Par une requête, enregistrée le 29 mars 2018, MmeB..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 octobre 2017 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de procéder au réexamen de la demande de visa, dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le tribunal a dénaturé les pièces du dossier entraînant un défaut d'examen et une erreur manifeste d'appréciation de la situation de l'appelante ;
- la décision de la commission porte atteinte aux articles 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinés ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant ;
- les autres moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 24 mai 2018.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les observations de MeD..., substituant Me C...et représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., ressortissante française née le 1er janvier 1957, relève appel du jugement du 19 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 3 juin 2015 rejetant son recours formé contre la décision consulaire de refus de délivrance d'un visa de long séjour à sa petite-fille, Smith AdélaïdeB..., ressortissante du Burkina-Faso, née le 23 août 2004.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
3. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France est sollicité en vue de permettre à un enfant de rejoindre un ressortissant français ou étranger qui a reçu délégation de l'autorité parentale, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations précitées de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que par une ordonnance du 24 février 2011, le tribunal de grande instance de Ouagadougou (Burkina-Faso) a homologué la délégation à Mme E...B...de l'autorité parentale sur l'enfant Smith Adélaïde B...consentie par les parents de l'enfant le 22 février 2011. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. D'une part, le ministre de l'intérieur ne saurait utilement critiquer l'ordonnance mentionnée ci-dessus aux motifs que " l'intérêt de l'enfant n'a pu être sérieusement évalué au regard de la rapidité de la procédure " et que le juge n'avait pas connaissance, à la date à laquelle il a statué, de l'enquête sociale diligentée près de trois ans plus tard. D'autre part, l'article 523 du code des personnes et de la famille du Burkina-Faso prévoit que " Les père et mère (...) peuvent déléguer en tout ou partie l'exercice de l'autorité parentale quand l'enfant a été remis à une personne digne de confiance. / La délégation résultera d'un accord entre le ou les délégants et le délégataire, homologué par le président du tribunal civil du domicile du mineur dans les conditions fixées ci-après. / Le président de la juridiction compétente est saisi par requête conjointe des parties (...) ". L'accord de délégation établi le 22 février 2011 a été signé des deux parents biologiques de l'enfant. La circonstance que l'ordonnance du 24 février 2011 vise une requête introduite par Mme B...seule et non une requête conjointe des parties ainsi que le prévoit l'article 523 précité ne suffit pas à la faire regarder comme frauduleuse. Dès lors, en vertu de cette décision de justice, l'intérêt de la jeune F...B...est, en principe, de vivre auprès de sa grand-mère, délégataire de l'autorité parentale, sans que le ministre puisse utilement faire valoir que ses parents biologiques, dont le désintéressement ne serait pas, selon lui, établi, disposeraient des moyens financiers pour pourvoir à son éducation et à son entretien.
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B...est locataire d'un appartement de 60 mètres carrés comprenant deux chambres. En admettant même que sa plus jeune fille, née en 1991, résidait à son domicile à la date de la décision contestée, cette circonstance ne permet pas de regarder ce logement comme n'offrant pas de bonnes conditions d'accueil à Smith Adélaïde. Par ailleurs, s'il ressort des pièces du dossier que les ressources de MmeB..., lesquelles proviennent d'une activité salariée et s'élèvent à environ 14 000 euros par an en moyenne, sont relativement modestes, elles présentent néanmoins un caractère stable. La requérante, qui est employée dans la restauration et dans la vente, indique avoir privilégié les contrats saisonniers de manière à être en mesure de séjourner plusieurs mois par an au Burkina-Faso auprès de sa petite-fille, séjours dont la réalité est démontrée par les copies de passeport versées au dossier. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que Mme B...parvient, en dépit de son niveau de revenu, à financer ces voyages ainsi qu'à adresser régulièrement des sommes d'argent au Burkina-Faso pour l'éducation de Smith Adélaïde. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que, eu égard aux ressources et aux conditions de logement de Mme B..., la venue en France de sa petite-fille serait contraire à l'intérêt de cette dernière.
6. Il suit de là que le refus de visa opposé à l'enfant Smith Adélaïde B...est contraire à son intérêt supérieur et méconnaît, par suite, les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard aux motifs du présent arrêt, l'exécution de celui-ci implique nécessairement la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France à la jeune F...B.... Il y a lieu d'ordonner au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55 % par une décision du 24 mai 2018. Son avocat peut ainsi se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Compte tenu des frais laissés à la charge de MmeB..., laquelle n'a pas sollicité le versement à son profit d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, il y a lieu de fixer la somme dont le versement à Me C...est, dans les conditions définies à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991, mis à la charge de l'Etat à 800 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 octobre 2017 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 3 juin 2015 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à la jeune F...B...un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me C...la somme de 800 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...B...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2019, à laquelle siégeaient :
Mme Brisson, président,
M.A...'hirondel, premier conseiller,
Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 juin 2019.
Le rapporteur,
K. BOUGRINE
Le président,
C. BRISSONLe greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01323