Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 mars 2020, 4 mai 2020, 21 septembre 2020, 16 novembre 2020 et 16 janvier 2021, Mme G... B...'I... épouse C..., agissant en qualité de représentant légal de son enfant mineur F... B...'o Etime, représentée par Me H..., demande à la cour en l'état de ses dernières écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 6 février 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 29 mai 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 47 du code civil et d'une erreur d'appréciation dès lors que les actes de naissance reconstitués sont conformes au droit camerounais et à l'accord de coopération judiciaire entre la France et le Cameroun ;
le jugement supplétif du 2 septembre 2015 est authentique et n'a pas été contesté. Le procureur de la République de Garoua ne saurait remettre en doute l'authenticité de ce jugement dès lors qu'il est, en l'espèce, territorialement incompétent et qu'il ne saurait remettre en cause l'autorité de la chose jugée ;
la possession d'état est établie par les pièces versées au dossier ;
l'expertise génétique qu'elle a sollicitée conclut nettement à sa maternité envers les deux enfants ;
elle a été prise en violation de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 août 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé à s'en remettant à ses écritures de première instance.
Mme G... B...'I... épouse C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55%) par une décision du 1er mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code civil ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...'hirondel,
- et les observations de Me H..., représentant Mme B...'I....
Considérant ce qui suit :
1. Mme G... B...'I... épouse C..., ressortissante camerounaise née le 27 novembre 1985 résidant régulièrement sur le territoire français en qualité de conjointe de français, a déposé une demande de regroupement familial en faveur des jeunes William Steve B...'o Etime et Berthe Mégane B...'o, nés respectivement les 25 août 2004 et 29 avril 2009 qu'elle présente comme ses enfants. Cette demande a été accueillie favorablement par le préfet de l'Hérault par une décision du 30 novembre 2018. Mme C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 février 2020 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 mai 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 12 mars 2019 par laquelle les autorités consulaires françaises à Yaoundé (Cameroun) ont refusé de délivrer à ses enfants les visas de long séjour sollicités.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Pour rejeter le recours formé par Mme C..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que les documents d'état civil présentés à l'appui des demandes de visa n'étaient pas de nature à justifier du lien de filiation allégué dès lors qu'ils étaient frauduleux ainsi qu'il résulte de la réponse du 17 avril 2018 apportée par le procureur de la République près les tribunaux de Garoua à la demande d'information faite par les services consulaires sur le caractère authentique du jugement supplétif.
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Si les dispositions de l'article 47 du code civil ne font pas obstacle au pouvoir d'appréciation, par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, de la sincérité des documents produits à l'appui d'une demande de visa et du recours, la filiation, à l'occasion d'une demande de visa, peut cependant être établie par tout moyen.
5. Il ressort des pièces produites pour la première fois en appel que, par une ordonnance du 14 octobre 2020, le président du tribunal de première instance d'Ebolowa a déclaré recevable l'action en recherche de maternité formée par Mme C... et a ordonné qu'un test d'identification par les empreintes génétiques soit réalisé sur l'intéressée et les enfants F... B...'o Etime et Berthe Mégane B...'o. Mission a ainsi été donnée à l'Institut génétique Nantes-Atlantique (IGNA) d'effectuer des prélèvements sur la requérante et au Laboratoire du centre de Yaoundé de faire de même sur les enfants. Il résulte du rapport de l'Institut génétique Nantes-Atlantique que la probabilité que Mme C... soit la mère de l'enfant F... B...'o Etime est de 99,999 % et de l'enfant E... B...'o de 99,99999 %. Dans ces conditions, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas contesté que les tests génétiques ainsi pratiqués dans le cadre d'une mesure d'enquête ou d'instruction diligentée lors d'une procédure devant une juridiction étrangère ne présenteraient pas les mêmes garanties que celles de l'article 16-11 du code civil, la requérante est fondée à soutenir que la commission de recours a inexactement apprécié les faits de l'espèce en estimant que les liens de filiation n'étaient pas établis.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif de l'annulation prononcée, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, que le ministre de l'intérieur délivre aux jeunes William Steve B...'o Etime et Berthe Mégane B...'o, dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt, les visas de long séjour sollicités. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. La requérante a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55%) par une décision du 1er mars 2021. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement, par application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à l'avocat de Mme C... de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 février 2020 et la décision du 29 mai 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux jeunes William Steve B...'o Etime et Berthe Mégane B...'o des visas de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions de Mme C... tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme G... B...'I... épouse C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseur ;
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2021.
Le rapporteur,
M. D...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01044