Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 octobre 2015, Mme C..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 22 septembre 2015 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 28 avril 2015 pris à son encontre par le préfet de l'Aube ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de lui délivrer une carte de séjour temporaire et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient :
S'agissant de la décision de refus de titre de séjour, que :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet n'a pas examiné sa situation au regard de la circulaire du 28 novembre 2012 ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français, que :
- cette décision est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2016, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Michel, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que Mme A...C...épouseD..., ressortissante algérienne née le 24 mars 1966, est entrée en Allemagne le 28 décembre 2005, accompagnée de son fils Mohammed Amine, sous couvert d'un visa court séjour valable du 22 décembre 2005 au 22 janvier 2006 délivré par le consulat allemand à Alger, et s'est rendue en France le même jour avec son fils, selon ses déclarations ; que Mme C...a sollicité le 12 février 2006 la délivrance d'un titre de séjour en invoquant l'état de santé de son fils ; qu'à la suite de la délivrance d'autorisations provisoires de séjour, le préfet de l'Aube lui a délivré un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " visiteur ", compte tenu de l'avis du médecin inspecteur de la santé publique du 4 février 2008 estimant que son enfant nécessitait des soins de longue durée en France pour une durée minimale de deux ans ; qu'à la suite d'un nouvel avis du 22 septembre 2009 du médecin inspecteur de la santé publique selon lequel l'enfant pouvait poursuivre sa rééducation et avoir accès à un traitement adapté à son état de santé en Algérie, le préfet de l'Aube, par un arrêté du 16 février 2010, a refusé de délivrer à Mme C...un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être renvoyée ; que l'intéressée ayant produit deux certificats médicaux de médecins de l'hôpital Necker, le médecin inspecteur de la santé publique a estimé, par un avis du 25 mars 2011, que l'état santé de l'enfant nécessitait une prise en charge médicale d'une durée de douze mois qui ne pouvait avoir lieu en Algérie ; que Mme C...a alors bénéficié d'une autorisation provisoire séjour, régulièrement renouvelée jusqu'au 30 septembre 2014 ; qu'à la suite du décès de son enfant en France le 1er juin 2014, Mme C...a déposé une demande d'admission au séjour en invoquant la durée de sa résidence en France depuis le 28 décembre 2005 ainsi que la présence sur le territoire français de ses deux filles depuis 2010, en faisant valoir le caractère exceptionnel et humanitaire de sa situation ; que par un arrêté du 28 avril 2015, le préfet de l'Aube a refusé de délivrer à Mme C... un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être renvoyée ; que Mme C...relève appel du jugement du 22 septembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme C...réside sur le territoire français depuis l'année 2006 et a bénéficié d'un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " visiteur " puis d'autorisations provisoires de séjour jusqu'au 30 septembre 2014, en raison de l'état de santé de son fils mineur polyhandicapé nécessitant des soins en France en raison de la myéloméningocèle associée à une hydrocéphalie dont il était atteint ; que cet enfant né le 8 juin 2004 est décédé le 1er juin 2014 sur le territoire français où il est enterré ; qu'à la date de la décision en litige, Mme C... justifie d'une résidence régulière et continue en France de près de huit ans ; que ses deux filles, nées le 13 janvier 1999 et le 2 février 2002, sont entrées en France en 2010 et résident sur le territoire français depuis cinq ans où elles sont scolarisées au titre de l'année 2015 / 2016 au lycée des Lombards et au collège Marie Curie en 5ème à Troyes ; que, par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la tante de MmeC..., ressortissante française, réside dans la même ville que la requérante et l'aide depuis son entrée sur le territoire français ; que, par suite, et alors même que Mme C...n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de trente-huit ans et où résident notamment ses parents, dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu notamment de la durée de sa présence en France et des conditions de son séjour sur le territoire français, la décision de refus de titre de séjour opposée à Mme C...a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquel s elle a été prise ; que, dès lors, le moyen tiré de l'inexacte application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être accueilli ; que les décisions obligeant Mme C...à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation de la décision refusant de lui accorder un titre de séjour ;
4. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. Considérant que l'annulation de la décision de refus de titre de séjour opposée à Mme C... le 28 avril 2015 implique nécessairement, compte tenu du motif retenu ci-dessus, et en l'absence au dossier de tout élément indiquant que la situation de Mme C...se serait modifiée en droit ou en fait, que le préfet de l'Aube lui délivre une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C...et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1501043 du 22 septembre 2015 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et l'arrêté du 28 avril 2015 par lequel le préfet de l'Aube a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme C...et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant son pays de destination sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Aube de délivrer à Mme A... C...une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme C...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par Mme C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C..., au ministre de l'intérieur et au préfet de l'Aube.
''
''
''
''
3
N° 15NC02152