Par une requête, enregistrée le 27 novembre 2018, M.A..., agissant en son nom propre et au nom des jeunes D...A...et G...A..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 octobre 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande dirigée contre la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 3 janvier 2018 ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer aux jeunes D...A...et G...A...un visa d'entrée et de long séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen des demandes de visa, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- en se fondant sur l'absence de décision prononçant la déchéance de l'autorité parentale de la mère des jeunes D...etG..., la commission a commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ces mêmes dispositions, les liens de filiation étant établis tant par les documents d'état civil que par la possession d'état ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire aux stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il indique se référer à ses écritures et pièces de première instance.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 janvier 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les observations de MeE..., substituant Me C...et représentant M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M. F...A..., ressortissant guinéen né le 7 septembre 1977, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 23 octobre 2015. Les demandes de visa présentées sur le fondement de l'article L. 751-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour les jeunes D...A...et G...A..., nés respectivement le 16 février 2003 et le 10 janvier 2007 et que M. F...A...présente comme ses enfants, ont été rejetées par une décision des autorités consulaires françaises à Conakry notifiée le 20 octobre 2017. Le recours formé contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté le 3 janvier 2018 aux motifs, d'une part, que les actes de naissance transcrits le 11 janvier 2016 étant dénués de valeur probante, l'identité des demandeurs et leur lien familial avec M. A...n'étaient pas établis et, d'autre part, qu'il n'était justifié d'aucun jugement de déchéance de l'autorité parentale de la mère des demandeurs auprès de laquelle ces derniers vivent. M. A...relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 octobre 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 3 janvier 2018.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " I.-Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...), âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage (...) est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) / II - (...)3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / (...) ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / (...) ".
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, compte tenu des motifs de la décision contestée tenant notamment à l'absence de valeur probante des actes de naissance transcrits le 11 janvier 2016 en exécution des jugements supplétifs du 7 janvier 2016, Mme B...A..., mère des jeunes D...et G...A..., a introduit une requête, devant le tribunal de première instance de Mamou (justice de paix de Pita) tendant à la rectification des jugements supplétifs mentionnés ci-dessus. Par un jugement du 28 février 2018, cette juridiction a annulé les jugements supplétifs n° 7188 et n° 7187 du 7 janvier 2016 ainsi que les actes de naissance transcrits le 11 janvier 2016 sous les numéros 012 et 013. Le même jour, le tribunal de première instance de Mamou (justice de paix de Pita) a rendu deux jugements supplétifs n° 813 et n° 814 tenant lieu d'actes de naissance, concernant respectivement le jeune G...A...et le jeune D...A...et transcrits, le 1er mars 2018, sous les numéros 069 et 070, en marge des registres d'état civil des années 2007 et 2003. Il ressort de ces documents que le jeune D...A...né le 16 février 2003 et le jeune G...A...né le 10 janvier 2007 sont les fils de M. F...A...et de Mme B...A....
4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Ni la circonstance que les jugements supplétifs d'actes de naissance mentionnés au point précédent soient intervenus seulement en 2018 alors qu'ils constatent des naissances survenues en 2003 et 2007 ni le fait qu'ils aient été demandés en vue de justifier la réalité des liens de filiation contestés par l'administration ne sont, en eux-mêmes, de nature à caractériser des jugements frauduleux. Si le ministre a fait valoir devant le tribunal que ces jugements sont fondés " sur simple déclaration de la mère présumée des intéressés (...) sans élément objectif garantissant la réalité " des événements relatés et qu'ils ont été rendus le lendemain de l'enregistrement des requêtes, révélant " l'absence de toute possibilité d'enquête réelle sur les dires de la partie intéressée ", cette circonstance n'établit pas davantage, en l'absence d'éléments démontrant que les règles de droit et usages juridictionnels guinéens organisent de manière différente l'instruction des demandes de jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance, que ces décisions juridictionnelles, dont l'administration ne peut utilement contester le bien-fondé, procèdent d'une démarche frauduleuse. Enfin, si le ministre se prévaut de ce que, alors que les dispositions de l'article 601 du code de procédure civile guinéen prévoient que " Le délai de recours par une voie ordinaire est de 10 jours en matière contentieuse comme en matière gracieuse ", les jugements supplétifs litigieux ont été transcrits le lendemain de leur établissement, outre que cette circonstance est susceptible de faire regarder comme frauduleux les seuls actes de transcription et non les jugements supplétifs eux-mêmes, les articles 898 et 899 de ce code prévoient que le dispositif de la décision portant rectification de jugements supplétifs d'actes d'état civil est transmis immédiatement au dépositaire des registres de l'état civil et que mention de ce dispositif est aussitôt portée en marge de cet acte. Ainsi, les jugements du 28 février 2018 rendus par le tribunal de première instance de Mamou saisi d'une demande de rectification des jugements du 7 janvier 2016 ont pu être transcrits sans formalité de délai. Il suit de là que les jugements du 28 février 2018 établissent les liens de filiation entre M. F...A...et les demandeurs de visa, les jeunes D...et G...A..., dont les documents de voyage permettent, par ailleurs, de s'assurer de l'identité.
5. En second lieu, d'une part, ni les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni aucune autre disposition ne subordonnent la délivrance d'un visa d'entrée en France aux enfants mineurs de l'étranger titulaire de la qualité de réfugié à la déchéance de l'autorité parentale de l'autre parent résidant à l'étranger. D'autre part, par un jugement n° 2477 du 28 octobre 2016, le tribunal de première instance de Conakry, saisi d'une demande de Mme B...A..., mère des jeunes D...etG..., ainsi qu'il a été dit au point 3 du présent arrêt, a autorisé M. F...A...à exercer sur ces deux enfants, dont elle n'assure d'ailleurs pas la garde, toute la puissance parentale. En alléguant, sans apporter le moindre élément à l'appui de ses assertions, que l'identité de Mme A...n'a pu être vérifiée et que le jugement du 28 octobre 2016 aurait été rendu sur la base d'actes de naissance apocryphes, le ministre ne démontre pas le caractère frauduleux de ce jugement.
6. Il suit de là que la décision contestée est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation. M. A...est, par suite, fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande dirigée contre la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 3 janvier 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard aux motifs du présent arrêt, l'exécution de celui-ci implique nécessairement la délivrance de visas d'entrée et de long séjour aux jeunes D...A...et AlhassaneA.... Il y a lieu d'ordonner au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
8. M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut ainsi se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu de fixer la somme dont le versement à Me C...est, dans les conditions définies à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991, mis à la charge de l'Etat à 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 octobre 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. A...dirigée contre la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 3 janvier 2018.
Article 2 : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 3 janvier 2018 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux jeunes D...A...et G...A...un visa d'entrée et de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me C...la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. F...A....
Délibéré après l'audience du 11 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, président,
- M. Giraud, premier conseiller,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 juillet 2019.
Le rapporteur,
K. BOUGRINE
Le président,
C. BRISSONLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04147