Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 avril 2018, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour ne méconnaît pas les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce que le défaut de prise en charge médicale de la requérante n'entraîne pas des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; il demande à titre subsidiaire une substitution de motifs en ce qu'il pouvait légalement se fonder sur l'existence d'un traitement médical approprié au Kosovo ; la requérante peut voyager sans risque vers son pays d'origine ;
- il s'en remet à ses écritures de première instance pour les autres moyens soulevés par MmeB....
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2018, MmeB..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement attaqué ;
2°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation administrative ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que :
- la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour méconnaît le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
- elle maintient l'ensemble des moyens soulevés en première instance.
Mme A...épouse B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet ;
- et les observations orales de MeC..., représentant MmeB....
1. MmeB..., ressortissante kosovare née le 24 juillet 1973 à Peje (Kosovo), s'est vu notifier par le préfet de Maine-et-Loire, le 14 novembre 2017 un arrêté lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, l'astreignant à se présenter au bureau des étrangers de la préfecture le deuxième mercredi suivant la notification de l'arrêté pour indiquer ses diligences dans la préparation de son départ et fixant le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée. Mme B...en a demandé l'annulation au tribunal administratif de Nantes qui, par un jugement du 6 mars 2018, dont le préfet relève appel, a fait droit à sa demande.
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Par un avis rendu le 15 septembre 2017, le collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé que si l'état de santé de la requérante nécessitait une prise en charge médicale, son défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'elle peut voyager sans risque vers son pays d'origine.
6. Pour annuler la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour à MmeB..., et, par voie de conséquence, celles l'obligeant à quitter le territoire français, l'astreignant à se présenter au bureau des étrangers de la préfecture le deuxième mercredi suivant la notification de l'arrêté pour indiquer ses diligences dans la préparation de son départ et fixant le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée, le tribunal administratif de Nantes a considéré que le défaut de prise en charge de la pathologie du syndrome dépressif post-traumatique de l'intéressée pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Il a par ailleurs relevé que le préfet n'a pas expressément fondé sa décision sur la circonstance que la requérante peut bénéficier d'un traitement approprié au Kosovo et ne demande pas une substitution de motifs sur ce point. Il a par suite annulé la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour pour méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, il ressort des pièces du dossier que le défaut de prise en charge du syndrome dépressif de l'intéressée peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Toutefois, le préfet demande en appel une substitution de motifs en ce que la requérante peut bénéficier, dans son pays d'origine, des soins que nécessite sa pathologie mentale, à savoir un suivi psychiatrique et un traitement médicamenteux constitué de psychotropes. Il en justifie en faisant référence au jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 octobre 2017, confirmé par la présente cour par un arrêt n°17NT03302 du 12 avril 2018, dont il ressort que la pathologie de la requérante peut être soignée au Kosovo, et alors qu'il fait valoir, sans être sérieusement contredit, que la requérante ne fait état d'aucune évolution de sa maladie depuis le 14 avril 2017, date à laquelle il lui avait refusé la délivrance d'un titre de séjour pour les mêmes motifs. La production d'un seul nouveau certificat médical d'un psychiatre, daté du 24 novembre 2017, n'est pas de nature à remettre en cause cette appréciation. Dans ces conditions, le préfet aurait pris la même décision de refus de titre de séjour en se fondant sur l'existence d'un traitement approprié à l'état de santé de Mme B...dans son pays d'origine. Par suite, le préfet de Maine-et-Loire n'a pas fait une inexacte application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B...devant le tribunal administratif de Nantes.
9. En premier lieu, l'arrêté contesté a été signé par M. Pascal Gauci, secrétaire général de la préfecture de Maine-et-Loire en vertu d'une délégation consentie par un arrêté du préfet de ce département du 21 août 2017 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de Maine-et-Loire le même jour, à l'effet, notamment, de signer " tous les arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département de Maine-et-Loire ", à l'exception de certains actes limitativement énumérés au nombre desquels ne figurent notamment pas l'arrêté contesté.
10. En deuxième lieu, le mari de la requérante ne réside pas en France selon ses propres dires. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision contestée, sa fille Albana, née en 1995, fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en date du 14 novembre 2017, validée par la Cour par arrêt n°18NT01315 du 13 décembre 2018. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que sa fille Arta, né en 1997, fait également l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en date du 14 avril 2017 validée par la Cour par arrêt n°17NT03303 du 12 avril 2018. Son fils Edison, majeur, entré au demeurant en France plus de deux ans après elle, s'est soustrait à une mesure de réadmission du 27 novembre 2015, confirmée par le tribunal administratif de Nantes le 3 décembre suivant et la Cour le 7 décembre 2016 et est en situation irrégulière en France. Son autre fils, mineur, a vocation à la suivre. Seule sa fille Djelleza, née en 1998, a vocation à rester temporairement sur le territoire français dans l'attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile à la suite du rejet de sa demande de statut de réfugié par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 25 août 2017. Dans ces conditions, et eu égard au caractère récent de son entrée en France, l'arrêté contesté ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquelles elle a été prise. Par suite, il ne viole pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle.
11. En dernier lieu, la requérante soutient qu'elle n'a plus de lien familial au Kosovo et que sa famille y fait l'objet de menaces en raison de dettes contractées par son époux. Toutefois, l'intéressée n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'éléments suffisamment probants de nature à établir qu'elle serait personnellement exposée à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Au surplus, sa demande de reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et la Cour nationale du droit d'asile. Elle n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le préfet de Maine-et-Loire a violé les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État la somme que le conseil de Mme B...demande au titre des frais exposés en appel non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 mars 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A...épouse B...devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A...épouseB....
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- Mme Chollet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 décembre 2018.
Le rapporteur,
L. CholletLe président,
F. Bataille
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01389 2
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