Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2019, et des mémoires enregistrés les 3 mars et 9 septembre 2020, M. B..., représenté par Me Gorand, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 mai 2019 ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Manche de mettre en oeuvre ses pouvoirs de police de l'eau sur l'intégralité du canal du Passevin afin de le débarrasser des embâcles, de la végétation rivulaire et des atterrissements situés sur les radiers de ses ponts, ou, à défaut, de réexaminer sa demande, et ce dans le délai de deux mois et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) en tant que de besoin, et avant-dire droit, d'ordonner une expertise pour connaître l'état du canal du Passevin ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le préfet, pour s'abstenir de mettre en oeuvre ses pouvoirs de police de l'eau, a considéré, à tort, que le travail d'entretien de la végétation sur le canal suffisait à garantir la conformité aux dispositions de l'article L. 215-14 du code de l'environnement ;
- il est fondé à demander que, sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, le tribunal diligente, par un jugement avant-dire droit, une expertise aux fins de déterminer quel est l'état actuel du canal du Passevin ;
- la demande de première instance était recevable ;
- le préfet et le tribunal ont méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attache au précédent jugement d'annulation en date du 21 juin 2017 ;
- il n'est pas établi que le directeur départemental des territoires et de la mer ait été compétent pour établir la note du 9 janvier 2018 alors que le préfet de la Manche n'a jamais produit son arrêté fixant les limites de la délégation de signature qu'il lui a consentie ;
- la décision du 30 janvier 2018 n'est pas motivée ;
- le préfet de la Manche s'est estimé lié par cette note.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2020 le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen du requérant n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Douet,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de Me de Buys, substituant Me Gorand, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 25 juin 2007, le préfet de la Manche, a fait obligation aux riverains du canal du Passevin, cours d'eau non-domanial, d'entretenir celui-ci périodiquement de manière à maintenir le cours d'eau dans son " profil d'équilibre " et à permettre l'écoulement naturel des eaux. M. F... B..., propriétaire d'une parcelle située au lieu-dit " Les Tourelles " au bord du canal du Passevin à Annoville (Manche), a demandé au préfet de la Manche, par une lettre du 30 décembre 2015, de mettre en oeuvre ses pouvoirs de police de l'eau pour faire respecter cet arrêté permanent du 25 juin 2007 qui impose aux riverains du canal de le débarrasser régulièrement des embâcles et végétations qui se trouvent dans son lit et font obstacle au bon écoulement de l'eau. M. B... a contesté, devant le tribunal administratif de Caen, la légalité des décisions des 12 février et 8 avril 2016 par lesquelles le préfet de la Manche a refusé de faire droit à cette demande. Par un jugement du 21 juin 2017, ce tribunal a annulé les décisions attaquées et enjoint au préfet de réexaminer la demande de M. B... dans le délai de trois mois. Le 2 octobre 2017, M. B... a saisi ce tribunal d'une demande d'exécution du jugement à laquelle le préfet a répondu par une lettre du 16 octobre suivant dans laquelle il annonce l'engagement prochain d'une " procédure visant à l'entretien du Passevin par les riverains concernés par des défauts d'écoulement ". Après que des visites ont été effectuées sur place les 16 novembre, 24 novembre et 8 décembre 2017, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), a adressé au préfet une note, le 9 janvier 2018, dont le préfet s'approprie le contenu dans sa lettre du 30 janvier 2018 adressée au président du tribunal administration de Caen et à M. B.... Selon cette lettre, il a été constaté la bonne réalisation des travaux d'entretien et l'amélioration de la situation. M. B... a contesté la légalité de la décision du 16 octobre 2017, de la note du 9 janvier 2018 et de la lettre du 30 janvier 2018 devant le tribunal administratif de Caen qui a rejeté sa demande le 29 mai 2019. M. B... relève appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet aux conclusions de la demande tendant à l'annulation de la note du 9 janvier 2018 :
2. Par note du 9 janvier 2018, le chef du service " environnement " de la direction départementale des territoires et de la mer de la Manche a indiqué au préfet de ce département les suites données aux contentieux relatifs à la situation du canal du Passevin, a conclu au caractère satisfaisant des travaux effectués à l'exception d'une portion du canal et proposé au préfet d'informer le tribunal administratif de Caen et M. B... de l'absence de nécessité d'intervention supplémentaire des services préfectoraux. Ainsi que le soutient le préfet, la note du 9 janvier 2018 n'a pas le caractère d'une décision faisant grief et les conclusions tendant à son annulation ne sont pas, dès lors, recevables.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes, d'une part, de l'article L. 215-7 du code de l'environnement : " L'autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d'eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux. Dans tous les cas, les droits des tiers sont et demeurent réservés ". Ces dispositions ont pour objet de permettre au préfet de prendre les mesures de police propres à remédier à la présence, sur un cours d'eau non domanial, d'obstacles naturels ou artificiels portant atteinte au libre cours des eaux. Pour l'application de ces dispositions, est considéré comme un cours d'eau un canal creusé de la main de l'homme dès lors qu'il est affecté à l'écoulement normal des eaux.
4. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 215-14 du code de l'environnement : " Sans préjudice des articles 556 et 557 du code civil et des chapitres Ier, II, IV, VI et VII du présent titre, le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d'eau. L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article ". Il ressort de ces dispositions que les riverains d'un cours d'eau non domanial sont chargés de son entretien.
En ce qui concerne la légalité externe :
5. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; 2° Infligent une sanction ; 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; 5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ".
6. Les décisions litigieuses, qui concernent l'exercice par le préfet de la Manche de ses pouvoirs de police sur le canal du Passevin, n'entrent dans aucune des catégories d'actes qui doivent être motivés en vertu des dispositions de l'article L.211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Aucune autre disposition n'impose la motivation d'une telle décision. Il y a donc lieu d'écarter comme inopérant le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du 30 janvier 2018.
En ce qui concerne la légalité interne :
7. En premier lieu, M. B... soulève un moyen tiré de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée.
8. Par un jugement du 21 juin 2017 devenu définitif, le tribunal administratif de Caen a annulé les décisions des 12 février et 8 avril 2016 par lesquelles le préfet de la Manche a rejeté la demande de M. B... tendant à ce qu'il exerce ses pouvoirs de police de l'eau sur le canal du Passevin en se fondant sur les motifs tirés de ce que les circonstances que le litige opposant M. B... à d'autres riverains ressortait du droit privé et que la cour d'appel de Caen, dans son arrêt du 10 décembre 2015, avait jugé que la convention du 3 nivôse an X était applicable comme une convention de droit privé, ne faisaient pas obstacle à ce que le préfet exerçât sa compétence en matière de police de l'eau sur le fondement de l'article L. 215-7 du code de l'environnement. Le tribunal en a déduit qu'en s'abstenant d'exercer son pouvoir, le préfet de la Manche avait méconnu l'article L. 215-7 du code de l'environnement. Pour rejeter, par le jugement du 29 mai 2019, les conclusions de M. B... tendant à l'annulation des décisions des 16 octobre 2017 et 30 janvier 2018, le tribunal administratif de Caen a relevé des circonstances nouvelles et déduit des pièces du dossier que le préfet de la Manche avait refusé, sans erreur d'appréciation, de mettre en oeuvre ses pouvoirs de police de l'eau après avoir constaté que la situation correspondait aux exigences de l'article L. 215-14 du code de l'environnement, à l'exception d'une portion du linéaire du canal pour laquelle le préfet avait mis en oeuvre ses pouvoirs.
9. L'autorité de chose jugée s'attachant au dispositif du jugement d'annulation, en date du 21 juin 2017, devenu définitif, ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, la mesure sollicitée soit à nouveau refusée par l'autorité administrative pour le même motif.
10. Les motifs des décisions des 16 octobre 2017 et 30 janvier 2018 par lesquelles le préfet a, à nouveau, refusé d'exercer ses pouvoirs de police de l'eau sur le canal du Passevin sont distincts de ceux censurés par le jugement du 21 juin 2017. Par suite, le moyen tiré par M. B... de la méconnaissance, par le préfet de la Manche, de l'autorité de la chose jugée doit être écarté.
11. En deuxième lieu, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le préfet de la Manche se serait cru lié, lorsqu'il a adopté sa décision du 30 janvier 2018, par les conclusions de la note du 9 janvier 2018. Il s'ensuit que doit être écarté le moyen tiré par M. B... de ce que cette décision serait pour ce motif entachée d'erreur de droit.
12. En troisième et dernier lieu, M. B... soutient que le préfet de la Manche a commis une erreur d'appréciation quant à l'état réel du canal du Passevin.
13. Il ressort des pièces du dossier que l'inondation quasi-permanente de la parcelle de M. B... trouve ses causes à la fois dans les embâcles et végétations rivulaires présentes dans le canal au lieu-dit le Marais, mais aussi dans le ralentissement de l'écoulement des eaux dû à la faible pente du terrain naturel, dans le défaut d'entretien des portes à flot au débouché du canal et dans les atterrissements situés au niveau des radiers des ponts qui enjambent le canal.
14. Si l'étude du 22 août 2018 que M. B... produit, menée non par un spécialiste de l'hydrogéologie mais par un expert foncier, agricole et immobilier, qui a procédé par sondages tout au long du lit du canal, fait des constats successifs d'envasement et d'assèchement du cours d'eau à certains endroits et d'inondations à d'autres endroits, notamment au niveau de la parcelle appartenant à M. B..., elle met aussi en évidence un processus d'inondation progressif de cette zone marécageuse que couvrent les parcelles AC 148 à 151 au cours de la période allant de 1947 à 2015, processus dont les causes sont diverses, non-hiérarchisées et parmi lesquelles l'expert relève, outre l'incurie de certains riverains, la faiblesse structurelle de la pente à cet endroit, la propension naturelle du cours d'eau à s'envaser et celle de tout marais à absorber de l'eau. Si le requérant fait grief notamment au préfet de ne pas avoir fait procéder au retrait de l'atterrissement du pont de la RD 356, le rapport des visites de récolement effectuées par la DDTM le 28 décembre 2017 constate le " libre écoulement de l'eau " à l'aval des Tourelles, ce lieu-dit correspondant au marais ennoyé et le pont de la RD 356 se trouvant à l'aval. Ce rapport fait également état de ce que le travail d'entretien de la végétation est conforme aux dispositions de l'article L. 215-14 du code de l'environnement. Par ailleurs, le requérant ne peut utilement se prévaloir des rapports de la DDTM de 2013, des rapports d'expertises de 2014 et du rapport d'huissier établi en 2015 qui sont antérieurs aux travaux accomplis en 2017. Il ne peut en tout état de cause davantage utilement se prévaloir de la circonstance, postérieure aux décisions attaquées, de l'apparition dans ce canal de toxine botulique.
15. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le nettoyage du canal auquel il a été procédé à l'automne 2017, même si selon les dires du requérant il n'aurait consisté qu'en un l'élagage, aurait été sans effet sur l'écoulement de l'eau et que le préfet aurait dû se voir reprocher une carence faute d'avoir fait procéder au retrait des atterrissements. Dès lors, après avoir constaté que la situation correspondait aux exigences de l'article L. 215-7 du code de l'environnement, la libre circulation sur le canal ayant été rétablie, à l'exception d'une portion du linéaire du canal pour laquelle il a mis en oeuvre ses pouvoirs, le préfet a pu, sans méconnaitre ces dispositions, ne pas adopter de mesure complémentaire mettant en oeuvre les pouvoirs dont il dispose au titre de la police de l'eau.
16. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise ni d'examiner les autres fins de non-recevoir opposées par le préfet à la demande de première instance, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Le présent jugement n'appelant aucune mesure d'exécution, il y a lieu de rejeter les conclusions présentée par le requérant aux fins d'injonction et d'astreinte.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que réclame M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B... et au ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Couvert-Castéra, président de la cour,
- Mme Douet, présidente assesseur,
- M. L'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 octobre 2020.
Le rapporteur,
H. Douet
Le président,
O. COUVERT-CASTÉRA
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02844