Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 juin 2020, M. H... C..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs E..., Abdourahmane et Kalidou C... et Mme G... D..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 décembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision portant refus de délivrance des visas ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, subsidiairement, de lui enjoindre, dans les mêmes conditions, de réexaminer les demandes de visa ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros à verser à leur conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure faute pour l'administration d'établir que la commission était régulièrement composée ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit dès lors, d'une part, que les règles applicables sont celles à la date à laquelle ils ont manifesté leur intention de procéder à un rapprochement familial, soit le 22 janvier 2015, et non à la date à laquelle ils ont pu effectivement déposer les demandes de visa et, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas opposables aux enfants du couple ;
- elle porte une atteinte disproportionnée aux droits protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant dès lors que le lien familial n'a pas été contesté par les autorités consulaires, ni par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, que l'acte de mariage est conforme au droit sénégalais et que l'intérêt supérieur des enfants est de rejoindre leur père installé en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen de légalité externe soulevé pour la première fois en appel et qui n'est pas d'ordre public est irrecevable ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une lettre du 4 décembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 6117 du code de justice administrative, de ce que de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement attaqué en tant qu'il a omis de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du 9 août 2017 et de ce que la cour, après évocation de l'affaire, est susceptible de prononcer elle-même ce non-lieu
M. H... C... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...'hirondel,
- et les observations de Me B..., substituant Me F..., représentant M. C... et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. M. H... C..., ressortissant guinéen né le 2 février 1975, a déclaré être entré le 25 janvier 2006 en France où il s'est vu reconnaître la qualité de réfugié le 25 mars 2008. Le 4 mars 2016, Mme G... D..., qui se présente comme son épouse née le 21 janvier 1986 à Dakar (Sénégal), de nationalité sénégalaise, et leurs trois enfants allégués E..., Abdourahmane et Kalidou C..., nés respectivement les 22 mai 2010, 11 août 2012 et 1er juin 2015, ont sollicité des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié. Par une décision du 31 octobre 2016, les autorités consulaires françaises à Dakar ont rejeté leurs demandes. Par une décision du 9 août 2017, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par M. C... contre cette décision consulaire. Le 19 mai 2017, les requérants ont contesté cette dernière décision devant le tribunal administratif de Nantes et ont également saisi le juge des référés du même tribunal pour obtenir la suspension de son exécution. Par une ordonnance du 19 juillet 2017, le juge des référés a suspendu l'exécution de la décision contestée de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen des demandes de visa. En exécution de cette ordonnance, le ministre de l'intérieur a pris une nouvelle décision en date du 9 août 2017 par laquelle il a refusé de faire droit à la demande des requérants. M. C... et Mme D... ont également contesté cette décision devant le tribunal administratif de Nantes. Par un jugement commun du 19 décembre 2019, le tribunal administratif a annulé la décision du ministre du 9 août 2017 et a rejeté le surplus des conclusions des demandes des requérants. M. C... et Mme D... relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 9 août 2017.
2. En premier lieu, à l'appui de leur demande dirigée contre la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, les requérants ont fait valoir, devant les premiers juges, qu'elle était entachée d'erreurs de droit et méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant. S'ils allèguent, dans la présente instance, qu'elle serait également entachée d'un vice de procédure dès lors que l'administration n'établit pas la composition régulière de la commission, ce moyen, nouveau en appel et qui ne revêt pas un caractère d'ordre public, est fondé sur une cause juridique distincte de celle des moyens invoqués en première instance. Par suite, un tel moyen n'est pas recevable.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 411-4 du même code : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Selon l'article R. 421-3 de ce code : " Dans le cas où le regroupement sollicité n'est que partiel, la demande comporte en outre : / 1° L'exposé des motifs, tenant notamment à la santé ou à la scolarité du ou des enfants ou aux conditions de logement de la famille, qui justifient, au regard de l'intérêt du ou des enfants, que le regroupement familial ne soit pas demandé pour l'ensemble de la famille ; / 2° La liste de ceux des membres de la famille pour lesquels le regroupement familial est demandé ".
4. D'une part, pour examiner la situation de droit et de fait dans laquelle se trouve les demandeurs, il appartient à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France de se placer à la date à laquelle elle statue et non pas à celle de la demande de visa, alors même que la condition relative à l'âge de l'enfant s'apprécie à la date à laquelle la procédure de regroupement a été engagée. Les dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont, dès lors que la loi du 29 juillet 2015 n'a, en ce qui concerne leur entrée en vigueur, prévu ni délai particulier, ni disposition transitoire, devenues applicables le 31 juillet 2015, lendemain de leur publication au Journal officiel, à toute situation non juridiquement constituée au nombre desquelles figurent les instances en cours concernant les refus de visas sollicités sur le fondement du respect du principe de l'unité familiale du réfugié ou du protégé subsidiaire tel qu'issu des stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Dans ces conditions, c'est sans erreur de droit que la commission de recours a pu fonder sa décision sur les dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile issues de la loi du 29 juillet 2015.
5. Dès lors qu'il appartenait à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France de se prononcer au vu de ces nouvelles dispositions, les requérants ne sauraient utilement soutenir qu'il aurait été porté une atteinte excessive à leurs intérêts, faute pour la loi de comporter des mesures transitoires suffisantes pour assurer le respect du principe de sécurité juridique. Ils n'établissent pas, en tout état de cause, qu'ils étaient en droit, en application des anciennes dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de se voir délivrer les visas sollicités. En particulier, ils ne sauraient utilement se prévaloir des dispositions du 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui concernent la délivrance de la carte de résident alors qu'au surplus, ils n'établissent pas une communauté de vie effective dès lors que le mariage a été célébré après l'obtention du statut de réfugié de M. C..., ce dernier vivant en France et son épouse au Sénégal.
6. D'autre part, les dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile renvoient notamment à l'article L. 411-4 du même code qui prohibe le regroupement partiel sauf pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants, cet intérêt devant alors être exposé dans la demande de visa comme le prévoient les dispositions de l'article R. 421-3 de ce code. En l'espèce, les requérants n'établissent pas, ni même n'allèguent avoir déposé une demande de regroupement partiel au profit des seuls enfants et comportant, dans la demande, un exposé des motifs justifiant le recours à cette procédure. Les requérants n'apportent, en outre, aucun élément permettant d'établir l'intérêt des enfants à venir rejoindre leur père alors qu'une procédure de regroupement partiel en leur faveur aurait pour effet de les séparer de leur mère avec qui ils ont toujours vécu et de les obliger à quitter leur pays d'origine. De plus, la décision contestée n'a pas pour objet, en elle-même, d'interdire le regroupement familial souhaité par les requérants, ces derniers étant invités, comme elle le précise, à déposer un dossier via l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), ce dont au demeurant les intéressés avaient été informés par un courrier du 18 mai 2016 du bureau " Famille des réfugiés " du ministère de l'intérieur, soit avant l'intervention de la décision des autorités consulaires et, par voie de conséquence, de la saisine de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par suite, c'est sans erreur de droit que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu refuser aux enfants des requérants les visas sollicités.
7. En troisième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dispose : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatives, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
8. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, la décision contestée n'a pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise, ni n'a porté atteinte à l'intérêt supérieur des enfants. Par suite les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ne peuvent être qu'écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 20 janvier 2017.
En ce qui concerne la décision du ministre de l'intérieur du 9 août 2017 :
10. La décision du ministre de l'intérieur du 9 août 2017, qui a été prise en exécution d'une ordonnance du juge des référés, présentait, par sa nature même, un caractère provisoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours en annulation de la décision explicite de rejet prise par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Dans ces conditions, la demande présentée par les requérants était devenue sans objet. Le jugement attaqué doit, dès lors, être annulé en tant qu'il a statué sur cette demande. Il y a lieu d'évoquer les conclusions de la demande ainsi devenues sans objet au cours de la procédure de première instance et de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt, qui rejette, d'une part, les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et constate, d'autre part, le non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du ministre de l'intérieur, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par les requérants ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement, par application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à l'avocat de M. C... et de Mme D... de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E:
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 décembre 2019 est annulé en tant qu'il annule la décision du ministre de l'intérieur du 9 août 2017.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête présentée par M. C... et Mme D... tendant à l'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 9 août 2017.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... et de Mme D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... C..., à Mme G... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme Douet, président-assesseur ;
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 janvier 2021.
Le rapporteur,
M. I...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01613