Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 octobre 2017 et 22 décembre 2017, M. et Mme B... ainsi que la SCP Bayle-Chanel-Bayle, représentés par MeA..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 19 septembre 2017 ;
2°) de condamner solidairement la commune de Suippes et la communauté de communes de Suippes et Vesle à leur verser une somme de 13 840 euros en réparation des préjudices subis ;
3°) de mettre solidairement à la charge de la commune de Suippes et de la communauté de communes de Suippes et Vesle le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la responsabilité de la commune de Suippes peut être engagée dès lors que leurs préjudices trouvent leur origine dans la déclaration de projet de travaux et d'intention de commencement de travaux déposée par le maire ainsi que dans les deux arrêtés qu'il a pris sur la circulation des véhicules à l'intérieur de la commune ;
- compte tenu des conditions dans lesquelles la circulation a été organisée pendant les travaux, la commune, en sa qualité d'exploitante de la voirie communale, est responsable des préjudices qu'ils ont subis ;
- la communauté de communes de Suippes et Vesle est également responsable en sa qualité de donneur d'ordre des travaux réalisés sur la route départementale ;
- ce ne sont pas les travaux proprement dits qui ont généré les dommages mais l'organisation de la circulation qui a interdit l'accès à la route départementale desservant leur commerce ;
- la commune de Suippes et la communauté de communes de Suippes et Vesle ont commis une faute dès lors que les règles de circulation édictées par le maire de la commune n'ont pas signalé l'emplacement de leur commerce, entraînant un arrêt total de l'activité ;
- le maire de la commune a commis une faute dans l'exercice de son pouvoir de police au titre des dispositions l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales dès lors que la voie permettant l'accès à leur fonds de commerce a été interdite lors des travaux ;
- le maire aurait pu trouver une autre solution qui aurait permis de conserver l'axe routier, en mettant, par exemple, en place une circulation alternée ;
- ils ont subi un préjudice anormal et spécial ;
- leur préjudice matériel correspondant à une perte de marge commerciale s'élève à une somme de 3 840 euros, ainsi que l'a retenu l'expert ;
- leur préjudice moral lié à l'inquiétude résultant de la procédure de redressement judiciaire et à l'arrêt de leur activité lors de la réalisation des travaux s'élève à une somme de 10 000 euros ;
- leur requête d'appel est recevable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2017, la commune de Suippes et la communauté de communes de Suippes et Vesle, représentées par la SELAS Devarenne Associés
Grand Est, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. et Mme B... le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle se borne à reprendre les arguments de première instance et ne comporte pas une critique du jugement attaqué ;
- la responsabilité de la commune de Suippes n'est pas susceptible d'être engagée dès lors que les travaux réalisés sur la route départementale relatifs à l'assainissement relèvent de la communauté de communes de Suippes et Vesle et que ceux concernant le revêtement de la voirie relèvent du département de la Marne ;
- la responsabilité de la commune ne saurait, par ailleurs être retenue en l'absence de faute commise par le maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police en lien avec les préjudices allégués ;
- la responsabilité de la communauté de communes de Suippes et Vesle ne saurait davantage être retenue en l'absence de lien de causalité entre les travaux réalisés du 15 juillet au 15 août 2013 et le préjudice économique invoqué par M. et MmeB..., leur commerce étant demeuré accessible ainsi qu'il résulte du rapport de l'expert ;
- au cours des travaux, si l'accès en voiture à leur commerce a été restreint, l'accès piétonnier est demeuré possible ;
- des parkings situés au niveau de l'hôtel de ville et d'un supermarché permettaient à la clientèle de se garer à proximité du commerce de M. et MmeB... ;
- la baisse de chiffre d'affaires de leur commerce n'est pas imputable aux travaux réalisés dès lors, ainsi que l'expert l'a relevé, que cette baisse était régulière depuis l'année 2012 ;
- le caractère anormal et spécial des préjudices invoqués par M. et Mme B...n'est pas établi ;
- il n'est pas davantage démontré que leurs préjudices aient pour cause déterminante les travaux réalisés sur la route départementale ;
- la gêne occasionnée par les travaux a été de courte durée et n'a pas excédé les sujétions normales imposées aux riverains de la voie publique dans un but d'intérêt général ;
- pour le mois d'août, le chiffre d'affaires du commerce de M. et Mme B...n'a connu qu'une perte très modérée, passant de 8 462 euros en 2012 à 8 169 euros en 2013 ;
- s'agissant du mois de juillet, la perte de chiffre d'affaires s'inscrit manifestement dans la continuité de la baisse tendancielle déjà observée et une procédure de redressement judiciaire avait d'ailleurs été initiée avant le commencement des travaux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la route ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel, premier conseiller,
- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,
- et les observations de Me C...pour la commune de Suippes et la communauté de communes de Suippes et Vesle.
Considérant ce qui suit :
1. M. et MmeB..., qui exploitent une boulangerie-pâtisserie située au 5, rue Chevallot Aubert à Suippes sur la route départementale n° 977, ainsi que la SCP Bayle-Chanel-Bayle font appel du jugement du 19 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de la commune de Suippes et de la communauté de communes de Suippes et Vesle à leur verser une somme de 13 840 euros en réparation des préjudices économique et moral qu'ils auraient subis du fait des travaux réalisés sur la route départementale n° 977 au cours des mois de juillet et août 2013.
Sur les conclusions présentées par SCP Bayle-Chanel-Bayle :
2. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté comme irrecevable la demande présentée par la SCP Bayle-Chanel-Bayle à l'encontre de la commune de Suippes et de la communauté de communes de Suippes et Vesle en raison du défaut de qualité lui donnant intérêt à agir en qualité d'administrateur judiciaire du commerce des épouxB..., cette mission ayant cessé antérieurement à l'enregistrement de leur demande au tribunal. Devant la cour, la SCP Bayle-Chanel-Bayle ne conteste pas l'irrecevabilité ainsi opposée à sa demande de première instance. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non recevoir soulevée à son encontre par les défenderesses, les conclusions présentées par la SCP Bayle-Chanel-Bayle devant la cour ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires présentées par M. et MmeB... :
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
3. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (...) ". Aux termes de l'article R. 411-21 du code de la route : " Pour prévenir un danger pour les usagers de la voie ou en raison de l'établissement d'un chantier, l'autorité investie du pouvoir de police peut ordonner la fermeture temporaire d'une route ou l'interdiction temporaire de circulation sur tout ou partie de la chaussée, matérialisée par une signalisation routière adaptée (...) ". Enfin, selon l'article L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l'intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l'Etat dans le département sur les routes à grande circulation (...) ".
4. En premier lieu, dès lors qu'en vertu de ces dispositions, il appartenait au seul maire de Suippes de définir, ainsi qu'il l'a fait en l'espèce, les modifications devant être apportées à la circulation sur le territoire de la commune pendant les travaux réalisés sur la portion de la route départementale n° 977, où se situe le commerce de M. et MmeB..., ces derniers ne sont pas fondés à demander la mise en cause de la responsabilité de la communauté de communes de Suippes et Vesle au titre d'une faute que cette dernière aurait commise à cette occasion.
5. En second lieu, par des arrêtés des 3 juillet 2013 et 9 août 2013, le maire de Suippes a interdit la circulation des véhicules sur la portion de la route départementale où est situé le commerce de M. et MmeB..., pour la période allant du 15 juillet 2013 au 15 août 2013, au cours de laquelle ont été réalisés des travaux de remplacement des branchements d'eau potable en plomb, de réhabilitation des canalisations de réseaux d'assainissement des eaux usées ainsi que de pose de l'enrobé.
6. Si l'accès routier au commerce de M. et Mme B...a été ainsi momentanément interdit, il ne résulte pas de l'instruction, dans la mesure où, en outre, l'accès piétonnier est demeuré possible durant toute la période, que le maire de Suippes n'aurait pas édicté une mesure strictement nécessaire et proportionnée pour assurer, pendant la réalisation des travaux, la sécurité des usagers. Il n'a ainsi, dans l'exercice de ses pouvoirs de police, commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
7. Le maître de l'ouvrage est responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public. Il appartient toutefois à la victime qui entend obtenir réparation des dommages qu'elle estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle elle a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice.
S'agissant de l'imputabilité des dommages :
8. Aux termes du III de l'article L. 5211-5 du code général des collectivités territoriales, relatif à la création des établissements publics de coopération intercommunale : " Le transfert des compétences entraîne de plein droit l'application à l'ensemble des biens, équipements et services publics nécessaires à leur exercice, ainsi qu'à l'ensemble des droits et obligations qui leur sont attachés à la date du transfert, des dispositions des trois premiers alinéas de l'article L. 1321-1, des deux premiers alinéas de l'article L. 1321-2 et des articles L. 1321-3, L. 1321-4 et L. 1321-5 (...). / L'établissement public de coopération intercommunale est substitué de plein droit, à la date du transfert des compétences, aux communes qui le créent dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que le transfert par une commune de compétences à un établissement public de coopération intercommunale implique le transfert des biens, équipements et services nécessaires à l'exercice de ces compétences, ainsi que les droits et obligations qui leur sont attachés.
10. Il résulte de l'instruction que les travaux de remplacement des branchements d'eau potable en plomb et de réhabilitation des canalisations de réseaux d'assainissement des eaux usées réalisés du 15 juillet au 9 août 2013 sur la route départementale n° 977, ont été effectués pour le compte de la communauté de communes de Suippes et Vesle, et que ceux relatifs à la pose de l'enrobé du 12 au 14 août 2013, l'ont été pour le compte du département de la Marne dont les époux B...n'ont pas demandé la mise en cause.
11. La commune de Suippes n'avait pas, dans ces conditions, la qualité de maître d'ouvrage de ces travaux et contrairement, en outre, à ce que soutiennent les requérants, le seul exercice par le maire de Suippes des pouvoirs de police qu'il détient en vertu des dispositions citées au point 3 ci-dessus, ne saurait suffire à regarder la commune comme une exploitante de la voirie en vue de rechercher sa responsabilité sans faute au titre des dommages subis par M. et Mme B....
12. Il résulte de ce qui précède que seule la responsabilité sans faute de la communauté de communes de Suippes et Vesle serait susceptible d'être mise en cause au titre des préjudices subis par M. et MmeB....
S'agissant des préjudices :
13. Il résulte de l'instruction que les travaux sur la portion de route départementale où est situé le commerce de M. et Mme B...n'ont duré qu'une trentaine de jours et ont été réalisés pour partie au mois d'août, période de l'année au cours de laquelle, ainsi qu'il résulte notamment du rapport de l'expert, leurs répercussions étaient les moins préjudiciables à l'activité de cet établissement. En outre, ainsi qu'il a été dit plus haut, si la circulation automobile a été momentanément interdite, l'accès piétonnier à la boulangerie-pâtisserie est toujours demeuré possible. Dans ces conditions, la restriction d'accès occasionnée par les travaux ne peut être regardée comme ayant excédé les sujétions que sont tenus de supporter sans indemnité les riverains dans l'intérêt de la voirie. Il en résulte que le préjudice économique et le préjudice moral dont se prévalent M. et Mme B... ne peuvent être regardés comme présentant un caractère anormal et ne peuvent, par suite, ouvrir droit à une indemnisation.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la commune de Suippes et la communauté de communes de Suippes et Vesle, que M. et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Suippes et de la communauté de communes de Suippes et Vesle, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que M. et Mme B...demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme B... le versement de la somme que la commune de Suippes et la communauté de communes de Suippes et Vesle demandent sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... et de la SCP Bayle-Chanel-Bayle est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Suippes et de la communauté de communes de Suippes et Vesle présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...B..., à Mme D...B..., à la SCP Bayle-Chanel-Bayle, à la commune de Suippes et à la communauté de communes de Suippes et Vesle.
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N° 17NC02440