Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 février 2020, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 décembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les refus d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié ou subsidiairement de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative,
Il soutient que :
- les articles L. 411-4 al 2 et L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnus ;
- une rupture d'égalité est commise entre les membres de la fratrie.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la Cour a désigné Mme B..., président-assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... D..., ressortissant sri-lankais né le 12 mai 1969, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en 2006. Le 5 septembre 2018, une demande de visa a été déposée pour son fils C... E..., ressortissant indien né le 13 août 2002. Le 15 février 2019 les autorités consulaires françaises à Pondichéry (Inde) ont implicitement refusé de délivrer à M. C... E... un visa de long séjour en qualité de membre de la famille d'un réfugié. Le recours formé contre cette décision a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les refus d'entrée en France. Aux termes du jugement dont il est relevé appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande présentée par M D... tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". L'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " I.-Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; ( ) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. ( ) ". Aux termes de l'article L. 411-4 du même code : " (...) Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ".
3. Le principe d'unité de la famille, principe général du droit applicable aux réfugiés résultant notamment des stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951, impose, en vue d'assurer pleinement au réfugié la protection prévue par cette convention, que la même qualité soit reconnue aux enfants mineurs de ce réfugié. Si en principe, la réunification familiale doit concerner l'ensemble de la famille du réfugié qui demande à en bénéficier, une réunification partielle peut être autorisée si l'intérêt de l'enfant au bénéfice duquel la mesure est sollicitée le justifie.
4. Alors même que Mme E..., épouse de M D... et mère du jeune C..., souhaite résider en Inde, pays dans lequel elle exerce son activité professionnelle et qui n'a d'ailleurs pas présenté de demande de visa pour son compte, il ressort des pièces du dossier que l'unique frère du demandeur de visa réside régulièrement en France aux côtés de son père et que Mme E... a donné son accord au départ de son fils cadet. Dans ces conditions, la poursuite de la séparation de la fratrie est de nature à porter atteinte à l'intérêt supérieur du jeune C... et à méconnaitre, entre les membres de la fratrie, le principe d'égalité.
5. Il s'ensuit que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif de l'annulation prononcée, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, que le ministre de l'intérieur, délivre à M. C... E..., dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, un visa de long séjour. Il n'y a pas lieu en l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par le requérant et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 décembre 2019 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer, dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, un visa d'entrée et de long séjour à M. C... E....
Article 3 : L'Etat versera à M D... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme B..., président
- Mme Douet, président-assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 octobre 2020.
L'assesseur le plus ancien,
H. DOUET
Le président,
C. B...
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00411