Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 31 août 2018, 5 avril 2019 et 5 mars 2020, la SNC Union financière du Groupe Sauvage, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette décharge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée, en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- elle a exercé une activité économique entrant dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée ; c'est à tort que l'administration fiscale a refusé la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée auprès de ses différents prestataires ; elle a délivré des prestations de service à ses filiales, conformément au plan de redressement ; son intervention ne peut être regardée comme artificielle au regard de la mission centralisée qui lui a été confiée pour toute la durée du plan ;
- l'activité au titre de la période litigieuse se rattache, en tout état de cause, à l'activité économique exercée antérieurement au transfert de personnel.
Par des mémoires, enregistrés les 5 mars 2019, 27 février 2020 et 10 mars 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SNC Union financière du Groupe Sauvage ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., substituant Me D..., pour la SNC Union financière du groupe Sauvage.
Considérant ce qui suit :
1. La société en nom collectif (SNC) Union Financière du Groupe Sauvage (Unigroupe) a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er septembre 2011 au 31 août 2014, étendue au 28 février 2015 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Estimant que la société n'exerçait aucune activité économique justifiant son assujetissement à la taxe sur la valeur ajoutée, le service a remis en cause la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée inscrite sur les factures acquittées par la société et a procédé aux rappels qui en découlent. Après mise en recouvrement et rejet de sa réclamation préalable, la société Unigroupe a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er septembre 2011 au 28 février 2015 ainsi que des intérêts de retard. Par un jugement n° 1604174 du 27 juin 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. La société Unigroupe relève appel de ce jugement.
2. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". L'article 256 A du code général des impôts dispose que : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. (...) ". Le 1 du I de l'article 271 du code général des impôts prévoit que : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération ".
3. Il résulte de ces dispositions ainsi que de l'article 168 de la directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée que, si la simple acquisition et la simple détention de parts sociales ne doivent pas être regardées comme des activités économiques, au sens de la directive, conférant à leur auteur la qualité d'assujetti, il en va différemment lorsque la participation est accompagnée d'une immixtion directe ou indirecte dans la gestion des sociétés dans lesquelles des participations sont détenues, par la mise en oeuvre de transactions soumises à la taxe, telles que la fourniture de services administratifs, financiers, commerciaux et techniques à ces sociétés. Dans ce cas, la taxe sur la valeur ajoutée est déductible, d'une part, lorsque les opérations effectuées en amont présentent un lien direct et immédiat avec des opérations en aval ouvrant droit à déduction, d'autre part, même en l'absence de lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, lorsque les coûts en cause font partie des frais généraux de l'assujetti et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des biens ou des services qu'il fournit.
4. Il résulte de l'instruction que la société Unigroupe, holding du Groupe Sauvage spécialisé dans la promotion immobilière sur le territoire de la commune de Brest, a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire en 2002. Le plan de redressement proposé par M. B..., homologué par le tribunal de commerce de Brest, a consisté à vendre progressivement une part importante de l'actif immobilier détenu par les filiales de la société Unigroupe afin d'apurer le passif du groupe. La vente des biens immobiliers, ainsi que la gestion des locations des biens non vendus et la maîtrise d'ouvrage des projets immobiliers en cours a été réalisée par les sociétés DCO, FINOCEAN, FGH et SODEXSA appartenant au groupe B.... Ces prestations de services, ainsi que les factures émises par le cabinet d'expertise comptable SECA et les administrateurs judiciaires ont été, jusqu'en 2010, facturées directement aux filiales de la société Unigroupe. En raison de la vente progressive de leur patrimoine immobilier, les filiales de la société Unigroupe n'ont plus disposé de la trésorerie suffisante pour régler ces factures. Le tribunal de commerce de Brest a alors accepté que la société Unigroupe facture à ses filiales un honoraire de gestion de 3,6% toutes taxes comprises sur les ventes de biens immobiliers réalisées par ses filiales (3,01% hors taxes) et règle en contrepartie les factures émises par les différents prestataires. En outre, à compter de 2010, le personnel de la société Unigroupe a été transféré à une des sociétés du groupe B..., la société DCO.
5. En facturant à ses filiales des services administratifs et comptables, ainsi que des honoraires de gestion sur la vente de leur patrimoine immobilier, la société Unigroupe s'est immiscée dans la gestion de ses filiales. Le fait que la société Unigroupe n'ait pas réalisé elle-même les prestations de services facturées à ses filiales, mais ait fait appel à des prestataires extérieurs ne fait pas obstacle à la caractérisation d'une activité économique au sens de l'article 256 A du code général des impôts. De même, la circonstance que la société Unigroupe ne disposait plus de personnel à compter de l'année 2010 est sans incidence sur la caractérisation d'une activité économique. Contrairement à ce que soutient le ministre en défense, la société Unigroupe ne s'est donc pas bornée à détenir des participations et ne saurait par conséquent être regardée comme un " holding pure ". Enfin, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Rennes, le fait que ce mode d'organisation ne présente aucun avantage par rapport au paiement direct, par les filiales, des prestations en cause n'est pas non plus de nature à faire obstacle à la caractérisation d'une activité économique, l'interposition de la société Unigroupe n'ayant entraîné aucune rupture dans la chaîne de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, la société Unigroupe est fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a considéré que, n'exerçant aucune activité économique, elle ne pouvait être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et bénéficier en conséquence du droit à déduction.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la SNC Union Financière du Groupe Sauvage est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à la SNC Union Financière du Groupe Sauvage une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1604174 du 27 juin 2018 est annulé.
Article 2 : La SNC Union Financière du Groupe Sauvage est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er septembre 2011 au 28 février 2015 ainsi que des intérêts de retard.
Article 3 : L'Etat versera à la SNC Union Financière du Groupe Sauvage une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société en nom collectif Union Financière du Groupe Sauvage et au ministre des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 septembre 2020.
Le rapporteur,
H. A...Le président,
F. Bataille
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 18NT032992