Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 octobre 2018, M. C...E...C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 octobre 2018 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 19 avril 2018 ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et au consul général de France en Inde de délivrer à Mme F...C...un visa de long séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, subsidiairement de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
si le mariage religieux qui l'unit avec Mme F...C...ne pouvait être pris en compte, il peut néanmoins, du fait qu'il a obtenu le statut de réfugié, demander la venue de l'intéressée au titre du regroupement familial en sa qualité de concubine ;
les pièces présentées à l'appui de la demande de visa, en l'occurrence, le Hukou et le Greenbook établissent tant l'identité de l'intéressée que le lien familial ;
la possession d'état est établie ainsi qu'en attestent les pièces communiquées ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. C...n'est fondé en s'en remettant à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 28 mai 2019 :
- le rapport de M. A...'hirondel,
- et les conclusions de M. Derlange, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., né le 2 juillet 1987, ressortissant chinois d'origine tibétaine, a obtenu la qualité de réfugié par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 11 juin 2015. Le 6 novembre 2017, Mme F...C..., que le requérant présente comme son épouse, a déposé auprès des autorités consulaires françaises à New Delhi (Inde) une demande de visa de long séjour pour établissement familial. Par une décision du 18 décembre 2017, le consul général de France à New Delhi a rejeté sa demande au motif de l'absence de preuve du lien familial de Mme F...C...avec M.C..., placé sous la protection de l'OFPRA. Par un recours présenté le 20 février 2018, M. C...a contesté cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par une décision du 19 avril 2018, la commission a rejeté son recours. M. C... relève appel du jugement du 4 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande dirigée contre cette dernière décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Pour rejeter la demande de visa présentée par Mme F...C..., née le 6 janvier 1990, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a estimé dans sa décision contestée du 19 avril 2018 que l'identité et le lien matrimonial entre la demanderesse et le requérant ne sont pas établis et que le " Greenbook ", non traduit, ne peut avoir de valeur probante.
3. En premier lieu, et ainsi que le précisait le ministre dans ses écritures de première instance, le livre vert (ou " green booklet ") est délivré depuis 1971 par le gouvernement tibétain en exil à tout tibétain vivant à l'extérieur du Tibet. Il s'agit d'un " document officiel (...) qui comporte des photographies et permet d'établir avec certitude les identités comme les liens de filiation ". Par suite, en produisant, pour la première fois devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, un tel livret à l'appui de sa demande de visa, Mme F...C...doit être regardé comme ayant justifié de son identité.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; /2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) ".
5. Par ailleurs, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
6. Mme F...C...a produit, au soutien de sa demande de visa, une copie d'un hukou délivré le 22 avril 2014 au nom de M. C...en tant que chef de famille et où elle apparaît en tant qu'épouse. Il n'est pas contesté, ainsi qu'il ressort au demeurant des pièces de première instance produites par le ministre, que le hukou est, en Chine, la base du système de l'état civil et que le règlement du Comité permanent de l'assemblée nationale du 9 janvier 1958, dit " Règlement sur l'enregistrement des hukou ", a mis en place un " système rigoureux de gestion de l'état civil ". Ce livret, qui est établi par famille, fait apparaître un chef de famille, tout citoyen ne pouvant être enregistré que sur le lieu de sa résidence habituelle. Les informations contenues dans ce livret ont force probante sur l'état civil des citoyens. Par suite, et dès lors que l'authenticité du hukou présenté à l'appui de la demande n'est pas remise en cause, le lien unissant Mme F...C...à M. C...est, contrairement à ce qu'a estimé la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, établi par la présentation de ce document. La circonstance que M. C...ait déclaré devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que ce lien est constitué par un mariage religieux célébré le 1er janvier 2014 et non par un mariage civil n'est pas de nature à établir l'absence de vie commune entre les intéressés, Mme F...C...devant alors être regardée comme, au moins, la concubine de M. C...au sens des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme F...C...un visa d'entrée et de long séjour en France dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1805629 du tribunal administratif de Nantes du 4 octobre 2018 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 19 avril 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme F...C...un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. C...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...E...C...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président,
M. A...'hirondel, premier conseiller,
M. Giraud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 juin 2019.
Le rapporteur,
M. D...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT03916