Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 novembre 2017, la commune d'Estissac, représentée par Me A...de la SCP ACG, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 19 septembre 2017 en tant qu'il a limité la condamnation prononcée à l'encontre de la SELARL Hartmann, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Energico, et de la société Raphaël Guillaume à lui verser une somme de 7 764,58 euros ;
2°) de condamner solidairement la SELARL Hartmann, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Energico, et la société Raphaël Guillaume, représentée par MeD..., mandataire judiciaire, à lui verser une somme de 38 822,91 euros à titre de réparation de son préjudice financier ;
3°) de mettre à la charge de la SELARL Hartmann, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Energico, et de la société Raphaël Guillaume le versement chacune d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le problème de la vis sans fin de la chaudière à bois a entraîné à lui seul un encrassement anormal des parois du corps de chauffe de sorte qu'au moins la moitié de son préjudice relève de la garantie décennale dont sont solidairement redevables les sociétés Energico et Raphaël Guillaume ;
- la responsabilité contractuelle de ces sociétés est également engagée en ce qu'elles ont manqué à leur devoir de conseil en omettant d'appeler son attention, lors de la réception, sur l'absence de réglage de la chaudière à bois et de remise des documents techniques et en s'abstenant de formuler des préconisations quant à son réglage.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2018, MeD..., en qualité de mandataire judiciaire de la société Raphaël Guillaume, représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'annuler le jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à la commune d'Estissac une somme de 7 764,58 euros ;
3°) subsidiairement, de limiter la part de responsabilité de la société Raphaël Guillaume à hauteur de 5 % du montant total du dommage ;
4°) en cas de condamnation solidaire, de condamner la société Energico et la société Nideck Chauffage à le garantir à hauteur de 95 % des condamnations prononcées à son encontre ;
5°) de mettre à la charge de la commune d'Estissac, de la société Energico et de la société Nideck Chauffage le versement d'une somme globale de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité contractuelle de la société Raphaël Guillaume ne peut être recherchée compte tenu de l'intervention du décompte général définitif ;
- la garantie décennale ne saurait être retenue dès lors que la solidité de la chaudière à bois n'était pas compromise et qu'elle n'était pas impropre à sa destination, la chaudière à gaz, prévue au marché, ayant assuré la relève pendant la période de dysfonctionnement ;
- l'expert ne retient que sa responsabilité contractuelle pour n'avoir pas procédé au réglage de la chaudière ;
- la commune connaissait les désordres dans toute leur ampleur lors de la réception et de la mise en service de la chaudière ;
- subsidiairement, ainsi que l'a estimé le tribunal, les désordres résultent, d'une part, d'un mauvais approvisionnement du foyer en bois à raison de la longueur insuffisante de la vis sans fin alimentant la chaudière en combustible et, d'autre part, des erreurs commises par la commune dans la mise en service de la chaudière ;
- seule une partie des désordres peut être regardée comme imputable aux sociétés Energico et Raphaël Guillaume à hauteur de 20 % ;
- elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle ;
- sa responsabilité contractuelle ne saurait être retenue au titre d'un manquement à son devoir de conseil car la commune a prononcé la réception de l'ouvrage alors qu'elle connaissait les désordres qui l'affectaient ;
- en tout état de cause, la société Energico n'avait pas connaissance du défaut affectant la vis sans fin et la commune ne se prévaut d'aucune stipulation contractuelle qui aurait pu être méconnue par le maître d'oeuvre ;
- la commune est responsable des désordres qui sont consécutifs au manque d'entretien de la chaudière par son personnel ;
- le réglage initial de la chaudière incombait à la société Nideck Chauffage et c'est un défaut de réglage qui est la cause directe du dysfonctionnement de la chaudière ;
- l'insuffisante longueur de la vis sans fin constitue un défaut de conception exclusivement imputable à la société Energico, maître d'oeuvre ;
- sa responsabilité, compte tenu de l'absence de remise du dossier des ouvrages exécutés, ne saurait être supérieure à 5 % et en cas de condamnation solidaire, elle doit être garantie par la société Nideck Chauffage et la société Energico à concurrence de la part excédant cette proportion ;
- si elle est condamnée à indemniser la commune, il y a lieu de confirmer la répartition et le pourcentage retenus par le tribunal.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Louis, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 19 décembre 2005, la commune d'Estissac a confié à un groupement solidaire composé de la société Energico, mandataire, et de la société Architecture consulting, la maîtrise d'oeuvre des travaux de construction d'une nouvelle chaufferie et de réseaux de chaleur. Le lot n° 5 " chauffage " d'un montant de 265 384,15 euros hors taxes a été confié, le 30 juillet 2007, à la société Raphaël Guillaume qui a sous-traité la fourniture de la chaudière à bois à la société Nideck Chauffage. La réception sans réserve des travaux est intervenue au mois d'août 2008 avec effet en juin 2008. Cependant, dès sa mise en service, l'hiver suivant, la chaudière à bois a connu une succession de dysfonctionnements qui ont finalement conduit la commune à la mettre à l'arrêt en novembre 2010. Une expertise judiciaire a été organisée à la demande de la commune d'Estissac par ordonnance du 10 août 2011 du président du tribunal de grande instance de Troyes et M. C..., expert désigné, a déposé son rapport le 17 juillet 2012. La commune d'Estissac a alors demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner solidairement les sociétés Energico, Raphaël Guillaume et Nideck Chauffage, à l'indemniser des préjudices qu'elle estimait avoir subis. Par un jugement du 19 septembre 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a seulement condamné solidairement la SELARL Hartmann, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Energico, et la société Raphaël Guillaume à verser à la commune d'Estissac une somme de 7 764,58 euros, et, s'agissant des demandes de la société Raphaël Guillaume, a condamné la société Energico à la garantir à hauteur de 95 % des condamnations prononcées à son encontre. La commune d'Estissac fait appel de ce jugement en tant qu'il a limité la condamnation prononcée à son profit à une somme de 7 764,58 euros. Par la voie de l'appel incident, la société Raphaël Guillaume demande à la cour d'annuler ce même jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser cette somme à la commune d'Estissac.
Sur la responsabilité contractuelle :
2. Il appartient au maître de l'ouvrage, lorsqu'il lui apparaît que la responsabilité de l'un des participants à l'opération de construction est susceptible d'être engagée à raison de fautes commises dans l'exécution du contrat conclu avec celui-ci, soit de surseoir à l'établissement du décompte jusqu'à ce que sa créance puisse y être intégrée, soit d'assortir le décompte de réserves. A défaut, si le maître d'ouvrage notifie le décompte général du marché, le caractère définitif de ce décompte fait obstacle à ce qu'il puisse obtenir l'indemnisation de son préjudice éventuel sur le fondement de la responsabilité contractuelle du constructeur, y compris lorsque ce préjudice résulte de désordres apparus postérieurement à l'établissement du décompte. Il lui est alors loisible, si les conditions en sont réunies, de rechercher la responsabilité du constructeur au titre de la garantie décennale et de la garantie de parfait achèvement lorsque celle-ci est prévue au contrat.
3. En premier lieu, si la commune d'Estissac soutient que la maîtrise d'oeuvre a manqué à son devoir de conseil lors de la réception des travaux du lot n° 5 dès lors qu'elle s'est abstenue d'appeler son attention sur l'absence de réglage de la chaudière à bois et de remise de l'ensemble des documents techniques et n'a pas formulé de préconisations pour le réglage de la chaudière, de sorte qu'elle n'a pas été mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves, les manquements allégués ne relèvent pas de l'obligation de conseil du maître d'oeuvre.
4. En second lieu, la commune d'Estissac ne peut davantage invoquer un manquement de la société Raphaël Guillaume à son devoir de conseil lors de la réception des travaux dès lors qu'il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté que le décompte du marché, qui ne contenait aucune réserve relative à la façon dont la société s'est acquittée de son obligation de conseil, était devenu définitif, le 16 juin 2008.
Sur la responsabilité décennale des constructeurs :
5. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure.
6. L'opération de travaux en litige avait pour objet la construction d'une chaufferie centrale automatisée, comprenant une chaudière à bois et un dispositif de secours constitué d'une chaudière à gaz, ainsi que la réalisation de réseaux de chaleur pour alimenter notamment la mairie, le centre de loisirs, l'école maternelle et le centre médico-social. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert judiciaire du 17 juillet 2012 qu'à compter de la mise en service de la chaudière à bois, lors de l'hiver 2008, cette installation n'a jamais atteint le rendement souhaité durant l'année 2008/2009 avant de tomber en panne définitive en 2010, la chaudière à gaz ayant alors, au cours de cette période, fourni en relève 80 % de la production de chaleur avant de tomber à son tour en panne. Contrairement à ce que soutient M. D..., en qualité de mandataire judiciaire de la société Raphaël Guillaume, le dysfonctionnement de la chaudière à bois qui constitue un élément indissociable de la chaufferie centrale, est de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination.
7. Il résulte également de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le dysfonctionnement de la chaudière à bois résulte d'un encrassement anormal des parois du corps de chauffe trouvant en partie son origine dans un défaut d'approvisionnement en bois du foyer lié à la longueur insuffisante de la vis sans fin alimentant la chaudière en combustible. L'instruction ne permet pas d'établir que ce défaut aurait été apparent au jour de la réception de l'ouvrage prononcée sans réserve par le maître de l'ouvrage le 26 août 2008. Dans ces conditions, et dès lors qu'il a concouru au dysfonctionnement de la chaudière à bois, le désordre en résultant doit être regardé comme imputable à la société Energico, maître d'oeuvre, ainsi qu'à la société Raphaël Guillaume, en charge de la construction de la chaufferie.
8. Le rapport d'expertise révèle toutefois que l'encrassement du corps de chauffe a également pour causes le mauvais réglage, par le personnel de la commune, de la chaudière à bois dès sa mise en service ainsi qu'un entretien insuffisant de l'installation, par la suite. Dans ces conditions, la commune d'Estissac doit aussi être regardée comme responsable des désordres ayant affecté le système de chauffage et elle ne saurait rechercher la responsabilité solidaire du maître d'oeuvre et de l'entrepreneur qu'à concurrence de la part des conséquences dommageables de ces désordres qui n'est pas imputable à ses propres fautes. Dans les circonstances de l'espèce, la commune d'Estissac n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont limité la part de responsabilité du maître d'oeuvre et de l'entrepreneur à 20 % de ces conséquences dommageables.
9. Il résulte de ce qui précède que la société Raphaël Guillaume n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamnée solidairement avec la société Energico à verser à la commune d'Estissac une somme de 7 764,58 euros. Par ailleurs, la commune d'Estissac n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel principal, que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal a limité à cette somme le montant de cette condamnation.
Sur l'appel en garantie présenté par la société Raphaël Guillaume :
10. En premier lieu, la compétence de la juridiction administrative, pour connaître des litiges nés de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux ne s'étend pas à l'action en garantie du titulaire du marché contre son sous-traitant avec lequel il est lié par un contrat de droit privé. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions de la société Raphaël Guillaume tendant à être garantie de la condamnation prononcée à son encontre par son sous-traitant, la société Nideck Chauffage, comme étant portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
11. En second lieu, en se bornant à reproduire les conclusions présentées devant le tribunal administratif, la société Raphaël Guillaume ne produit aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges qui, au regard des fautes respectives des co-obligés, ont condamné la société Energico à la garantir à concurrence de 95 % de la somme de 7 764, 58 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune d'Estissac est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de Me D..., mandataire judiciaire de la société Raphaël Guillaume, ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Estissac, à Me D..., mandataire judiciaire de la société Raphaël Guillaume, et à la SELARL Hartmann, liquidateur judiciaire de la société Energico.
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N° 17NC02824