I. Par une requête enregistrée le 7 septembre 2018, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 août 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... A...devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Il soutient que :
- il n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'application des textes relatifs au droit de tout Etat d'examiner lui-même une demande de protection internationale ;
- aucun des autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2018, M. B...A..., représenté par Me Sabatakakis, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2018 du préfet du Haut-Rhin et d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile valant autorisation provisoire de séjour en France dans un délai de deux semaines à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) dans tous les cas, à ce que le versement d'une somme de 1 800 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- son transfert vers la Belgique aura pour conséquence son renvoi en Afghanistan dès lors qu'il y a été débouté de sa demande d'asile en 2017 et a fait l'objet d'un ordre de quitter le territoire à destination de l'Afghanistan ;
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article 4 du règlement UE n° 604/2013 du parlement et du conseil du 26 juin 2013 ;
- sa motivation est insuffisante.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2018.
II. Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 7 septembre 2018 et le 18 octobre 2018 sous le n° 18NC02445, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1804845 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg.
Le préfet soutient que le moyen qu'il soulève dans le cadre de sa requête d'appel n° 18NC02444 est sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2018, M. B...A..., représenté par Me Sabatakakis, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- son transfert vers la Belgique aura pour conséquence son renvoi en Afghanistan dès lors qu'il y a été débouté de sa demande d'asile en 2017 et a fait l'objet d'un ordre de quitter le territoire à destination de l'Afghanistan ;
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article 4 du règlement UE n° 604/2013 du parlement et du conseil du 26 juin 2013 ;
- sa motivation est insuffisante.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Wallerich, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., de nationalité afghane, est entré en France et a sollicité l'asile le 5 juin 2018. Constatant, à la suite de la consultation du fichier Eurodac, que l'intéressé avait préalablement déposé une demande d'asile en Belgique, le préfet du Haut-Rhin a obtenu des autorités belges, le 14 juin 2018, leur accord de reprise en charge de l'intéressé sur le fondement des dispositions du d) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013. Par un arrêté du 6 juillet 2018, notifié le 3 août suivant, le préfet du Haut-Rhin a ordonné le transfert de M. A...vers la Belgique. Par jugement du 10 août 2018, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté. Par une requête d'appel enregistrée sous le n° 18NC02444, le préfet du Haut-Rhin demande l'annulation de ce jugement et par une requête enregistrée sous le n° 18NC02445, il demande qu'il soit sursis à son exécution.
2. Les deux requêtes, nos 18NC02444 et 18NC02445, sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :
3. Aux termes du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ". Aux termes du 1 de l'article 17 de ce règlement : " (...) chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (... ) ". Selon l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du même code : " (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre État ".
4. Pour annuler, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, la décision de transfert de M. A... vers la Belgique, le premier juge a retenu l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet au regard de la circonstance que les autorités belges ayant déjà rejeté la demande d'asile de M. A..., son transfert vers la Belgique aurait pour conséquence son renvoi vers l'Afghanistan, avec un passage obligé par Kaboul où, compte tenu de la situation de conflit armé et intense qui s'y déroule, l'intéressé serait exposé à un risque réel.
5. Toutefois, alors que la décision contestée a seulement pour objet de renvoyer M. A... en Belgique, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités belges auraient déjà pris une mesure en vue de l'éloigner à destination de l'Afghanistan. En outre, la Belgique est membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les autorités belges, à la lumière de ces textes qu'elles se sont obligées à mettre en oeuvre, ne procèderont pas, à la requête de l'intéressé ou même d'office, à une évaluation des risques de mauvais traitements auxquels M. A... pourrait être exposé du seul fait de son éventuel retour en Afghanistan.
6. Dans ces conditions, le préfet du Haut-Rhin est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert, le premier juge s'est fondé sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'il aurait commise.
7. Il appartient cependant à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant devant le tribunal administratif de Strasbourg qu'au cours de l'instance d'appel.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M.A... :
8. Il résulte des dispositions des articles 4 et 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions susmentionnées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
9. Il ressort des pièces du dossier que les services préfectoraux n'ont remis
à M. A...le guide du demandeur d'asile en France et l'annexe A " J'ai demandé l'asile dans l'Union Européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " que le 3 août 2018, lors de la notification de l'arrêté du 6 juillet 2018 par lequel le préfet a prononcé son transfert vers la Belgique. L'autorité préfectorale a ainsi méconnu l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit qu'un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, doit être remis aux intéressés au début de la procédure d'examen de leurs demandes. Dans ces conditions, la décision prescrivant le transfert de M. A...vers la Belgique est intervenue à l'issue d'une procédure dont l'irrégularité a eu pour effet de le priver d'une garantie. Par suite, cette décision est entachée d'une illégalité de nature à en entraîner l'annulation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Haut-Rhin n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 6 juillet 2018.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
11. La cour se prononçant par le présent arrêt sur le bien fondé du jugement du 10 août 2018, les conclusions du préfet du Haut-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu de statuer.
Sur les frais liés aux instances :
12. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Sabatakakis, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du préfet du Haut-Rhin le versement
à Me Sabatakakis de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête n° 18NC02444 du préfet du Haut-Rhin est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet du Haut-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1804845 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg.
Article 3 : L'Etat versera à Me Sabatakakis, avocat de M.A..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Sabatakakis renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
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N° 18NC02444-18NC02445