Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 novembre 2018 et des mémoires enregistrés les 10 et 29 avril 2019, la SCI La Crête, représentée par MeA..., demande à la cour :
- d'annuler ce jugement du 25 septembre 2018 ;
- d'annuler la décision du 29 mai 2017 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
- de mettre à la charge de la commune de Granville le paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le rapport, les conclusions et l'avis du commissaire enquêteur sont insuffisamment motivés ; ce dernier n'a pas répondu aux observations du public ;
- les principes d'égalité et d'équilibre ont été méconnus dès lors que son château n'est pas soumis au même traitement que les autres châteaux de la commune ;
- une erreur manifeste d'appréciation a été commise quant au classement en zone 1N des parcelles AR 98 et 102.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 mars 2019, la commune de Granville et la communauté de communes Granville Terre et Mer, représentées par MeC..., renvoient aux observations présentées devant le tribunal administratif de Caen.
Par une ordonnance du 11 avril 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 avril 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 juin 2019 :
- le rapport de Mme Brisson,
- les conclusions de M Derlange,
- les observations de M. A...représentant la SCI La Crête et de MeE..., substituant Me D...B...représentant la commune de Granville et la communauté de communes Granville Terre et Mer.
Une note en délibéré présentée par la SCI La Crête a été enregistrée le 14 juin 2019.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 29 mai 2017, le conseil municipal de la commune de Granville (Manche) a approuvé la révision de son plan local d'urbanisme. La SCI La Crête, propriétaire de parcelles de terrains cadastrées AR n° 98, 102 et 442 jouxtant le château de la Crête lui appartenant, a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler cette délibération en tant qu'elle a classé en zone 1N ces terrains. Par un jugement du 25 septembre 2018, le tribunal a rejeté sa demande. La SCI La Crête relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'enquête publique :
2. Aux termes de l'article L. 123-13 du code de l'environnement, alors en vigueur : " Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête conduit l'enquête de manière à permettre au public de disposer d'une information complète sur le projet, plan ou programme, et de participer effectivement au processus de décision en lui permettant de présenter ses observations et propositions. (...) " et aux termes de l'article R. 123-19 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le commissaire enquêteur (...) établit un rapport qui relate le déroulement de l'enquête et examine les observations recueillies. / Le rapport comporte le rappel de l'objet du projet, plan ou programme, la liste de l'ensemble des pièces figurant dans le dossier d'enquête, une synthèse des observations du public, une analyse des propositions et contre-propositions produites durant l'enquête et, le cas échéant, les observations du responsable du projet, plan ou programme en réponse aux observations du public. / Le commissaire enquêteur (...) consigne, dans un document séparé, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables, favorables sous réserves ou défavorables au projet. (...) ".
3. La règle de motivation prévue par ces dispositions oblige le commissaire enquêteur à apprécier les avantages et inconvénients du projet et à indiquer, au moins sommairement, en donnant son avis personnel, les raisons qui déterminent le sens de cet avis. Si le commissaire enquêteur n'est pas, en principe, tenu de répondre à chacune des observations formulées durant l'enquête publique, il lui appartient de les analyser et de motiver de façon suffisante son avis.
4. Il ressort des énonciations de son rapport du 7 mai 2017 que le commissaire enquêteur, qui n'était pas tenu de se rendre sur chacun des sites concernés par une modification du plan local d'urbanisme en projet et en particulier sur le site du château de la Crête et n'était pas davantage tenu de répondre à chacune des observations formulées par le public, a effectué plusieurs visites du territoire communal au cours de la période pendant laquelle s'est déroulée l'enquête publique, a procédé à un rappel du contexte dans lequel l'enquête publique est intervenue, à une vérification de la teneur du dossier soumis à enquête, a rappelé les modalités selon lesquelles cette dernière s'est déroulée et a examiné les observations formulées par le public, en particulier celle de M.A..., gérant de la SCI. Il a fait part de son analyse quant à la création de nouvelles zones affectées à l'habitat, au secteur de la Horie, au port, aux zones de stationnement et au secteur du couvent St Nicolas. Dans son avis, il a, d'une part, émis une réserve tenant à ce que la limite entre la zone 1N et UE3 soit déplacée de manière à se trouver en limite du lotissement et que le parc du château de la Crête soit classé en zone 1N et 2N et d'autre part, émis le souhait que soit examinée la possibilité de créer au sein de la zone 1N un zonage spécifique adapté à la situation des propriétés afin de leur permettre d'évoluer. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les exigences des dispositions des articles L 123-13 et R 123-19 du code de l'environnement auraient été méconnues.
En ce qui concerne le rapport de présentation du plan local d'urbanisme :
5. Aux termes du VI de l'article 12 du décret du 28 décembre 2015 : " Les dispositions des articles R.123-1 à R.123-14 du code de l'urbanisme dans leur rédaction en vigueur au 31 décembre 2015 restent applicables au plan local d'urbanisme dont (...), la révision, (...) a été engagée avant le 1er janvier 2016. / (...) / Sont en outre applicables, dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, les dispositions du 2) de l'article R 151-1, de l'article R 151-4, du 1) de l'article R 151-23 et du 1° de l'article R 151-25 du code de l'urbanisme dans leur rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2016 ".
6. Aux termes de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme, applicable en l'espèce : " I.-Le plan local d'urbanisme respecte les principes énoncés aux articles L. 110 et L. 121-1. Il comprend un rapport de présentation, un projet d'aménagement et de développement durables, des orientations d'aménagement et de programmation, un règlement et des annexes. Lorsque le plan local d'urbanisme tient lieu de programme local de l'habitat ou de plan de déplacements urbains, il comprend également un programme d'orientations et d'actions. Chacun de ces éléments peut comprendre un ou plusieurs documents graphiques. / (...) ". Aux termes de l'article L. 123-1-4 du même code : " Dans le respect des orientations définies par le projet d'aménagement et de développement durables, les orientations d'aménagement et de programmation comprennent des dispositions portant sur l'aménagement, l'habitat, les transports et les déplacements. / 1. En ce qui concerne l'aménagement, les orientations peuvent définir les actions et opérations nécessaires pour mettre en valeur l'environnement, notamment les continuités écologiques, les paysages, les entrées de villes et le patrimoine, lutter contre l'insalubrité, permettre le renouvellement urbain et assurer le développement de la commune. Elles peuvent favoriser la mixité fonctionnelle en prévoyant qu'en cas de réalisation d'opérations d'aménagement, de construction ou de réhabilitation, un pourcentage de ces opérations est destiné à la réalisation de commerces. (...) " et aux termes de l'article R. 123-2 du code de l'urbanisme demeuré en vigueur en application des dispositions précitées dès lors que la révision du plan local d'urbanisme a été engagée avant le 1er janvier 2016 : " Le rapport de présentation : (...) 3° Explique les choix retenus pour établir le projet d'aménagement et de développement durable et, le cas échéant, les orientations d'aménagement et de programmation ; il expose les motifs de la délimitation des zones, des règles et des orientations d'aménagement et de programmation mentionnées au 1 de l'article L. 123-1-4, des règles qui y sont applicables, notamment au regard des objectifs et orientations du projet d'aménagement et de développement durables. Il justifie l'institution des secteurs des zones urbaines où les constructions ou installations d'une superficie supérieure à un seuil défini par le règlement sont interdites en application du a de l'article L. 123-2 ".
7. Il ressort des pièces du dossier que le projet d'aménagement et de développement durables de la ville de Granville a pour objectifs de préserver les espaces naturels présentant une grande valeur écologique et paysagère en garantissant leur pérennité sur le long terme, de protéger les espaces naturels qui constituent la matrice naturelle de la commune, de promouvoir une ville compacte. A cet effet, l'enjeu du paysage a fortement guidé la conception du plan. S'agissant en particulier de la façade sud de la commune, il est prévu que le paysage naturel littoral doit être protégé, en particulier en ce qui concerne les espaces naturels bordant le littoral au sud de la ville depuis la pointe Gautier jusqu'au nord de St Nicolas plage, sur une large bande préservant les vues sur et depuis la mer. La volonté de développement urbain de la commune privilégie l'arrière-pays pour assurer la préservation des espaces naturels littoraux (2.1.2). Il est également prévu que le développement de l'habitat ne doit pas dénaturer certains quartiers de Granville présentant une grande valeur patrimoniale (2.2.2). En particulier, lorsque la valeur patrimoniale est liée à la richesse architecturale d'une ou plusieurs constructions, le plan local d'urbanisme préserve individuellement la ou les constructions repérées. A ce titre, le château de la Crête, situé à proximité immédiate du littoral qu'il surplombe, a été identifié comme bâti ancien à caractère noblier de grande valeur patrimoniale. S'agissant des boisements, il est indiqué que le plan local d'urbanisme préserve les parcs entourant les résidences patrimoniales en actualisant leur délimitation aux espaces boisés.
8. Le rapport de présentation du plan local d'urbanisme rappelle que le rivage constitue un paysage remarquable à forte valeur patrimoniale conduisant à un objectif tendant à éviter une appropriation de la vue, des reliefs et de la façade maritime, à préserver les secteurs urbains de grande valeur patrimoniale. Au titre des enjeux de cette révision la commune de Granville a indiqué chercher à mettre en valeur la présence végétale et à maintenir la qualité du paysage littoral.
9. Eu égard à la situation du château de la Crête et à sa valeur patrimoniale, le projet d'aménagement et de développement durables ainsi que le rapport de présentation exposent avec suffisamment de précision les choix retenus par les auteurs du plan local d'urbanisme s'agissant des éléments à protéger. Ces motifs sont ainsi de nature à justifier les orientations et choix retenus par la ville de Granville quant à l'aménagement urbain de ce secteur. La circonstance que le plan local d'urbanisme puisse prévoir une possibilité d'urbanisation à proximité du couvent St Nicolas, du château de la Horie ou aux abords du manoir St Nicolas, ne saurait, en l'espèce, être de nature à démontrer l'insuffisance de motivation des orientations d'aménagement retenues par la ville de Granville s'agissant des espaces entourant le château de la Crête, lesquels ne présentent pas les mêmes caractéristiques que ceux desdits sites.
En ce qui concerne la motivation du classement de parcelles :
10. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'urbanisme, alors en vigueur : " (...) les plans locaux d'urbanisme (...) déterminent les conditions permettant d'assurer : 1° L'équilibre entre : / a) Le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux ; / b) L'utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières, et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ; / c) La sauvegarde des ensembles urbains et du patrimoine bâti remarquables ; (...) / 2°La diversité des fonctions urbaines et rurales et la mixité sociale dans l'habitat, en prévoyant des capacités de construction et de réhabilitation suffisantes pour la satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs de l'ensemble des modes d'habitat, d'activités économiques, touristiques, sportives, culturelles et d'intérêt général ainsi que d'équipements publics et d'équipement commercial, en tenant compte en particulier des objectifs de répartition géographiquement équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services, d'amélioration des performances énergétiques, de développement des communications électroniques, de diminution des obligations de déplacements motorisés et de développement des transports alternatifs à l'usage individuel de l'automobile ; (...) ".
11. En application de ces dispositions, les auteurs du plan local d'urbanisme n'étaient pas tenus par une obligation de motivation du changement de classement de chacune des parcelles du territoire communal. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, les requérants ont été mis en mesure d'apprécier les changements apportés au document d'urbanisme et d'en mesurer la portée. En conséquence, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du changement de classement du zonage de certaines des parcelles appartenant à la requérante ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le principe d'égalité et la discrimination :
12. Aux termes de l'article R.123-8 du code de l'urbanisme, alors en vigueur : " Les zones naturelles et forestières sont dites " zones N ". Peuvent être classées en zone naturelle et forestière, les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison : / a) soit de la qualité des sites, milieux et espaces naturels, des paysages et de leur intérêt, notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique ; (...) " . Aux termes de l'article 1N du plan local d'urbanisme de la commune de Granville : " La zone N est une zone de protection, motivée par la qualité des sites, espaces ou milieux naturels et les paysages, ainsi que la prise en compte des risques naturels (...). Elle peut comprendre des constructions de grand intérêt architectural ou patrimonial : les châteaux et leurs parcs. Dans ces zones, seules sont autorisées les extensions des constructions existantes ainsi que les annexes. (...) ".
13. Il est de la nature de toute réglementation d'urbanisme de distinguer des zones dans lesquelles les possibilités de construire sont différentes. Compte tenu de sa localisation à proximité immédiate du littoral, le château de la Crête se trouve dans un secteur différent de celui des autres châteaux et sites patrimoniaux répertoriés par la commune de Granville et localisés à une distance plus importante du littoral. Par suite, les moyens tirés de la violation du principe d'égalité et de la discrimination qui aurait été commise à l'égard de la SCI la Crête ne peuvent être accueillis.
En ce qui concerne le classement des parcelles AR 98 et 102 :
14. La requérante se prévaut de ce que, eu égard à la circonstance que les parcelles AR 98 et 102 supportent sur leur limite nord d'anciennes constructions, desservies par les réseaux, elles auraient dû, à l'instar des biens inclus dans la zone UE3 qu'elles jouxtent, être classées en zone urbanisée de la commune dès lors qu'elles forment avec ces biens un ensemble homogène. Si les parcelles AR 98 et 102 sont effectivement situées dans le prolongement sud et ouest de parties urbanisées du territoire de la commune de Granville, elles se rattachent néanmoins au vaste espace naturel constituant le parc du château de la Crête que la commune souhaite préserver conformément aux orientations de son projet d'aménagement et de développement durables visant en particulier à mettre en valeur le patrimoine naturel et paysager. Dans ces conditions, la SCI La Crête n'est pas fondée à soutenir que le classement en zone 1N de ces deux parcelles serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
15. Il résulte de ce qui précède que la SCI La Crête n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Granville qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance la somme que demande la SCI La Crête à ce titre. Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la SCI La Crête doivent dès lors être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCI la Crête est rejetée.
Article 2 Le présent arrêt sera notifié à la SCI la Crête, à la commune de Granville et à la communauté de communes Granville Terre et Mer.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2019, où siégeaient :
- M. Perez, président de chambre,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. Giraud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 juillet 2019.
Le rapporteur,
C. BRISSON Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04115