Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 novembre 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 septembre 2018 ;
2°) de rejeter la requête de Mme C...B...et de M. D...F...devant le tribunal administratif de Nantes
Le ministre soutient que :
c'est à tort que les premiers juges ont estimé que Mme C...B...était éligible à la réunification familiale dès lors que ni l'OFPRA, ni le tribunal de grande instance de Versailles ne la considèrent comme l'épouse de M. D...F.... Elle ne peut être non plus regardée comme sa concubine dès lors que, et sans que l'on puisse prendre en compte la naissance de leur enfant, la plupart des éléments de nature à démontrer une vie commune et stable sont postérieurs à leur demande d'asile et que certains de ces éléments sont contradictoires ;
le certificat de naissance produit n'est pas de nature à établir le lien de filiation alors que les tests ADN n'établissent pas la filiation de l'enfant à l'égard de Mme C...B...;
dans l'intérêt des autres enfants du couple, une réunification partielle ne saurait être autorisée dès lors qu'elle violerait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale de New-York relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2019, M. J... D...F...et Mme I...C...B..., agissant en leur nom personnel et en tant que représentant légal de leur enfant E...J...D..., représenté par MeG..., concluent au rejet de la requête du ministre et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 .
Ils soutiennent qu'aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur n'est fondé.
M. D...F...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 2 mai 2019.
Vu le jugement attaqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
La Convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. L'hirondel,
- et les observations de MeG..., représentant Mme C...B...et M. D...F....
Considérant ce qui suit :
1. M. D...F..., né le 20 novembre 1986 à Garbaharey (Somalie), est entré en France en 2012 et s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 novembre 2013. Mme C...B...a déposé, le 1er avril 2015, une demande de visa de long séjour pour elle-même et pour le jeune E...J...D..., en qualité respectivement de conjointe et d'enfant de réfugié. Les autorités consulaires françaises à Johannesburg (Afrique du Sud) leur ont opposé un refus le 7 août 2015. Par une décision du 30 novembre 2015, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par M. D... F...et Mme C...B...contre cette décision. A la demande des intéressés, le tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 27 septembre 2018, a annulé la décision de la commission de recours du 30 novembre 2015 et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à l'enfant E...J...D...et à Mme C...B...les visas de long séjour sollicités, dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Pour rejeter le recours formé par M. D... F...et Mme C...B..., la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que les documents produits sont de simples certificats de naissance sans valeur authentique, ne permettant pas d'établir l'identité, et donc les liens familiaux allégués avec la personne que les requérants présentent comme leur conjoint ou leur père, d'autre part, de ce qu'il n'est pas produit d'éléments de possession d'état probants.
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Si les dispositions de l'article 47 du code civil ne font pas obstacle au pouvoir d'appréciation, par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, de la sincérité des documents produits à l'appui d'une demande de visa et du recours, la filiation, à l'occasion d'une demande de visa, peut cependant être établie par tout moyen.
5. Il ressort des pièces produites en première instance que par un jugement du 28 février 2017, le tribunal de grande instance de Versailles a déclaré recevable, sur le fondement des dispositions de l'article 327 du code civil et du premier alinéa de l'article 328 du même code, l'action en recherche de paternité formée par " Mme I...C...B..., en sa qualité de représentant légal de son filsE... ". Le même tribunal, par un jugement du 15 mai 2018 a dit, au regard des résultats de l'expertise génétique qu'il avait ordonnée, que M. J...D...F...est le père de l'enfant E...J...D...et a ordonné la transcription de la décision sur l'acte de naissance de l'enfant. Par suite, le lien de filiation du jeune E...J...D...tant vers M. J...D...F...que vers Mme I...C...B...doit être regardé comme établi.
6. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes pièces, notamment du formulaire " Asile " qu'il a renseigné et des déclarations qu'il a faite devant l'officier de protection des réfugiés et apatrides lors de l'entretien réalisé dans le cadre de sa demande d'asile, que M. D... F...a toujours déclaré, depuis qu'il est en France, être marié avec Mme C...B...et être le père du jeuneE.... Ses déclarations sont par ailleurs confirmées par le certificat de mariage dressé par l'association somalienne de l'Afrique du Sud attestant de leur union à Johannesburg (République Sud-Africaine) le 20 janvier 2007 selon la loi islamique. Ses dires sont également confortés par le document sud-africain de reconnaissance de la qualité de réfugiée établi le 22 mars 2011 en faveur de Mme C...B...qui mentionne qu'elle est mariée. Les intéressés produisent, en outre, sept photos, datant selon eux, de leur année de mariage, ainsi que six photos où ils apparaissent avec leur fils, prises, selon leur déclaration, lors du voyage que M. D... F...a effectué en Afrique du Sud en décembre 2015. Enfin, ainsi qu'il a été dit au point précédent, le jeune E...est né de leur union.
7. Enfin, le ministre soutient, sur le fondement des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, que l'intérêt supérieur des autres enfants du couple, Soumaya et Imran, âgés respectivement de 8 et 10 ans, imposait de refuser le regroupement familial partiel. Toutefois, le ministre n'apporte au soutien de son allégation aucun élément de nature à permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. En particulier, il n'établit pas que les intéressés ne pourraient bénéficier des dispositions de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui autorisent un regroupement partiel tenant à l'intérêt des enfants alors que la famille était déjà séparée en raison des craintes de persécution dans leur pays d'origine, chacun des parents obtenant la reconnaissance du statut de réfugié, l'un en France et l'autre en Afrique du Sud, et que seul le jeune E...a suivi sa mère alors qu'il n'est pas contesté que les deux autres enfants du couple sont restés en Somalie. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier, dès lors que les enfants Soumaya et Imran sont déjà séparés de leurs parents et de leur frère, que le regroupement familial partiel entraînerait, contrairement à ce que soutient le ministre, une séparation de la fratrie en morcelant davantage la famille.
8. Il résulte de tout ce qui précède, que M. D...F...et Mme C...B...justifient suffisamment des liens matrimoniaux qui les unissent et du lien de filiation avec l'enfant E...J...D.... Par suite, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de faire délivrer les visas sollicités.
Sur les frais liés au litige :
9. M. D...F...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Pollonodans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Le versement de la somme de 1 200 euros à Me Pollonoest mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. D...F...et à Mme C...B....
Délibéré après l'audience du 20 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M.L'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 juin 2019.
Le rapporteur,
M. L'HIRONDELLe président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04152