Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 mai 2018 en tant qu'il annule la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, surseoit à statuer sur les conclusions à fin d'injonction et met une somme de 800 euros à la charge de l'Etat au titre des frais liés au litige.
2°) de rejeter la demande de M. et Mme B...devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que M.B..., eu égard aux fonctions exercées dans le cadre de son second contrat de travail, n'a pas eu à intervenir lors d'opérations de combat ou de sécurisation menées par les forces françaises, de sorte qu'il n'est pas exposé à des risques particuliers, et que les justificatifs qu'il a produits sont insuffisants pour établir ce risque. En outre, M. B...a fait l'objet de la part du ministère de la défense d'un avis sécuritaire défavorable au motif que l'intéressé était en relation avec des insurgés afghans et que ces contacts n'étaient pas justifiés par son emploi.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M.A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., qui est de nationalité afghane, a sollicité, le 30 juillet 2015, auprès de l'autorité consulaire française à Kaboul (Afghanistan), la délivrance d'un visa de long séjour dans le cadre du dispositif de réinstallation des personnels civils de recrutement local (PCRL) employés par l'armée française dans le cadre de son intervention en Afghanistan. Sa demande a été rejetée par les autorités consulaires par une décision du 10 mars 2016. Le recours contre cette décision formé le 9 mai 2016 par M. et Mme B... a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. A la demande des intéressés, le tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 30 mai 2018, a annulé cette décision implicite et a sursis à statuer sur leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'autorité administrative de leur délivrer les visas sollicités dans l'attente de la production, par le ministre, des documents ayant servi à fonder l'avis de sécurité défavorable du 17 décembre 2012 émis par la direction de la protection et de la sécurité de la défense. Dans la présente instance, le ministre relève appel de ce jugement en tant qu'en ses articles 2, 3 et 4, il annule la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, surseoit à statuer sur les conclusions à fin d'injonction et met une somme de 800 euros à la charge de l'Etat au titre des frais liés au litige.
Sur la légalité de la décision contestée :
2. Pour refuser de délivrer à M. B...le visa qu'il sollicitait, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, ainsi qu'il ressort de son courrier du 23 août 2016 communiquant les motifs de la décision implicite de rejet, sur la circonstance que l'intéressé n'entrait pas dans le cadre du dispositif arrêté par les autorités françaises au bénéfice d'ex-Personnels Civils de Recrutement Local (PCRL) de l'armée française lors de son intervention en Afghanistan. Selon le ministre, trois critères cumulatifs doivent, en effet, être remplis pour prétendre à la délivrance d'un visa dans le cadre de ce dispositif : la qualité des services rendus, l'exposition à une menace particulière au regard de la nature et de la durée de l'emploi exercé ainsi que du temps écoulé depuis la fin du contrat avec les forces françaises et l'absence de menace à l'ordre public. Toutefois, dans les cas où l'administration peut légalement disposer d'un large pouvoir d'appréciation pour prendre une mesure au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, il est loisible à l'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures sans que l'intéressé puisse se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif. Il s'ensuit que les orientations générales arrêtées par les autorités françaises en vue de l'accueil en France de certains personnels civils recrutés localement pour servir auprès des forces françaises en Afghanistan ne peuvent être invoquées à l'appui d'un recours devant le juge administratif.
3. L'administration commettrait, cependant, une erreur manifeste d'appréciation en refusant de délivrer un visa à un PCRL qui court, en raison de ses anciennes fonctions auprès de l'armée française, un risque réel d'atteinte à son existence ou sa personne. En l'espèce, M. B... a été recruté comme interprète, à compter du 13 novembre 2009 jusqu'au 23 juillet 2010, date de sa démission, dans le cadre de la Force Internationale d'Assistance à la Sécurité (FIAS) par les forces françaises présentes en Afghanistan. Il a été, de nouveau, recruté le 2 octobre 2010 et a été mis à la disposition du pôle de stabilité du ministère des affaires étrangères sur la base militaire de Nijrab, jusqu'au 1er février 2013, date à laquelle son contrat a été résilié en raison du départ des forces françaises. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des attestations particulièrement circonstanciées rédigées en 2016 par les plus hautes autorités militaires ayant eu à commander l'unité regroupant l'ensemble des forces terrestres françaises en Afghanistan entre mai 2011 et avril 2012, en l'occurrence les généraux de corps d'armée de la Task Force Lafayette IV, ou encore par le haut-représentant civil affecté sur la base militaire opérationnelle de Nijrab, sous les ordres duquel l'intéressé a exercé, que M.B..., dans le cadre de sa dernière affectation au pôle de stabilité, s'est particulièrement distingué par la qualité de son travail grâce à une excellente connaissance du milieu local, sa grande compétence et sa totale fidélité. Il a été, en particulier, associé à de très nombreuses missions sur le terrain au côté des experts civils. Il lui a été, en outre, demandé, de prendre contact avec un grand nombre de personnes, y compris celles pouvant être liées à l'insurrection, à tous les niveaux de l'administration ou dans la société civile. Cette mission l'a amené à se rendre dans des vallées parfois éloignées des positions françaises. Son travail a permis, entre autres, d'organiser en septembre 2011, une réunion d'imans influents de la Kapisa qui s'inscrivait, ainsi que le souligne le général Emmanuel Maurin, dans une stratégie de contre-insurrection et qui fut un réel succès ayant un fort retentissement dans la région. Selon ces mêmes attestations, M. B...a clairement pris des risques dans le cadre de ses missions, non seulement en s'exposant physiquement, mais aussi en dévoilant son identité à nombre de ses interlocuteurs (juges, procureurs, policiers, parlementaires, responsables d'ONG, fonctionnaires ...) susceptibles d'informer les groupes armées. Ces attestations reconnaissent aussi unanimement qu'à la date à laquelle elles ont été rédigées, soit en 2016, M. B...ainsi que sa famille encourent encore des dangers dès lors qu'il a pu être identifié lors des missions qui lui ont été confiées. Le général Bizeul indique, notamment, que M. B...a fait l'objet d'une haine féroce des talibans qui l'ont menacé de mort en cas de capture. L'intéressé a, au demeurant, alerté à plusieurs reprises la commission de la sécurité interne du parlement afghan sans qu'il ne ressorte des pièces du dossier que les autorités locales aient pris des mesures adéquates pour assurer sa sécurité. Le ministre ne peut enfin utilement opposer la circonstance que les risques encourus ont été pris alors que M. B...était mis à la disposition du ministère des affaires étrangères et du ministère de la justice, alors qu'en tout état de cause, il est constant qu'il a été recruté par le ministère de la défense - Opération Pamir - Direction du commissariat pour les forces françaises en Afghanistan, et ainsi qu'il ressort des attestations susmentionnées, que les missions qui lui ont été confiées dans ce cadre présentaient un lien étroit avec les opérations de sécurisation menées par les forces françaises. Il suit de ce qui précède que, dans les circonstances de l'espèce, alors que la situation en Afghanistan s'est dégradée avec une recrudescence des violences qui exposent à des risques élevés les ressortissants afghans qui ont accordé leur concours à des forces armées étrangères, M. B...doit être regardé comme ayant suffisamment démontré la réalité des menaces auxquelles il est exposé du fait de son recrutement par les autorités françaises.
4. Le ministre se prévaut, toutefois, de l'avis de sécurité défavorable émis le 17 décembre 2012 par la direction de la protection et de la sécurité de la défense sur le fondement d'une " note blanche " selon laquelle les investigations menées en décembre 2012, lors de la demande de renouvellement du badge d'accès de M. B...au camp de Warehouse à Kaboul, ont mis en évidence des liens entre l'intéressé et des insurgés afghans sans que ces contacts soient justifiés par l'emploi d'interprète, ce qui a conduit à la résiliation de son contrat en février 2013. Toutefois, il ressort des mêmes attestations, notamment de celle du haut-représentant civil affecté sur la base militaire opérationnelle de Nijrab, sous les ordres duquel le requérant exerçait à l'époque, que cet avis a été émis sans consultation préalable de ses supérieurs hiérarchiques alors qu'il avait bien été donné mission à l'intimé, ainsi qu'il a été dit au point précédent, de constituer pour le compte du Pôle stabilité " un vaste spectre de contacts officiels et officieux, dont des personnes peu recommandables en Kapisa et en Surobi ". La note, qui ne précise pas la période au cours de laquelle les faits reprochés à l'intéressé se seraient produits, n'est pas de nature à remettre en cause cette appréciation. Par ailleurs, et contrairement à ce qu'indique cette note, le motif de la résiliation du contrat de travail de M. B...en qualité d'interprète est tiré, ainsi qu'il ressort de la décision du 30 janvier 2013, non pas d'une faute retenue à l'encontre de l'intéressé, mais du " départ de tout ou partie des forces ". Enfin, il n'est pas contesté, alors même que cet avis défavorable existait, que M. B...a obtenu, en 2014, un visa d'entrée en France pour accompagner un haut-parlementaire afghan. Par suite, cette note n'est pas de nature à établir que la présence en France de M. B...constituerait une menace pour l'ordre public.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. et Mme B... et de leurs enfants. Le ministre de l'intérieur n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, a sursis à statuer sur les conclusions à fin d'injonction et a mis à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante, les frais liés au litige.
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D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. et Mme D...B....
Délibéré après l'audience du 13 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme Brisson, président-assesseur
- M.A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 décembre 2018.
Le rapporteur,
M. C...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02701