Par un jugement n° 1709722-1709723 du 24 janvier 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 1er février 2018 et 27 avril 2018, M. et MmeE..., représentés par MeF..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de faire droit à leurs demandes ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vendée, à titre principal, de leur délivrer un titre de séjour, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation dans un délai de quinze jours à compter la notification de l'arrêt à intervenir et, dans cette attente, de les munir d'un récépissé ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me Néraudauen application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 34 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il ne se prononce pas sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 33 de la convention de Genève et ne vise pas le mémoire du 4 décembre 2017, dans lequel ce moyen était présenté, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;
- les décisions portant refus de titre de séjour sont insuffisamment motivées ; elles n'ont pas été précédées de l'examen de leur situation personnelle ; elles méconnaissent le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elles méconnaissent le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français sont insuffisamment motivées ; elles doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour ; elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elles méconnaissent le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les décisions fixant leur pays de renvoi d'office sont insuffisamment motivées ; elles méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elles méconnaissent le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; elles méconnaissent l'article 33 de la convention de Genève.
Par des mémoires en défense enregistrés le 24 avril 2018 et 7 mai 2018, le préfet de la Vendée conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par une décision du 5 mars 2018, M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique ;
- le rapport de Mme Malingue,
- les observations de MeF..., représentant M. et MmeE....
Considérant ce qui suit :
1. M. C...E...et Mme A...G..., ressortissants russes d'origine tchéchène, nés respectivement en 1984 et 1981, sont, selon leurs déclarations, entrés en France le 18 décembre 2012 de manière irrégulière. Après le rejet de leurs demandes d'asile, ils ont sollicité le 10 mars 2016 leur admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile séjour, puis le 4 février 2017 la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du même code. Par deux arrêtés du 9 juin 2017, le préfet de la Vendée a rejeté leurs demandes, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être reconduits d'office à l'expiration de ce délai et les a astreints à se présenter aux services de la gendarmerie de Challans afin d'indiquer les diligences accomplies dans la préparation de leur départ. M. et Mme E...ont alors demandé l'annulation de ces arrêtés au tribunal administratif de Nantes, lequel, après avoir joint leurs demandes, les a rejetées par un jugement du 24 janvier 2018 dont ils relèvent appel.
Sur la régularité du jugement :
2. En première instance, M. et Mme E...ont produit chacun le 4 décembre 2017, avant la clôture de l'instruction, un mémoire dans lequel ils soulevaient un nouveau moyen tiré de la méconnaissance de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Le tribunal n'a ni visé ces mémoires ni répondu à ce moyen. Dès lors, compte tenu, d'une part, de ce qu'ils ne développaient aucun élément nouveau pour le surplus et, d'autre part, que le moyen devait être regardé comme présenté à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions fixant leur pays de renvoi d'office, le jugement est entaché d'irrégularité et doit être annulé dans la seule mesure où il statue sur ces conclusions.
3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. et Mme E...contre les décisions fixant leur pays de renvoi. Il appartient à la cour de statuer par la voie de l'effet dévolutif sur les autres conclusions.
Sur les décisions portant refus de titre de séjour :
4. En premier lieu, les décisions comportent les circonstances de fait et de droit sur lesquelles elles se fondent. Par suite, et quand bien même elles ne visent pas la convention internationale relative aux droits de l'enfant, elles satisfont à l'obligation de motivation prévue par les articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la motivation circonstanciée des décisions, que le préfet de la Vendée a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. et Mme E...avant de décider de leur refuser la délivrance d'un titre de séjour.
6. En troisième lieu, M. et Mme E...sont entrés en France en dernier lieu, le 18 décembre 2012, de manière irrégulière selon leurs déclarations et s'y sont maintenus dans l'attente de l'examen de leurs demandes d'asile qu'ils n'ont introduites qu'un an après leur arrivée sur le territoire et qui ont fait l'objet de refus. S'ils se prévalent de leur intégration à la société française, notamment par leur apprentissage de la langue française, leurs activités associatives bénévoles, la scolarisation de deux de leurs trois enfants et l'engagement de M. E... dans la pratique et l'enseignement de la lutte sportive de haut niveau ainsi que des promesses d'embauche dont il bénéficie, ils étaient présents, à la date des décisions contestées, depuis moins de six ans sur le territoire français où ils étaient entrés à l'âge respectif de vingt-huit et trente-et-un ans. Par ailleurs, les trois enfants mineurs du couple nés en 2011, 2012 et 2017, dont deux en France, ont vocation à suivre leurs parents. Dans ces conditions, les décisions portant refus de titre de séjour n'ont pas porté au droit de M. et Mme E...au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts qu'elles ont poursuivis. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
7. En quatrième lieu, et compte tenu notamment de ce qui est indiqué au point 6, le préfet de la Vendée, en estimant que M. et Mme E...ne justifiaient ni de considérations humanitaires ni de motifs exceptionnels d'admission exceptionnelle au séjour, n'a pas entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu notamment du fait que les décisions n'ont pas pour effet de séparer nécessairement les enfants de leurs parents, que celles-ci auraient méconnu l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Sur les décisions portant obligation à quitter le territoire français :
9. En premier lieu, en vertu du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans le cas prévu au 3° où elle fait suite à un refus de titre de séjour. Dans ces conditions, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
10. En deuxième lieu, les décisions portant refus de titre de séjour n'étant pas annulées, M. et Mme E...ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français par voie de conséquence de l'annulation de ces décisions.
11. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 6 et 8, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
Sur les décisions fixant le pays de renvoi :
12. En premier lieu, les décisions ont été signées par le secrétaire général de la préfecture de Vendée, M. D...B..., préfet par intérim en application du I de l'article 45 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur manque en fait et doit être écarté.
13. En deuxième lieu, les décisions comportent les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement et sont, par suite, suffisamment motivées.
14. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la motivation circonstanciée des décisions, que le préfet de la Vendée a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. et Mme E...avant de fixer leur pays de renvoi d'office.
15. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés respectivement aux points 6 et 8, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
16. En cinquième lieu, M. et Mme E...soutiennent qu'ils craignent pour leur sécurité en cas de retour en Fédération de Russie en raison, d'une part, de leur origine tchétchène et, d'autre part, de leur situation personnelle. Ils invoquent l'accusation, portée à l'encontre de M. E..., de collusion avec les opposants politiques pour avoir refusé de participer à une opération menée contre ces derniers, après avoir entraîné, en sa qualité de lutteur professionnel, des membres des forces de police tchétchènes. M. E...aurait été enlevé et torturé et accusé fallacieusement d'une agression commise le 26 novembre 2011. Toutefois, les seuls éléments qu'ils apportent et notamment l'attestation du frère du requérant, établie pour les besoins de la cause, ou celles de l'organisation non-gouvernementale " Coalition ", dont les garanties d'authenticité ne sont pas suffisantes, ne permettent pas d'admettre la réalité de leurs craintes, lesquelles ne sauraient résulter de leur seule origine. Par ailleurs, l'attestation du 28 mars 2018 produite et présentée comme émanant du cousin de MmeG..., reconnu réfugié, ne comporte aucune indication précise sur les risques encourus et n'est assortie d'aucun élément permettant d'établir un lien de famille avec la requérante. Leurs demandes d'asile ont d'ailleurs été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ainsi que par la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, les décisions ne méconnaissent ni l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. En dernier lieu, aux termes du 1 de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : " Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. ". Le moyen tiré de la méconnaissance du 1 de l'article 33 de la convention de Genève n'est opérant à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi que tant qu'il n'a pas été statué par une décision passée en force de chose jugée sur le statut de réfugié.
18. Les demandes initiales d'admission au statut de réfugié de M. et Mme E...ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 8 juin 2015 et la Cour nationale du droit d'asile le 8 février 2016. Leur première demande de réexamen, présentée le 24 juin 2016, a été rejetée par l'Office le 30 juin 2016 et par la Cour le 18 avril 2017. Cette dernière décision était, à la date du 18 avril 2017, passée en force de chose jugée. De ce fait, à la date, du 9 juin 2017, des décisions fixant la Russie comme pays de renvoi, le statut de réfugié avait été refusé aux requérants par une décision définitive et les intéressés n'avaient plus la qualité de demandeurs d'asile alors même que, le délai de pourvoi en cassation, notamment, n'étant pas expiré, cette même décision n'était pas encore irrévocable. En outre, M. et Mme E...ne peuvent se prévaloir de la qualité de demandeurs d'asile du fait de leur deuxième demande de réexamen dès lors que cette nouvelle demande, présentée le 18 octobre 2017 - qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 23 octobre 2017 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 23 mars 2018 - était postérieure au 9 juin 2017. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 doit être écarté comme inopérant.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E...ne sont ni fondés à demander l'annulation des décisions du 9 juin 2017 du préfet de la Vendée fixant leur pays de renvoi d'office ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leurs conclusions dirigées contre les autres décisions du 9 juin 2017 prises à leur encontre par le préfet de la Vendée. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, leurs conclusions à fins d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 24 janvier 2018 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. et Mme E...dirigées contre les décisions du 9 juin 2017 du préfet de la Vendée fixant leur pays de renvoi d'office.
Article 2 : Les demandes de M. et Mme E...dirigées contre les décisions mentionnées à l'article 1er du présent arrêt et le surplus de leurs conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...E..., à Mme A...G...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée, pour information, au préfet de la Vendée.
Délibéré après l'audience du 30 août 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme Malingue, premier conseiller.
Lu en audience publique le 4 octobre 2018.
Le rapporteur,
F. MalingueLe président,
F. Bataille
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 18NT00423