Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 mai 2019, Mme C... E..., agissant en son nom propre et au nom de son fils allégué M. D... B..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 décembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer le visa de long séjour sollicité dans le délai d'un mois ou subsidiairement de réexaminer la demande de visa ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
la décision contestée est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 47 du code civil dès lors que tant le jugement supplétif du 2 mars 2016 que l'extrait d'acte de naissance délivré le 17 mars 2010, qui présente au surplus un caractère superfétatoire, sont authentiques, que l'acte de naissance du 3 mai 2016 est conforme à la législation guinéenne alors qu'ils n'ont fait preuve d'aucune intention frauduleuse ;
la décision contestée a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient, en se rapportant à ses écritures de première instance, qu'aucun des moyens soulevés par Mme E... n'est fondé.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... E..., ressortissante guinéenne, relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 décembre 2018 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé devant elle contre la décision par laquelle le consul général de France à Conakry (Guinée) a refusé de délivrer à son enfant allégué, Oumar B..., né le 15 mai 2001, un visa de long séjour pour établissement familial en sa qualité de membre de la famille d'un réfugié statutaire.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il ressort des motifs de la décision contestée, communiqués à Mme E... par un courrier de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 24 novembre 2016, que pour refuser de délivrer le visa sollicité, la commission s'est fondée sur le fait que " l'extrait de l'acte de naissance produit de l'enfant D... B... n'est pas conforme à la législation locale. En effet, l'article 601 du code de procédure civil guinéen, dispose qu'il existe un droit d'appel de la décision de 10 jours. Or, le jugement supplétif de naissance ayant été rendu le 02/03/2016 et l'acte de naissance ayant été retranscrit le 03/03/2016, soit 1 jour plus tard le délai d'appel, n'a pas été respecté ".
3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. A l'appui de la demande de visa ont été présentés le jugement supplétif n° 1016 tenant lieu d'acte de naissance rendu le 2 mars 2016 par le tribunal de première instance de Conakry III ainsi qu'une transcription de ce jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance délivré le 3 mars 2016. Si l'article 601 du code de procédure civil guinéen prévoit que " le délai de recours par une voie ordinaire est de dix jours en matière contentieuse comme en matière gracieuse. L'inobservation de ce délai emporte déchéance et court du jour du jugement, si celui-ci est contradictoire ou du jour de la notification si le jugement est rendu par défaut ", ce code contient, en sa troisième partie, des dispositions particulières à certaines matières, notamment sur " Les personnes " et plus particulièrement sur les actes de l'état civil, aux articles 889 et suivants. Selon l'article 899 de ce code : " Toute décision dont la transcription ou la mention sur les registres de l'état civil est ordonnée, doit énoncer, dans son dispositif, les noms, prénoms des parties ainsi que, selon le cas, le lieu où la transcription doit être faite ou les lieux et dates des actes en marge desquels la mention doit être portée. Seul le dispositif de la décision est transmis au dépositaire des registres de l'état civil. Les transcription et mention du dispositif sont aussitôt opérées. ". Cet article prévoyant ainsi la transcription immédiate du dispositif des jugements supplétifs d'actes de naissance sur les registres d'état civil, la commission ne pouvait se fonder sur le motif tiré de ce que l'extrait d'acte de naissance produit avait été délivré avant l'expiration du délai de transcription prévu à l'article 601 du code de procédure civil guinéen qui concerne les matières contentieuses et gracieuses. En tout état de cause, la circonstance que l'acte de naissance a été émis dans le délai d'appel prescrit par cet article n'est pas de nature à remettre en cause la sincérité des mentions apportées dans les documents d'état civil présentés à l'appui de la demande de visa. Par suite, et ainsi que le soutient Mme E..., la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'erreur de droit
5. L'administration peut, toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Le ministre de l'intérieur invoque, dans son mémoire en défense communiqué à Mme E..., en s'en remettant à ses écritures de première instance, lesquelles avaient été également communiquées à l'intéressé par le tribunal administratif, des motifs subsidiaires tirés, d'une part, du caractère inauthentique des actes d'état civil produits à l'appui de la demande de visa et, d'autre part, de l'intention frauduleuse.
7. En premier lieu, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. En se bornant à invoquer le défaut d'authenticité du jugement supplétif produit à l'appui de la demande de visa et à affirmer qu'il ne serait pas conforme au code civil guinéen, le ministre n'établit pas le caractère frauduleux de ce document. Au surplus, le caractère inauthentique de ce jugement et de l'extrait d'acte de naissance délivré sur son fondement ne saurait résulter de ce que Mme E... avait déclaré le jeune D... B... né de père inconnu alors qu'ils mentionnent le nom du père, ni de ce que le jugement supplétif a été inscrit en marge des registres de l'état civil de l'année 2001, et non de ceux de l'année 2002 comme mentionné dans le jugement.
8. En deuxième lieu, la circonstance que le jugement supplétif, ainsi que l'extrait d'acte de naissance délivré sur son fondement, ne mentionnent pas le lieu et la date de naissance des parents du jeune D... B... n'est pas de nature à créer un doute quant à la circonstance que ces actes se rapportent à la requérante, le consul général de France à Conakry reconnaissant, au demeurant, dans sa décision du 17 juin 2016, que le dossier de demande de visa établit bien le lien de filiation.
9. En troisième lieu, la déclaration de naissance étant intervenue, ainsi que le mentionne au demeurant expressément le jugement supplétif du 2 mars 2016, sur le fondement des dispositions de l'article 193 du code civil qui concernent les déclarations tardives de naissance au-delà du délai légal fixé à l'article 192 du même code, le ministre ne peut, dans ces conditions, utilement invoquer la méconnaissance de ce dernier article.
10. En dernier lieu, pour établir l'intention frauduleuse, le ministre ne saurait se fonder sur l'acte de naissance produit en cours d'instance devant le tribunal administratif dès lors qu'il est constant que cet acte n'a pas été présenté à l'appui de la demande de visa.
11. Il suit de là qu'il n'y a pas lieu de procéder à la substitution de motifs demandée par le ministre.
12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
13. Le présent arrêt, eu égard à ses motifs, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, implique de délivrer au jeune D... B... le visa de long séjour sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de délivrer à l'intéressé le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
14. Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me F... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 décembre 2018 et la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune D... B..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le versement de la somme de 1 200 euros à Me F... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E..., à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. A...'hirondel, premier conseiller,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 novembre 2019.
Le rapporteur,
M. G...
Le président,
A. PEREZ Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01685