Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 avril, 23 juin et 6 juillet 2021, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le jugement attaqué méconnaît les dispositions de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- M. B... a produit des actes d'état civil apocryphes dès lors que le jugement supplétif et la transcription de ce jugement dans les actes d'état civil ne sont pas conformes à plusieurs articles du code civil et du code de procédure civile guinéens ;
- il n'y a pas lieu de tenir compte d'une décision judiciaire prononçant l'ouverture d'une tutelle d'Etat au profit d'un jeune étranger ;
- la fraude des actes d'état civil est généralisée en Guinée ;
- la minorité de M. B... à la date de son entrée en France n'est pas établie ;
- M. B... ne pouvait pas se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu de son âge même si le rapport éducatif et social lui est favorable et s'il justifie d'une formation professionnelle d'au moins six mois et du caractère réel et sérieux de cette formation ;
- M. B... n'est pas démuni de tout lien familial avec son pays d'origine où vit un oncle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2021, M. A... B..., représenté par Me Guilbaud, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Loire-Atlantique ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
29 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Geffray,
- et les observations de Me Guilbaud.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Loire-Atlantique relève appel du jugement du 18 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 22 janvier 2020 par lequel il a refusé de délivrer à M. B..., ressortissant guinéen, un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et des articles L. 313-14 et L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination (article 1er), lui a enjoint de délivrer à l'intéressé, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, une carte de séjour portant la mention " salarié " (article 2) et a mis à la charge de l'Etat, à verser à Me Guilbaud, avocate de M. B..., une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 3).
2. Le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de délivrer à M. B... un titre de séjour au motif, notamment, que l'intéressé, qui a produit, à l'appui de sa demande de titre de séjour, un jugement supplétif d'acte de naissance et un tel acte rectifié en exécution de ce jugement, ne justifiait pas de son identité et de sa date de naissance en raison du caractère frauduleux de ces actes.
3. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants. ".
4. Pour annuler l'arrêté contesté, le tribunal administratif de Nantes a considéré que le préfet de la Loire-Atlantique n'était pas fondé à opposer à M. B... le motif tiré de ce que ni son identité ni sa date de naissance n'étaient établies. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le jugement supplétif du 22 novembre 2017 ne comporte pas les dates complètes de naissance du père et de la mère de l'intéressé. Par ailleurs, les actes établis par une autorité étrangère et destinés à être produits devant les juridictions françaises doivent au préalable, selon la coutume internationale et sauf convention internationale contraire, être légalisés pour y produire effet. Cette légalisation peut être effectuée, en France, par le consul du pays où l'acte a été établi ou par le consul de France dans le pays d'origine de l'étranger. En l'espèce, le jugement supplétif et le nouvel acte de naissance du 24 novembre 2017, qui ne sont revêtus d'aucune formule de légalisation signée par le consul de Guinée en France ou le consul de France en Guinée, ne peuvent être regardés comme valablement légalisés et se trouvent ainsi dépourvus d'effet. Ainsi, même si l'identité et la date de naissance de M. B... sont corroborées par sa carte consulaire, laquelle ne peut servir à établir ces faits, c'est à bon droit que le préfet a estimé que M. B... ne pouvait pas légalement attester de son identité dans les conditions prévues par les dispositions de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment de sa situation de mineur lors de son entrée en France et a refusé la délivrance du titre de séjour sur le fondement de ces dispositions.
5. Il résulte de l'instruction que le préfet de la Loire-Atlantique, qui s'est fondé également sur un rapport socio-éducatif défavorable, la consommation de produits illicites et un comportement irrespectueux, aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur le seul motif relatif au caractère apocryphe du jugement supplétif et du nouvel acte de naissance pris en exécution de ce jugement. Compte tenu de l'existence d'un faisceau d'indices permettant d'établir l'existence de manoeuvres frauduleuses quant à l'identité et à la date de naissance de M. B..., le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler l'arrêté litigieux, sur le moyen tiré de ce qu'il n'établit pas le caractère frauduleux des actes litigieux d'état civil de M. B....
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur la légalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :
7. Le préfet de la Loire-Atlantique vise notamment le 7° de l'article L.313-11 et les articles L. 313-14 et L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et précise les motifs de fait de son refus de titre de séjour, notamment, comme il a été dit au point 5, un rapport socio-éducatif défavorable, une consommation de produits illicites et un comportement irrespectueux, ainsi que sa situation personnelle en France. L'arrêté contesté comporte ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Dès lors, le moyen tiré l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " À titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigé. " ;
9. Compte tenu des éléments précisés au point 5, et de ce que le requérant n'apporte aucun élément permettant d'apprécier l'absence de tout lien avec sa famille restée dans son pays d'origine, notamment en ne versant pas les actes de décès de ses parents, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-15 doit être écarté.
10. M. B... est célibataire et sans charge de famille en France. Il n'est pas dépourvu de liens familiaux en Guinée dans la mesure où il affirme dans ses écritures que son oncle a saisi le tribunal guinéen pour obtenir le jugement supplétif litigieux. Ainsi, la décision contestée n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
11. La décision de refus de titre de séjour n'étant pas annulée, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence.
12. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
13. Il ne ressort pas plus des pièces que la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
14. Il n'est pas établi que le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B... notamment au regard de des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avant de prendre sa décision fixant le pays de destination.
15. La décision de refus de titre de séjour et celle portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulées, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 22 janvier 2020.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 mars 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Une copie sera transmise au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 octobre 2021.
Le rapporteur,
J.E. GeffrayLe président,
F. Bataille
La greffière,
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01055