Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 novembre 2014 et des mémoires complémentaires des 18 mai 2015 et 13 janvier 2016, M. D...représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 septembre 2014 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler la décision du 17 juillet 2012 de l'inspectrice du travail de la neuvième section de l'unité territoriale d'Ille-et-Vilaine ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a insuffisamment motivé sa réponse au moyen tiré du manque de loyauté de l'employeur dans la mise en oeuvre de l'obligation de reclassement ;
- l'inspecteur du travail du Rhône était seul compétent pour se prononcer sur la demande de licenciement ;
- il n'a pas bénéficié d'un délai raisonnable pour préparer son audition devant le comité d'entreprise après l'entretien préalable ;
- l'ordre du jour du comité d'entreprise n'a pas été arrêté conjointement par l'employeur et le secrétaire du comité d'entreprise ;
- en ne lui proposant pas de poste de formateur ou de postes administratifs et en n'effectuant pas les relances nécessaires, l'employeur a manqué à son obligation de recherche de reclassement ; à cet égard, il n'appartenait pas à l'inspecteur du travail de se prononcer sur l'adéquation des postes susceptibles de lui être proposés.
Par des mémoires en défense enregistrés les 5 février 2015 et 15 janvier 2016, la société par actions simplifiée AAD Phénix II, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. D...le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que les moyens soulevés par M. D...à l'encontre de la décision contestée ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 janvier 2016, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Par ordonnance du 13 décembre 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 15 janvier 2016 à 12h.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. François,
- les conclusions de M. Delesalle, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., substituant MeA..., représentant la société AAD Phénix II.
1. Considérant que M.D..., recruté le 13 juin 2006 par la société AAD Phénix en qualité de chef de chantier à l'établissement de Vénissieux (Rhône), a été élu le 10 juin 2010 délégué du personnel, membre du comité d'entreprise et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; qu'à la suite de six arrêts maladie survenus de 2008 à 2010 et regardés comme des accidents du travail, le médecin du travail, à l'issue des visites médicales des 4 et 19 avril 2012, l'a déclaré inapte au poste de chef de chantier, mais apte à un poste ne comportant pas de mouvements forcés des membres supérieurs, ni de travail des bras en élévation, ni de station debout prolongée ; que les recherches de reclassement effectuées par l'employeur n'ayant pas abouti, l'inspecteur du travail de la neuvième section d'Ille-et-Vilaine, saisi par la société AAD Phénix II, successeur de la société AAD Phénix, a, par décision du 17 juillet 2012, autorisé le licenciement de M. D...pour inaptitude ; que l'intéressé relève appel du jugement du 26 septembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'en énonçant que : " si M. D...fait grief à la société d'avoir sollicité par un courriel unique les entreprises du groupe susceptibles de proposer des offres d'emploi sans relancer celles qui n'avaient pas répondu à cette demande, toutefois aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'employeur d'attendre l'ensemble des réponses pour procéder au licenciement du salarié pourvu que le délai laissé aux organismes sollicités pour examiner les possibilités de reclassement en leur sein soit suffisant ", le tribunal a suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré du manque de loyauté de l'employeur dans la mise en oeuvre de son obligation de recherche de reclassement ; que, dès lors, le jugement n'est pas entaché de l'irrégularité alléguée ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 17 juillet 2012 :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R 2421-10 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel, d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui l'emploie. (...) " ;
4. Considérant que la demande d'autorisation de licenciement du requérant a été transmise par le service des ressources humaines du siège de la société, situé à Cesson-Sévigné, dans le département de l'Ille-et-Vilaine, à l'inspection du travail de ce département ; que si M. D...soutient que la société AAD Phénix II aurait dû adresser cette demande à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement de Vénissieux situé dans le département du Rhône, il ressort toutefois des pièces du dossier que la société AAD Phénix II comporte un seul service des ressources humaines assurant directement la gestion de l'ensemble des salariés de la société, y compris pour les questions liées aux autorisations d'absence, à la formation, à la discipline et à la gestion de la paye, et un seul comité d'entreprise ; que la circonstance que l'établissement de Vénissieux dispose d'un numéro SIRET ne suffit pas à établir l'existence d'une autonomie de gestion ; que, par ailleurs, M. D...ne peut utilement se prévaloir de ce que la signature figurant sur son contrat de travail ne correspond pas à celle de la personne responsable en 2012 des ressources humaines, dès lors que ce contrat avait été conclu six ans auparavant avec un autre responsable des ressources humaines ; que, dans ces conditions, le service des ressources humaines du siège social de la société AAD Phénix II, issue de la fusion en 2010 de la société AAD Phénix avec d'autres entreprises, était seul en mesure de diligenter la procédure de licenciement ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'inspecteur du travail de la neuvième section d'Ille-et-Vilaine doit être écarté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L.1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable (...) " ; que l'article L. 2421-3 de ce code énonce que : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement " ;
6. Considérant que M. D...a été convoqué à l'entretien préalable au licenciement le 12 juin 2012 à 11h00 ; que si le comité d'entreprise appelé à donner un avis sur ce licenciement s'est ensuite réuni le même jour à 14h00, le requérant connaissait le motif de ce licenciement dès les 4 et 5 juin précédents, dates auxquelles il a accusé réception des courriers du 1er juin de son employeur, le convoquant à l'entretien préalable, et du 4 juin, le convoquant à la réunion extraordinaire du comité d'entreprise ; que ces courriers mentionnaient l'impossibilité de le reclasser en raison de l'inaptitude physique médicalement constatée, la lettre du 5 juin 2012 comportant en outre une note exposant la situation de M. D...et le motif de la demande de licenciement ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la procédure aurait été viciée en raison du délai insuffisant dont il aurait disposé entre l'entretien préalable et la consultation du comité d'entreprise pour préparer son audition devant ce dernier ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 2325-15 du code du travail : " L'ordre du jour des réunions du comité d'entreprise est arrêté par l'employeur et le secrétaire. Toutefois, lorsque sont en cause des consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou par un accord collectif de travail, elles y sont inscrites de plein droit par l'employeur ou le secrétaire " ; que l'intéressé soutient qu'en méconnaissance de ces dispositions, l'ordre du jour de la réunion du 12 juin 2012 du comité d'entreprise n'a pas été arrêté conjointement par l'employeur et le secrétaire du comité ; que, toutefois, si cet ordre du jour a été fixé unilatéralement par l'employeur, la consultation du comité d'entreprise sur le projet de licenciement devait en tout état de cause y être inscrite de plein droit par application des dispositions précitées de l'article L. 2421-3 du code du travail ; que, dans ces conditions, le moyen ne peut être accueilli ;
8. Considérant en quatrième lieu qu'aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.(...) L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail. ".
9. Considérant qu'en vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l' inaptitude physique du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi, et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise ;
10. Considérant que M. D...a obtenu le 5 avril 2012 un diplôme de formateur à la conduite des chariots élévateurs ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il ne disposait pas des qualifications requises pour accéder aux postes de formateurs ni aux postes nécessitant des compétences opérationnelles spécialisées, publiés durant la période d'avril à juillet 2012 par la société Forget Formation, filiale de la société AAD Phénix II, et par le groupe Samsic, auquel son employeur appartient ; qu'en outre, le requérant fait grief à ce dernier d'avoir sollicité par un courriel unique les entreprises du groupe susceptibles de proposer des offres d'emplois sans relancer celles qui n'avaient pas répondu à cette demande ; que, toutefois, il ne résulte pas des dispositions du code du travail que l'employeur soit tenu d'attendre l'ensemble des réponses pour procéder au licenciement du salarié, dès lors que le délai laissé aux sociétés sollicitées pour examiner l'éventualité de postes disponibles est suffisant ; qu'en l'espèce, la demande transmise le 27 avril 2012 par l'entreprise AAD Phénix II aux différentes entités du groupe précise clairement la situation de M. D...et indique qu'une réponse est attendue avant le 24 mai 2012 ; que ce délai de près d'un mois doit être regardé comme suffisant pour l'obtention d'une réponse ; que la circonstance qu'un seul courriel ait été adressé pour recueillir les offres de reclassement éventuelles n'est pas davantage de nature à établir que la société AAD Phénix II aurait manqué à son effort de reclassement ; que le requérant ne peut utilement se prévaloir de fonctions administratives antérieurement exercées dans l'armée de terre pour soutenir que son employeur aurait dû rechercher également des postes administratifs similaires ;
11. Considérant, enfin, que contrairement à ce qui est soutenu, il appartenait à l'inspecteur du travail de se prononcer dans sa décision sur l'adéquation des compétences du requérant avec les postes susceptibles de lui être proposés ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement à M. D... de la somme demandée à ce titre ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'accorder à la société AAD Phénix II le bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions formées par la société AAD Phénix II sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., à la société AAD Phénix II et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Délibéré après l'audience du 23 février 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. François, premier conseiller,
- Mme Buffet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 mars 2016.
Le rapporteur,
E. FRANCOISLe président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision
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N° 14NT02866