Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 avril 2018 M.A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 15 mars 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2017 du préfet d'Indre-et-Loire ;
3°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il réside depuis près de 17 ans en France et n'a plus aucune attaches dans son pays d'origine, plusieurs membres de sa famille ont acquis la nationalité française, ses enfants vivent en Angleterre et au Gabon, où il n'est pas admissible, il est bien intégré en France, s'investit dans plusieurs associations et a des perspectives d'insertion professionnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales car il sera isolé au Cameroun où il n'a plus aucunes attaches.
Par un mémoire enregistré le 20 juin 2018 le préfet d'Indre-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la convention de New-York relative aux droits de l'enfant ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Le Bris a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant camerounais né en 1953, est entré en France le 3 mars 2001 à l'âge de 47 ans sous couvert d'un visa de court séjour. Il a été débouté du droit d'asile le 13 juin 2003 puis a bénéficié d'un titre de séjour du 9 décembre 2004 au 8 décembre 2007 en tant que conjoint d'une ressortissante française. Il a fait l'objet de plusieurs mesures d'éloignement en 2004, 2008, 2010 et 2013, qu'il n'a pas exécutées. Le 9 février 2016, il a demandé sa régularisation au préfet de la Moselle sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en faisant valoir sa durée de séjour supérieure à 10 ans. Le refus qui lui a été opposé a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg le 1er juin 2017 du fait de l'absence de consultation de la commission du titre de séjour. M. A...ayant déménagé, sa demande a été réexaminée par le préfet d'Indre-et-Loire qui, après avoir recueilli l'avis de la commission du titre de séjour le 13 septembre 2017, lui a opposé un refus par un arrêté du 23 octobre 2017, assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant le pays de destination. M. A...relève appel du jugement du 15 mars 2018 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. ". En outre, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. ".
3. M. A...résidait en France depuis 17 ans à la date de la décision contestée. S'il y est célibataire et sans enfants, il produit plusieurs témoignages attestant de son intégration dans la société et de la réalité des liens qu'il entretient avec ses amis et les membres de sa famille (tante, cousins, neveux et nièces). Il a trois enfants, dont deux résident en Angleterre et le troisième au Gabon, et soutient sans être contesté qu'il n'a plus de famille proche dans son pays d'origine depuis le décès de ses deux parents. Il justifie par ailleurs avoir travaillé comme agent de sécurité lorsqu'il était en situation régulière, et avoir présenté deux promesses d'embauches en 2010 et 2013 pour des emplois du même type, qui ne se sont pas concrétisées faute de régularisation de sa situation administrative. Il établit également son engagement comme bénévole dans plusieurs associations, notamment pour donner des cours de français, et de ce qu'il était, à la date de la décision contestée, un compagnon d'Emmaüs, rémunéré et hébergé à ce titre. Si le préfet d'Indre-et-Loire, comme la commission de titre de séjour, ont relevé l'absence de sérieux de son projet professionnel, il convient de souligner qu'il était âgé de 64 ans à cette date.
4. Les éléments de la situation personnelle de M. A...ainsi rappelés ne sont pas constitutifs de circonstances humanitaires ou exceptionnelles au sens des dispositions citées au point 2 de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet d'Indre-et-Loire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en rejetant sur ce fondement la demande de titre de séjour présentée par l'intéressé. En revanche, compte tenu de l'exceptionnelle longueur de son séjour en France, de son âge à la date de l'arrêté contesté, du fait qu'il n'a plus de liens personnels ni familiaux dans son pays d'origine qu'il a quitté depuis plus de 17 ans et des justificatifs produits attestant de sa bonne intégration dans la société française, M. A...est fondé à soutenir, en dépit des mesures d'éloignement successives dont il a fait l'objet, que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et doit, pour ce motif, être annulée ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant son pays de renvoi.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi et à en demander, dans cette mesure, l'annulation.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
6. L'exécution du présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au préfet d'Indre-et-Loire d'examiner à nouveau la situation de M.A..., dans un délai de deux mois à compter de sa notification et, dans l'intervalle, de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
7. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros à Me D... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1 : Les décisions du préfet d'Indre-et-Loire du 23 octobre 2017 portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont annulées.
Article 2 : Le jugement n° 1800151 du tribunal administratif d'Orléans du 15 mars 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A...dirigées contre les décisions du préfet d'Indre-et-Loire du 23 octobre 2017 l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Article 3 : Il est enjoint au préfet d'Indre-et-Loire d'examiner à nouveau la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de le munir, dans l'intervalle, d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A...est rejeté.
Article 5 : Le versement de la somme de 1 000 euros à Me D...est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera transmise au préfet d'Indre-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- M. Berthon, premier conseiller,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2018
Le rapporteur,
I. Le BrisLe président,
O. CoiffetLe greffier,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18NT01543