Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 septembre 2020, M. A... D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 novembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de le munir d'un récépissé l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, le temps du réexamen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros qui devra être versée à son avocate en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient :
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français, que :
- son droit fondamental à être entendu n'a pas été respecté ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- la décision a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
sur la décision fixant le pays de destination, que :
- le magistrat désigné a omis de répondre aux moyen tirés du défaut d'examen particulier de sa situation, de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- la décision a été prise en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 février 2021, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le magistrat désigné a effectivement omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'agissant de la décision fixant le pays de destination ;
- la décision fixant le pays de destination n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- pour les autres moyens, il s'en remet à ses écritures de première instance.
M. A... D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D..., ressortissant tchadien né le 1er janvier 1992, déclare être entré irrégulièrement en France le 8 octobre 2016. Il a formé une demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision de rejet par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 23 juin 2017, confirmée par une décision du 20 décembre 2018 de la Cour nationale du droit d'asile. M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 novembre 2019 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, en application du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un jugement du 16 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal a rejeté sa demande. Il fait appel de ce jugement.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse uniquement aux institutions et organes de l'Union. Le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un Etat membre est donc inopérant. Toutefois, il résulte également de cette jurisprudence que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter son point de vue de manière utile et effective. En particulier, il n'implique pas l'obligation, pour le préfet, d'entendre l'étranger spécifiquement au sujet de l'obligation de quitter le territoire français qu'il envisage de prendre après avoir statué sur le droit au séjour à l'issue d'une procédure ayant respecté son droit d'être entendu. D'ailleurs, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, l'étranger est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnue la qualité de réfugié et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles et il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. En l'espèce, le requérant, qui au demeurant ne pouvait ignorer depuis le rejet, devenu définitif, de sa demande d'asile qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, n'établit ni même n'allègue qu'il aurait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ni qu'il aurait été empêché de s'exprimer avant que ne soit prise la décision contestée. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que M. A... D... aurait été privé du droit d'être entendu qu'il tient du principe général du droit de l'Union européenne et de l'absence d'examen particulier de sa situation doivent être écartés.
3. En second lieu, le requérant est célibataire et sans enfant. Sa présence sur le territoire français, depuis le 8 octobre 2016, soit un peu plus de trois ans à la date de la décision contestée, était relativement récente. Il n'est pas établi ni même allégué qu'il aurait des liens personnels ou familiaux intenses, anciens et stables en France. Il n'est pas dépourvu d'attaches, notamment familiales, dans le pays dont il a la nationalité et où il n'est pas dans l'impossibilité de poursuivre sa vie. Si M. A... D... soutient être en danger au Tchad, sans pouvoir bénéficier d'une protection effective des autorités, ce qui ne lui permet pas de mener une vie privée normale, en tout état de cause cet argument doit être écarté pour les motifs indiqués au point 9. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de destination :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
4. Il ressort du jugement attaqué que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a omis de répondre aux moyens, qui n'étaient pas inopérants, tirés de la méconnaissance de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ce que le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de la situation du requérant, soulevés à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.
5. Dès lors, M. A... D... est fondé à soutenir que le jugement attaqué, en tant qu'il a statué sur les conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination, est entaché d'irrégularité en raison du défaut de réponse à ces moyens et doit, pour ce motif et dans cette mesure, être annulé.
6. Il y a lieu pour la cour administrative d'appel de se prononcer immédiatement sur ces conclusions par voie d'évocation.
En ce qui concerne la demande dirigée contre la décision fixant le pays de destination :
7. En premier lieu, la décision fixant le pays de destination comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle se réfère notamment aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'absence de justification par l'intéressé de l'existence d'une menace personnelle en cas de retour dans son pays d'origine. Une telle motivation, alors que l'intéressé n'établit ni même n'allègue avoir communiqué à l'administration des éléments particuliers de sa situation qui n'auraient pas été pris en considération ou qui auraient pu conduire le préfet à en faire état dans la décision, est suffisante. Ainsi, les moyens tirés de ce que la décision contestée n'est pas suffisamment motivée, ce qui révèlerait un défaut d'examen particulier de la situation du requérant, doivent être écartés.
8. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
9. En se bornant à produire des rapports d'organismes internationaux ayant trait à la situation générale au Tchad, M. A... D... n'établit pas être exposé personnellement, en cas de retour dans son pays d'origine, à des risques de traitements inhumains et dégradants. S'il produit deux témoignages, ils sont peu circonstanciés, l'un comporte des dates contradictoires et son auteur n'est pas indiqué et l'autre émane de son père. Le requérant ne précise pas dans quelles conditions le document présenté comme un mandat d'arrêt, daté du 9 août 2019 et produit pour la première fois en appel, à la traduction approximative et dont l'authenticité n'est pas établie, lui a été transmis. En outre, ce mandat d'arrêt mentionne " M. A... D... ". Dès lors, ces éléments ne suffisent pas à établir que M. A... D... risquerait, au motif qu'il serait accusé d'appartenir à la rébellion, d'être effectivement et personnellement exposé au Tchad à des traitements de la nature de ceux qui sont prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors au demeurant que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d'asile. Par conséquent, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par M. A... D... devant le tribunal administratif de Nantes tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination doivent être rejetées et que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté le surplus de sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi sur l'aide juridique doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 19013092 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes du 16 juin 2020 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions présentées par M. A... D... dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
Article 2 : La demande présentée par M. A... D... devant le tribunal administratif de Nantes tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Couvert-Castéra, président de la cour,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2021.
La rapporteure,
P. E...
Le président,
O. Couvert-CastéraLa greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02884