Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 octobre 2018, M. et MmeD..., représentés par MeF..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 mai 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés de la préfète d'Indre-et-Loire du 20 mars 2018 ;
3°) d'enjoindre à la préfète, en application de l'article L 911-1 du code de justice administrative, de leur délivrer une carte de séjour temporaire les autorisant à travailler dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 2 000 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il a omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que la préfète a omis de motiver sa décision au regard de la demande de titre de séjour présentée en qualité d'étranger malade ;
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- la décision est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne précise pas les motifs de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- la décision est entachée d'un vice de procédure, ayant été prise tardivement après la formulation de cet avis ;
- le 11° de l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été violé ;
- son origine rom l'expose à une discrimination ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :
- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ont été violées ;
En ce qui concerne le pays de destination :
- l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique du 20 mai 2019, le rapport de Mme Brisson.
Considérant ce qui suit :
1. M. et MmeD..., ressortissants albanais, nés respectivement les 31 décembre 1960 et 25 août 1981, déclarent être entrés sur le territoire national le 30 décembre 2011. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par la cour nationale du droit d'asile le 20 décembre 2013 tout comme leurs demandes de réexamen le 14 mai 2013. M. D...s'est vu attribuer une carte de séjour temporaire pour raisons médicales du 7 février 2013 au 14 janvier 2017. Le 14 janvier 2017, il a sollicité le renouvellement de sa carte de séjour temporaire et Mme D...a demandé la délivrance d'une carte de séjour sur le fondement de l'article L 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par des arrêtés du 20 mars 2018, la préfète d'Indre-et-Loire a refusé de faire droit à leurs demandes. Par un jugement du 20 septembre 2018, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes. M et Mme D...relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police. " . Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
3. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
4. Il ressort des pièces du dossier et notamment des certificats établis par son médecin traitant les 15 et 26 mars et le 4 octobre 2018 que M. D...présente une polypathologie impliquant un suivi régulier par différents spécialistes (psychiatre, cardiologue, diabétologue, rhumatologue) ainsi qu'il ressort du récapitulatif de ses consultations hospitalières régulières et ininterrompues depuis 2012. Des praticiens du centre hospitalier universitaire de Tours ont, les 29 mars, 4 et 12 octobre 2018, attesté de ce que l'absence de la poursuite des soins dont il a besoin expose M. D...à un risque de décompensation engageant son pronostic vital. Si une première attestation du 24 mars 2018 d'une pharmacie albanaise mentionne que tous les médicaments dont l'intéressé a besoin ne sont pas disponibles en Albanie, sans toutefois préciser si certains d'entre eux ne pourraient être remplacés par des substances équivalentes, deux autres attestations émanant de deux pharmacies albanaises distinctes, datées des 3 et 4 octobre 2018, confirment l'indisponibilité d'une partie des médicaments dont l'intéressé a besoin et en précisant que, pour certains, aucune substitution avec un produit équivalent n'est possible.
5. Si le préfet a, devant les premiers juges, produit un extrait d'une fiche "medical country of origin information " d'origine belge, selon laquelle l'Albanie dispose de structures hospitalières permettant de prendre en charge les pathologies psychiatriques, ce document ne fournit aucune indication quant à la disponibilité des catégories de médicaments prescrits à M.D....
6. Dans ces conditions, les éléments fournis par le requérant sont de nature à remettre en cause l'appréciation portée par l'autorité préfectorale qui s'est abstenue de défendre en appel.
7. Ainsi en prenant les décisions en litige, le préfet d'Indre-et-Loire a méconnu les dispositions du 11° de l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que M. et Mme D...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Eu égard au motif énoncé au point 7, le présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. D...d'une carte de séjour temporaire sur le fondement du 11° de l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le réexamen de la demande de titre présentée par MmeD..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. M. D...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me F...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 20 septembre 2018 est annulé.
Article 2 : Les arrêtés de la préfète d'Indre-et-Loire du 20 mars 2018 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète d'Indre-et-Loire de délivrer à M. D...un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par MmeD..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à MeF..., une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Mme B...E...épouse D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet d'Indre-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 20 mai 2019 où siégeaient :
- M. Perez, président de chambre,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M.A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 7 juin 2019.
Le rapporteur,
C. BRISSONLe président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT03834