Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 octobre 2017, M. E..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette décharge ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge des intérêts de retard et des pénalités de 80 % au titre de l'année 2011 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il demande le dégrèvement de la différence entre le dégrèvement prononcé en 2011 et celui qui aurait dû être prononcé ;
- la situation du joueur de poker apparaît identique à celle d'un parieur hippique qui se fonde sur des tables de probabilités pour accroître ses chances de gains ; le jeu de poker peut être assimilé à un jeu de pur hasard dont les gains n'entrent pas dans les prévisions de l'article 92 du code général des impôts ;
- il se prévaut du paragraphe 118 de l'interprétation administrative en vigueur référencée G-116 n°118 du 15 septembre 2000 qui confirme l'absence de soumission à l'article 92 du code général des impôts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut à un non-lieu à statuer à hauteur de 1 109 euros compte tenu d'un dégrèvement prononcé le 7 décembre 2017 et au rejet du surplus de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Geffray,
- les conclusions de M. Jouno, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. M. E...a fait l'objet d'une vérification de comptabilité de son activité de joueur de poker pour la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011. A l'issue de ce contrôle, l'administration a évalué d'office, sur le fondement des dispositions du 2° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales et de l'article L. 68 du même livre, les revenus tirés par l'intéressé de cette activité au titre de ces années, qu'elle a regardés comme des bénéfices non commerciaux taxables sur le fondement des dispositions de l'article 92 du code général des impôts. Elle a également appliqué à M. E...la pénalité de 80 % pour activité occulte prévue par le c) du 1 de l'article 1728 du code général des impôts. M. E...relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 30 août 2017 rejetant sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des compléments d'impôt sur le revenu mis à sa charge au titre des années 2009 à 2011.
Sur l'étendue du litige :
2. Par décision du 7 décembre 2017, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration a prononcé le dégrèvement, en intérêts et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2011 auxquelles M. E...a été assujetti à concurrence de la somme de 1 109 euros. Les conclusions de la requête de M. E... sont, dans cette mesure, sans objet. Il n'y a, par suite, pas lieu d'y statuer.
Sur le principe de l'imposition des sommes perçues par M. D...en tant que joueur de poker :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
3. Aux termes du 1 de l'article 92 du code général des impôts : " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ". Si la pratique, même habituelle, de jeux de hasard ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits, au sens des dispositions précitées de l'article 92 du code général des impôts, en raison de l'aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur, il en va différemment de la pratique habituelle d'un jeu d'argent opposant un joueur à des adversaires lorsqu'elle permet à ce dernier de maîtriser de façon significative l'aléa inhérent à ce jeu, par les qualités et le savoir-faire qu'il développe, et lui procure des revenus significatifs. Les gains qui en résultent sont alors imposables, en application de l'article 92, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, alors même que le contribuable exercerait aussi par ailleurs une activité professionnelle.
4. Ni les différents textes portant réglementation de la police des jeux, notamment des jeux en ligne, ni la décision de la Cour de cassation du 30 octobre 2013 indiquant que le poker est un jeu de hasard dans lequel " la chance prédomine sur l'adresse et les combinaisons de l'intelligence " qu'invoque le requérant, ne sont de nature à remettre en cause les principes fiscaux d'imposition évoqués au point 3 du présent arrêt.
5. Les joueurs professionnels de poker qui peuvent atténuer sensiblement le caractère aléatoire du résultat de ce jeu et accroître leur probabilité de percevoir des gains importants et réguliers du fait de leur expérience, ne se trouvent pas placés dans la même situation que les joueurs habituels de jeux payants tels que les paris hippiques et les paris sportifs dont les résultats sont, sauf circonstances exceptionnelles, essentiellement aléatoires même si ces joueurs peuvent se fonder, pour parier, sur l'étude des cotes et des probabilités, sur leur connaissance du jeu, des joueurs ou des chevaux et de leurs jockeys, de leur forme et de leurs performances antérieures.
6. M. E...a participé en 2009 à près de mille tournois de poker en ligne sur trois sites de jeu en ligne et, au cours des années 2010 et 2011, a joué à de nombreuses parties de poker en ligne et dans des cercles de jeux en Irlande et souvent fréquenté le casino de Bénodet pour y jouer. Les gains réalisés par M. A... à raison de cette pratique se sont élevés à 127 000 euros en 2009, 51 023 euros en 2010 et à 59 919 euros en 2011. Enfin, M.E..., qui a terminé premier et deuxième à plusieurs reprises sur un site, a bénéficié d'une notoriété dans le domaine de ce jeu. Par suite, eu égard au caractère habituel de cette activité génératrice de revenus importants, M. E...doit être regardé comme ayant exercé, au cours de ces trois années, une activité lucrative de joueur de poker lui procurant des profits réguliers imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en application de l'article 92 du code général des impôts.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
7. M. E...se prévaut de la documentation de base 5 G 116 (n° 118) du 15 septembre 2000, aux termes de laquelle : " La pratique, même habituelle, de jeux de hasard tels que loteries, tombolas ou jeux divers, ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits devant donner lieu à imposition au nom des personnes participant à ces jeux ". Cette instruction, qui ne concerne pas la pratique de jeux d'argent et ne mentionne pas qu'elle concernerait, dans tous les cas, le jeu de poker, ne contient aucune interprétation formelle du texte fiscal dont M. E...peut se prévaloir.
Sur les pénalités :
8. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte. ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi dont elles sont issues, que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives.
9. Si M. E...ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou d'un greffe de tribunal de commerce et n'a pas déposé la déclaration prévue à l'article 97 du code général des impôts au titre des années en litige alors qu'il exercé au cours des années 2009 à 2011 une activité de jouer de poker imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, ce n'est que postérieurement à ces années que la jurisprudence et l'administration fiscale ont expressément estimé que les gains réalisés au poker étaient, dans certaines conditions, imposables à l'impôt sur le revenu. La circonstance que le poker soit qualifié de jeu de hasard par les juridictions civiles et pénales au sens des lois et règlements était en outre de nature à induire en erreur le contribuable sur la nature de ses obligations déclaratives. Enfin, aucune règle précise ne permettait, au cours des années d'imposition, de distinguer la pratique du poker selon qu'elle était exercée à des fins ludiques ou lucratives. Par suite, l'absence de souscription de déclaration par M. E...doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant constitué une erreur justifiant qu'il ne se soit pas acquitté de ses obligations. Il suit de là que M. E...est fondé à demander la décharge de la pénalité pour activité occulte prévue par les dispositions du c) du 1 de l'article 1728 du code général des impôts.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. E...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande de décharge de la pénalité de 80 % qui lui a été infligée, sur le fondement du c) du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, au titre des années 2009 à 2011.
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre des frais relatifs au litige.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. E...tendant à la décharge, au titre de l'année 2011, en intérêts et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu à hauteur de la somme de 1 109 euros.
Article 2 : M. E...est déchargé de la pénalité de 80 % dont a été assortie la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à sa charge au titre des années 2009 à 2011.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 30 août 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme Malingue, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 avril 2019.
Le rapporteur,
J.-E. GeffrayLe président,
F. Bataille
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT03263