Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 février 2020, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que, malgré un jugement du tribunal correctionnel de Nantes relaxant M. E..., c'est à tort que, pour annuler l'arrêté litigieux, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur l'existence d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que la reconnaissance de l'enfant B... présente un caractère frauduleux dans le but d'obtenir la délivrance d'un titre de séjour et que l'intéressé ne participe pas à l'entretien et à l'éducation de cet enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2020, M. E..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut et sous astreinte de 10 euros par jour de retard de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et dans l'attente de le munir d'une autorisation provisoire de séjour et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Loire-Atlantique ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les observations de Me C..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant camerounais né le 26 avril 1980, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français. Par un arrêté du 26 mars 2019, le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré. Par un jugement du 6 février 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté (article 1er), enjoint au préfet de procéder à un nouvel examen de sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement (article 2), mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des frais liés au litige (article 3) et rejeté le surplus de sa demande (article 4). Le préfet relève appel de ce jugement.
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (...). / Ces mêmes peines sont applicables en cas d'organisation ou de tentative d'organisation d'un mariage ou d'une reconnaissance d'enfant aux mêmes fins. / Elles sont portées à 10 ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise en bande organisée ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Il ressort des pièces du dossier et notamment de l'enquête menée par les services de police sur les conditions de reconnaissance de l'enfant B..., né le 6 août 2017, qui est de nationalité française, que M. E..., qui a reconnu ne pas être le père biologique de l'enfant, a accepté de reconnaître l'enfant à la demande de la mère afin de conserver le nom patronymique du père biologique dès lors que celui-ci est le frère de M. E... et qu'il n'a pas voulu le reconnaître. Ainsi, le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de cet enfant doit être regardé comme établi alors même que, par jugement du 10 janvier 2019, le tribunal correctionnel de Nantes, bien que constatant l'existence d'une manoeuvre frauduleuse, a relaxé M. E... du chef d'obtention frauduleuse d'une reconnaissance dans le but de se faire délivrer un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Par suite, le préfet de la Loire-Atlantique, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude dès lors que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'était pas acquise, était légalement fondé à refuser, pour ce motif, la délivrance du titre de séjour sollicité par M. E..., est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté litigieux, le tribunal administratif s'est fondé sur l'existence d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur la légalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :
6. En premier lieu, la décision contestée, qui vise notamment le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, précise que M. E... a reconnu un enfant de nationalité française de manière frauduleuse alors qu'il a déclaré qu'il n'est pas le père biologique et que la nature de l'infraction constitue ainsi une menace à l'ordre public et une absence de respect des principes républicains et d'intégration dans la société française. Dès lors, elle comporte les considérations de fait et de droit qui la fondent et est ainsi suffisamment motivée.
7. En deuxième lieu, l'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif.
8. Ainsi qu'il a été dit au point 4, le tribunal correctionnel de Nantes a constaté le caractère frauduleux de la reconnaissance d'un enfant de nationalité française par M. E.... Bien que le jugement ait relaxé l'intéressé au motif que cette reconnaissance frauduleuse n'avait pas pour but l'obtention d'un titre de séjour en tant que parent d'un enfant français, le préfet de la Loire-Atlantique, en retenant un tel caractère frauduleux, n'a pas méconnu les constatations de fait qui sont le support nécessaire du dispositif du jugement et ainsi n'a pas porté atteinte à l'autorité de la chose jugée attachée à ce jugement.
9. En troisième lieu, si M. E... soutient qu'il ne constitue pas une menace à l'ordre public, il ne peut utilement contester ce motif qui présente un caractère surabondant dès lors que dans son arrêté le préfet de la Loire-Atlantique a retenu une telle menace en conséquence du caractère frauduleux de la reconnaissance de l'enfant.
10. En quatrième lieu, la circonstance que le préfet de la Loire-Atlantique aurait commis une erreur de fait en précisant dans son arrêté que M. E... est célibataire et sans enfant alors qu'il entretiendrait une relation sentimentale avec une ressortissante française est sans incidence sur la légalité de la décision contestée dès lors que son séjour en France est récent dans la mesure où l'intéressé ne conteste pas la mention de l'arrêté selon laquelle il ne peut justifier d'une présence avérée et continue en France que depuis le 24 novembre 2017.
11. En cinquième lieu, eu égard au motif principalement retenu par le préfet de la Loire-Atlantique qui le fonde, l'arrêté contesté n'a pas porté au respect de la vie privée et familiale de M. E... une atteinte excessive au regard des buts poursuivis par le préfet de la Loire-Atlantique et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
12. Enfin, aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet est tenu de saisir la commission du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues à l'article L. 313-11, et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions. M. E... n'établissant pas être en situation de bénéficier de plein droit d'un titre de séjour en France au titre du 6° de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile comme il a été dit aux points 8 à 10, le préfet de la Loire-Atlantique n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour. Le moyen tiré d'un vice de procédure doit être écarté.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. La décision de refus de titre de séjour n'étant pas annulée, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
14. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence.
15. Si M. E... soutient que la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'apporte aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d Nantes a annulé son arrêté. Par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par M. E... et celles relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 février 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... et ses conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... G..., au ministre de l'intérieur et à Me C..., avocat de M. E....
Une copie sera transmise au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. D..., président assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 septembre 2020.
Le rapporteur,
J.-E. D...Le président,
F. Bataille
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00743