Par une requête enregistrée le 24 juillet 2018, M. B..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 27 juin 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du préfet de l'Aube du 4 décembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de lui accorder le bénéfice du regroupement familial en faveur de ses deux enfants dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le préfet a méconnu l'étendue de son pouvoir d'appréciation en se croyant lié par la seule circonstance de la présence irrégulière en France de son épouse et de leurs deux enfants ;
- il n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2019, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Wallerich, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant algérien, né le 8 mai 1968, est entré en France en 2003 et a obtenu en 2008 un certificat de résidence valable jusqu'au 25 mai 2018. Il a sollicité le 2 mars 2017 le bénéfice du regroupement familial en faveur de son épouse et des deux enfants qu'il en a eus et qui sont nés en Algérie. L'intéressé relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne demande l'annulation de la décision du 4 décembre 2017 par laquelle le préfet de l'Aube a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les membres de famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent./ Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1 Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont pris en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; / 2 Le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France./ Peut être exclu de regroupement familial : (...) / 2 Un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français./ Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées au Titre II du Protocole annexé au présent Accord. Un regroupement familial partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. (...) ".
3. Lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet dispose d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu de rejeter la demande même dans le cas où l'étranger demandeur du regroupement ne justifierait pas remplir l'une des conditions de fond prévues par les stipulations de l'article 4 précité, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B...réside en France de manière habituelle depuis 2003 et bénéficiait, à la date de la décision attaquée, d'un certificat de résidence valable jusqu'en 2018, titre au demeurant renouvelé depuis lors jusqu'en 2028. Il a épousé une compatriote en Algérie en 2000 et le couple a trois enfants dont le dernier est né en France en 2016. Si le requérant n'a déposé une demande de regroupement familial en faveur de son épouse et de ses enfants qu'en mars 2017, toute la famille est réunie en France depuis 2016 et les deux aînés y sont scolarisés. Dans les circonstances particulières de l'espèce, le préfet, en refusant la mesure de regroupement familial sur place sollicité par M.B..., a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués, que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Aube du 4 décembre 2017.
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle et ressortant des pièces du dossier, la délivrance à M. B...de l'autorisation de regroupement familial. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions précitées, d'enjoindre au préfet de l'Aube de délivrer à M. B...l'autorisation de regroupement familial dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B...d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1800246 du 27 juin 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et la décision du 4 décembre 2017 du préfet de l'Aube sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Aube de délivrer à M. B...l'autorisation de regroupement familial dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B...une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.
2
N° 18NC02090