doit être écarté.
11. En dernier lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".
12. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré en France à l'âge de 64 ans, a passé l'essentiel de sa vie au Cameroun et ne résidait en France que depuis cinq ans à la date de l'arrêté du préfet du Bas-Rhin. Alors même que trois de ses enfants majeurs résident en France, dont l'un a la nationalité française, ils ne vivent pas dans la même localité que M. A..., qui vit seul à Strasbourg, même s'il voit régulièrement ses enfants. En outre, il ressort également des pièces du dossier que l'épouse et l'une des filles de M. A... résident au Cameroun, alors même que son épouse se rend régulièrement en France pour y bénéficier de soins. Par ailleurs, si M. A... fait valoir qu'il est parfaitement intégré en France où il a diverses activités, son arrivée en France est cependant récente. Enfin, la circonstance qu'il a été diplomate et a reçu diverses décorations est sans incidence sur le refus de renouveler son titre de séjour. Par suite, M. A... n'établit pas que le préfet du Bas-Rhin aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale normale.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'obligation de quitter le territoire français par adoption des motifs des points 12 et 13 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 9 janvier 2019.
14. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'illégalité du refus de renouvellement du titre de séjour opposé à M. A..., le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
15. En dernier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celui tiré de l'atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale par adoption des motifs des points 14 et 15 du jugement attaqué.
Sur la décision fixant le pays de destination :
16. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ainsi qu'il est dit aux points 5 à 10 du présent arrêt, le pronostic vital de M. A... serait engagé en cas de retour en Cameroun en l'absence de traitement effectivement disponible dans ce pays pour soigner l'affection dont il est atteint. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de la décision fixant le pays de destination ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions tendant à ce qu'une expertise médicale soit ordonnée avant-dire droit :
17. Eu égard à l'avis du 12 mai 2018 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et aux pièces médicales produites par M. A..., il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise médicale avant-dire droit.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 août 2018 du préfet du Bas-Rhin ainsi que ses conclusions avant-dire droit tendant à ce qu'une expertise médicale soit ordonnée. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles qu'il présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la région Grand Est, préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme D..., présidente,
- Mme Antoniazzi, premier conseiller,
- M. Michel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 octobre 2019.
Le président -rapporteur,
Signé : C. D...
L'assesseur le plus ancien,
Signé : S. Antoniazzi
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 19NC00366