Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2019, Mme E..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Manche, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours à compter de la même notification ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Manche d'effacer son nom du fichier des personnes recherchées et système d'information Schengen ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté a été signé par une autorité qui n'a pas reçu une délégation de signature de la part du préfet dès lors que ce dernier n'a pas pris ses fonctions à la date de l'arrêté ;
- elle n'a pas été entendue avant que l'arrêté contesté ne soit pris ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée, a été prise sans un examen préalable et complet de sa situation personnelle et une saisine du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'illégalité dès lors qu'elle aurait pu prétendre à un titre de séjour de plein droit ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant un an est insuffisamment motivée, a été prise sans un examen complet de sa situation personnelle, est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation et porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2019, le préfet de la Manche conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite du rejet de la demande d'asile de Mme E..., ressortissante nigériane, le préfet de la Manche, par un arrêté du 12 juin 2019, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant un an. Mme E... relève appel du jugement du 7 août 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté.
2. Par un arrêté du 3 juin 2019 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, le préfet de la Manche qui a pris ses fonctions officielles à cette même date, a donné délégation à Mme F... B..., directrice des collectivités, de la citoyenneté et de la légalité, à l'effet de signer, notamment, les obligations de quitter le territoire français, les arrêtés fixant le pays de destination et les interdictions de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté manque en fait et doit être écarté.
3. Mme E... soutient qu'elle n'a pas été entendue avant que l'arrêté contesté ne soit pris à son encontre. Elle invoque à l'appui de ce moyen l'article 44 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 qui a modifié les dispositions de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile selon lesquelles " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, l'invite à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 511-4, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour. ". Toutefois, conformément au IV de l'article 71 de cette loi, ces dispositions entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'Etat, au plus tard le 1er mars 2019 et s'appliquent aux demandes qui lui sont postérieures. La demande d'asile de Mme E... ayant été présentée le 9 décembre 2016, soit antérieurement à la loi, celle-ci ne peut pas en revendiquer le bénéfice. Dès lors, le moyen tiré de la violation du droit d'être entendu doit être écarté.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. Mme E... reprend en appel sans apporter aucun élément nouveau en droit et en fait les moyens invoqués en première instance et tirés de l'insuffisante motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de l'absence d'un examen particulier de sa situation par le préfet de la Manche. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le magistrat désigné, d'écarter ces moyens.
5. Si Mme E... soutient que le préfet de la Manche aurait dû saisir le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration avant de prendre sa décision portant obligation de quitter le territoire français, elle apporte des certificats et des comptes rendus médicaux qui ne permettent pas de démontrer que la gravité de son état de santé justifiait une telle saisine ou faisaient obstacle au prononcé d'une telle obligation.
6. Mme E... est entrée en France le 1er mars 2016 selon ses déclarations. Si elle se prévaut de sa relation avec un compatriote, étudiant en France, et titulaire d'un récépissé de demande de carte de séjour valable du 7 juin au 6 septembre 2019, qui est également le père de son enfant, né le 3 février 2018, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette relation soit ancienne et intense. Compte tenu des conditions d'entrée et de séjour en France de Mme E..., la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
7. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 5, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation du fait de l'absence d'une prise en charge de sa pathologie en cas de retour dans son pays d'origine.
8. Compte tenu de ce qui a été indiqué aux points 5 à 7, Mme E... ne peut pas prétendre à un titre de séjour de plein droit sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle n'établit pas davantage remplir les conditions pour obtenir la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° du même article dès lors que la décision en litige ne porte pas atteinte à son droit à une vie privée et familiale ainsi qu'il a été exposé au point 6. Ainsi, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne pouvait pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement.
9. Le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français comporte des conséquences d'une exceptionnelle gravité au regard des persécutions auxquelles elle sera soumise en cas de retour dans son pays dont elle a la nationalité est inopérant à l'encontre d'une décision qui, par elle-même, n'implique pas le retour de l'intéressée dans son pays d'origine.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
10. Le préfet de la Manche, qui a visé dans sa décision fixant le pays de destination les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a suffisamment motivé cette décision en fait et en droit.
11. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence.
12. Si Mme E..., dont la demande d'asile, comme il a été rappelé au point 1, a été au demeurant rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis la Cour nationale du droit d'asile, invoque le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle n'apporte aucun élément de justification à l'appui de ses moyens de nature à démontrer la réalité des risques personnels qu'elle encourrait en cas de retour dans son pays d'origine.
Sur la légalité de la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :
13. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant un an doit être annulée par voie de conséquence.
14. L'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an prononcée à l'encontre de Mme E... et fondée sur le huitième alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est motivée notamment par la durée de présence de l'intéressée en France, soit trois ans et trois mois, et l'absence de liens personnels et familiaux en France compte tenu du fait qu'elle a vécu dans son pays d'origine jusqu'à l'âge de 18 ans. Même si cette décision comporte une erreur de fait quant à son âge à la date de son entrée en France, elle n'est pas entachée d'une autre erreur de fait concernant son état de concubinage compte tenu de ce qui a été dit au point 6, alors que la requérante soutient qu'elle vit en couple avec un compatriote d'une manière régulière.
15. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Manche n'a pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de Mme E... avant de prononcer l'interdiction de retour sur le territoire français.
16. Eu égard aux motifs rappelés au point 14, l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an prononcée à l'encontre de Mme E... n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation ni dans son principe ni dans sa durée.
17. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, la décision contestée n'a pas porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera transmise au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. D..., président assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 novembre 2020.
Le rapporteur,
J.-E. D...
Le président,
F. Bataille Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03601