Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 août 2017 et le 6 mai 2019, l'EURL Alain B..." Abri Côtier ", représentée par la Selarl Juriadis, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Caen du 20 juin 2017 en tant qu'il limite l'indemnisation à la somme de 27 000 euros ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 116 876,21 euros avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable d'indemnisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le jugement attaqué est mal fondé en tant qu'il limite l'indemnisation mise à la charge de l'Etat à la somme de 27 000 euros dès lors que :
s'agissant de la perte du chiffre d'affaires, elle a subi, entre 2009 et 2014, une perte de chance de pouvoir réaliser un bénéfice de 93 318 euros ;
elle a dû faire face à des frais bancaires d'un montant de 3 558,21 euros qui présente un lien de causalité direct avec la faute retenue à l'encontre de l'Etat ;
le préjudice moral doit être estimé à 20 000 euros ;
son préjudice devra être majoré de 47 % compte tenu du taux d'imposition qui sera appliqué aux sommes allouées par la cour.
Par un mémoire, enregistré le 27 mars 2019, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Caen et au rejet de la requête de première instance de l'EURL Alain B..." Abri Côtier ".
Elle soutient que :
aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
il n'est pas établi que la perte du chiffre d'affaire et le préjudice moral présentent un lien de causalité directe et certain avec la faute retenue à l'encontre du maire de Trouville-sur-Mer.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
le code de l'urbanisme,
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. A...'hirondel,
les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,
et les observations de MeC..., représentant L'EURL Alain B..." Abri Côtier ".
Considérant ce qui suit :
1. L'EURL Alain B..." Abri Côtier ", qui exploite un commerce de bouche sur le territoire de la commune de Trouville-sur-Mer, relève appel du jugement du 20 juin 2017 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il limite à la somme de 27 000 euros l'indemnisation mise à la charge de l'Etat en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la carence du maire de Trouville-sur-Mer, agissant au nom de l'Etat, dans l'exercice des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme pour avoir dressé tardivement des procès-verbaux d'infraction au code de l'urbanisme. Le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Can et au rejet de la demande indemnitaire de l'EURL Alain B..." Abri Côtier ".
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Aux termes de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable au présent litige : " (...) Lorsque l'autorité administrative et, au cas où il est compétent pour délivrer les autorisations, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent ont connaissance d'une infraction de la nature de celles que prévoient les articles L. 160-1 et L. 480-4, ils sont tenus d'en faire dresser procès verbal / Copie du procès-verbal constatant une infraction est transmise sans délai au ministère public. (...) ". Lorsqu'il exerce les attributions qui lui sont confiées par l'article L.480-1 du code de l'urbanisme, le maire agit comme autorité de l'Etat.
3. Il résulte de l'instruction que l'EURL Alain B..." Abri Côtier " a déposé le 20 novembre 2007 une déclaration de travaux pour l'installation d'un " coupe-vent démontable en aluminium et verre, couleur rouge oxydé ". Par un arrêté du 28 décembre 2007, le maire de Trouville-sur-Mer ne s'est pas opposé à ces travaux mais a assorti sa décision de prescriptions tendant, d'une part, à ce que la terrasse ne comporte pas de joues latérales dès lors que les terrasses fermées sont interdites par le règlement de la zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), d'autre part, à la suppression des inscriptions figurant sur les parties pleines des panneaux par application de ce même règlement et enfin, à la régularisation de l'enseigne apposée sur la devanture qui n'avait fait l'objet d'aucune demande d'autorisation. Suite à un entretien avec M.B..., associé unique de cette société, le maire, par un courrier du 13 février 2008, a confirmé sa décision, en particulier en ce qui concerne l'interdiction de joues latérales sur la terrasse, mais en indiquant que, " conscient que la réalisation de terrasse fermée ou semi fermée par les commerçants pose un réel problème ", il solliciterait que ce point soit abordé en priorité lors de la prochaine révision de la ZPPAUP. Par un courrier du 1er août 2008, il informait également M. B...qu'il avait demandé l'envoi à tous " les commerçants de la plage d'une lettre leur rappelant la réglementation qui interdit tout affichage publicitaire dans une ZPPAUP " et qu'il ferait verbaliser les commerçants après la saison estivale. Par un courrier du 31 mai 2011, M. B...a demandé au maire de dresser procès-verbal, conformément à l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme, afin de constater les infractions commises par les commerçants de la rue de Paris et de la plage qui ont édifié des terrasses extérieures en méconnaissance des dispositions du code de l'urbanisme et du règlement de la ZPPAUP. Par un jugement du 24 juillet 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Caen a annulé, à la demande de l'EURL Alain B..." Abri Côtier ", la décision du 1er juillet 2011 par laquelle le maire de Trouville-sur-Mer a refusé de dresser procès-verbal d'infractions au code de l'urbanisme à l'encontre de propriétaires ou exploitants de ces commerces. Par ce même jugement, le tribunal a enjoint au maire de dresser procès-verbal des infractions non prescrites qui ont fait l'objet de la demande de M.B..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et d'en transmettre copie sans délai au ministère public. En exécution de ce jugement, le maire de Trouville-sur-Mer a dressé, le 28 décembre 2012, sept procès-verbaux à l'encontre des propriétaires ou exploitants des commerces pour des infractions commises sur la plage. L'autorité administrative n'ayant pas dressé de procès-verbal à l'encontre du commerce de bouche appartenant à la société " La Régaline ", également visée par le jugement du 24 juillet 2012, le tribunal, par un jugement du 15 octobre 2013, a prononcé contre l'Etat une astreinte afin qu'il exécute entièrement le jugement. Un procès-verbal d'infraction a alors été dressé à l'encontre de la société " La Régaline " le 8 novembre 2013. Les procès-verbaux dressés le 28 décembre 2012 n'ont été transmis au procureur de la République que le 10 septembre 2013. Dans ces conditions, le retard mis par l'autorité administrative à exécuter les obligations que lui imposent les dispositions sus rappelées de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers L'EURL Alain B..." Abri Côtier ".
Sur les préjudices :
4. En premier lieu, l'EURL Alain B..." Abri Côtier " soutient que les terrasses fermées et non démontables utilisées par ses concurrents ont nui à la visibilité et à la rentabilité de son commerce dès lors que, contrairement à ces derniers, il a été dans l'impossibilité d'utiliser sa terrasse en toutes saisons ainsi qu'en périodes venteuses, sous risque de voir sa structure démontable s'envoler. Elle fait valoir que dès 2014, alors que ses concurrents venaient de régulariser leur situation, son chiffre d'affaires a très nettement progressé par rapport à la période 2009-2013. Elle a ainsi subi, selon elle, un préjudice commercial durant cette période, qu'elle évalue à la somme de 93 318 euros, dont elle demande l'indemnisation dès lors qu'il présente un lien de causalité direct et certain avec la faute retenue à l'encontre de l'Etat qui a laissé perduré des terrasses et enseignes illégales tout autour de son commerce.
5. Pour évaluer son préjudice commercial sur les années 2009 à 2013, la société requérante se fonde exclusivement, sur le résultat net comptable de l'année 2014. Il résulte, toutefois, de l'instruction que le résultat net comptable enregistré par l'EURL Alain B..." Abri Côtier ", durant la période 2009 à 2013, a été très fluctuant d'une année sur l'autre, oscillant entre + 19,80 % et - 47,64 % sans que la société requérante n'établisse un lien entre cette fluctuation et le non respect, par ses concurrents, de la règlementation d'urbanisme. De même, la société requérante n'établit pas, alors que son commerce, qui se situe dans une commune touristique de bord de mer, est très dépendant, notamment, des conditions climatiques et économiques, que l'augmentation du résultat enregistrée en 2014 ne serait due qu'à la régularisation par ses concurrents de leur situation fin 2013 lorsque les procès-verbaux d'infraction leur ont été notifiés, ce qu'elle n'établit pas là encore. De plus, alors que l'EURL Alain B..." Abri Côtier " a ouvert un snack offrant, en particulier, des frites, paninis, pates, nuggets, salades, saucisses-frites, crêpes sur place ou à emporter, il résulte de ces procès-verbaux que la grande majorité des sept commerces verbalisés ayant une terrasse fixe et couverte, n'entraient pas directement en concurrence avec son commerce pour offrir des services différents (restaurants, pizzérias ...). En outre, l'EURL Alain B..." Abri Côtier " n'a pas été empêchée de pouvoir installer une terrasse au-devant de son enseigne et ainsi d'accueillir sous une structure couverte ses clients dès lors que le maire ne s'est pas opposé à la déclaration préalable qu'elle avait déposée mais a seulement émis une prescription interdisant l'apport de joues latérales. Si elle fait valoir qu'elle était alors dans l'impossibilité d'ouvrir la structure gonflable par temps venteux, elle n'établit pas la durée de cette impossibilité durant la période d'indemnisation sollicitée. Enfin, elle ne saurait utilement soutenir qu'elle n'a quasiment pu ouvrir les week-ends d'hiver et d'automne alors qu'il résulte du courrier du 14 septembre 2009 que M. B... a adressé au maire de Trouville-sur-Mer que la structure fixe et démontable n'a été sollicitée que pour une période de deux mois par an.
6. En deuxième lieu, si la société requérante allègue que du fait de ses mauvais résultats financiers, elle a dû faire face à des difficultés économiques qui l'ont conduite à verser des agios à sa banque du fait de découverts de son compte, il résulte de l'instruction que, durant la période 2009-2013, l'EURL Alain B..." Abri Côtier " n'a réalisé que des bénéfices alors qu'en tout état de cause, les justificatifs très succincts fournis par la société ne permettent pas d'établir un lien de causalité avec la faute retenue à l'encontre de l'Etat.
7. En troisième lieu, s'agissant du préjudice moral allégué, la société requérante ne saurait utilement alléguer du préjudice commercial qu'elle aurait subi du fait de la faute de l'Etat dès lors qu'il s'agit d'un préjudice distinct. Par ailleurs, la circonstance qu'elle ait dû monter et démonter sa structure légère est sans lien avec cette faute mais n'est que la conséquence de l'application des règles d'urbanisme en vigueur sur le territoire de la commune de Trouville-sur-Mer. L'agression de M.B..., qui dispose au demeurant d'une personnalité juridique distincte de celle de la société requérante, par un de ses confrères est également sans lien de causalité direct avec cette faute, ni au demeurant avec le préjudice moral subi par la société. Enfin, les propos tenus par le maire de Trouville-sur-Mer en réponse à ceux de M. B...parus dans le journal " Le pays d'Auge ", postérieurement au jugement du tribunal administratif du 24 juillet 2012, sont eux aussi sans lien avec le retard mis par cette autorité administrative pour établir les procès-verbaux d'infraction.
8. Il suit de là que le lien de causalité direct et certain entre la faute retenue à l'encontre de l'Etat du fait du retard mis par le maire de Trouville-sur-Mer à établir les procès-verbaux d'infraction et les préjudices allégués par l'EURL Alain B..." Abri Côtier " ne sont pas établis. Par suite, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif a condamné l'Etat à indemniser l'EURL Alain B..." Abri Côtier " de la somme de 27 000 euros au titre de ces préjudices.
9. Il résulte de tout ce qui précède, que la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est fondée à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement du 20 juin 2017 du tribunal administratif de Caen et le rejet de la demande présentée par l'EURL Alain B..." Abri Côtier " devant le tribunal administratif de Caen. Dans ces conditions, la requête d'appel de l'EURL Alain B..." Abri Côtier " doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que L'EURL Alain B..." Abri Côtier " demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 20 juin 2017 est annulé.
Article 2 : La requête de l'EURL Alain B..." Abri Côtier " est rejetée.
Article 3 : La demande de l'EURL Alain B..." Abri Côtier " devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l'EURL Alain B..." Abri Côtier " et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président,
M. A...'hirondel, premier conseiller,
M. Giraud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 juin 2019.
Le rapporteur,
M. D...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT02535