Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 février 2021 sous le n°21NT00374, et un mémoire enregistré le 14 juillet 2021, Mme C..., agissant en qualité de représentante légale de D... E..., représentée par Me Pollono, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 décembre 2020 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans le délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à tout le moins, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions d'astreinte et de délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis d'examiner un moyen tiré de l'erreur de droit entachant la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qui conditionne la venue de l'enfant à des circonstances graves et avérées ;
- il n'est pas démontré que la décision attaquée soit intervenue après la réunion de la commission ; elle est donc entachée d'un vice de procédure ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur de droit en tant qu'elle conditionne la venue de l'enfant à l'existence de circonstances graves et avérées justifiant la séparation de l'enfant de ses parents ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés et s'en remet, pour le surplus, à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Douet,
- et les observations de Me Pollono, représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante française née en 1969, a obtenu, par un acte dit de " kafala " en date du 23 mars 2017, le recueil légal de son petit-fils D... E..., né le 7 juillet 2008, de nationalité algérienne. Par une décision du 15 août 2019, l'autorité consulaire française à Oran a refusé de délivrer à l'enfant un visa d'entrée et de long séjour en qualité de visiteur. Le recours formé le 10 octobre 2019 par Mme C... contre ce refus consulaire a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Mme C... relève appel du jugement du 10 décembre 2020 par lequel le tribunal administration de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort de la demande de première instance que Mme C... soutenait qu'un des motifs de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, qui lui ont été communiqués par courrier du 27 décembre 2019, était entaché d'une erreur de droit au regard des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Le tribunal a répondu à ce moyen au point 10 de son jugement, dans lequel il a écarté le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations en précisant que la décision attaquée n'était entachée ni d'erreur d'appréciation ni d'erreur de droit. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient omis de répondre à un moyen doit être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Il ressort des termes du courrier par lequel le président de la commission a communiqué à Mme C... les motifs de la décision implicite attaquée que cette décision est fondée, en droit, sur les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment l'article L. 211-1 et L. 211-2-2, et les stipulations de l'accord bilatéral franco-algérien du 27 décembre 1968, en particulier son article 4 et le titre II du protocole qui lui est annexé et, en fait, sur ce que, d'une part, les conditions financières et d'hébergement en France par la " kafila " (personne à qui l'enfant a été confié), âgée de 50 ans, qui s'est mariée le 6 avril 2019, ne permettent pas d'accueillir un enfant dans des conditions adéquates et, d'autre part, l'intérêt supérieur de l'enfant, âgé de 11 ans, est, dans le cas d'espèce, de demeurer dans son pays de résidence compte tenu de la présence dans ce pays de ses deux parents et de ses frères et de l'absence de circonstances graves et avérées justifiant la séparation de l'enfant de son environnement familial, social et culturel, la " kafila " pouvant contribuer à son entretien dans ce cadre.
4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, devenu l'article D. 312-3 : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. " Aux termes de l'article D. 211-9 du même code, alors en vigueur, devenu l'article D. 312-7 : " La commission peut soit rejeter le recours, soit recommander au ministre des affaires étrangères et au ministre chargé de l'immigration d'accorder le visa demandé. / Le président de la commission peut rejeter, sans réunir la commission, les recours manifestement irrecevables ou mal fondés. ". Il ne résulte pas de ces dispositions, ni d'aucune autre disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou d'un autre texte, que, sauf dans le cas prévu par les dispositions précitées du second alinéa de l'article D. 211-9, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France serait tenue de se réunir pour statuer par décision expresse sur un recours formé devant elle.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation. " Aux termes de l'article L. 231-4 du même code : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : / (...) 2° Lorsque la demande (...) présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ". Aux termes de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : / (...) 2° Lorsque la demande (...) présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ; (...) ". L'article L. 211-2 du même code dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. "
6. Mme C..., a obtenu, par la lettre du 27 décembre 2019, communication des motifs de la décision implicite attaquée conformément aux dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration. Elle soutient que le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'était pas compétent pour exposer les motifs de la décision implicite de rejet dès lors qu'il n'est seul compétent pour rejeter, sans réunir la commission, que les recours manifestement irrecevables ou mal fondés, sur le fondement de l'article D. 211-9 précité. Cependant un tel moyen ne peut être utilement soulevé contre la lettre par laquelle le président a seulement fait application des dispositions du code des relations entre le public et l'administration rappelées au point précédent.
7. En deuxième lieu, Mme C... reprend en appel le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
8. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
9. Il ressort des pièces du dossier que l'acte dit de " kafala " du 23 mars 2017 par lequel le jeune D... a été confié à Mme C..., sa grand-mère maternelle, a été dressé devant notaire et a fait seulement l'objet d'une certification de la signature du notaire par le président du tribunal d'Oran et du ministère des affaires étrangères algérien. Dès lors, l'intérêt supérieur de l'enfant à vivre auprès de la personne à qui il a été confié par une telle " kafala " ne peut être présumé et doit être établi au cas par cas. Il appartient au juge administratif d'apprécier, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, si le refus opposé à une demande de visa de long séjour pour le mineur méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est locataire à Lyon d'un appartement de 54 m2 de type T2 comportant une cuisine, une chambre, une pièce à vivre, une salle de bain et sanitaire, dans lequel elle vit avec son époux, M. B.... Mme C..., qui exerce depuis 2005 l'activité d'auxiliaire de vie, justifie avoir tiré de son activité et d'allocations de retour à l'emploi un revenu mensuel d'environ 1 500 euros en 2019. Elle dispose d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet depuis le 3 juin 2019 en qualité d'auxiliaire de vie auprès d'un particulier. Ses charges s'élèvent à environ 763 euros mensuels dont 465 euros de loyer sans aide personnalisée au logement. Il ressort également des pièces du dossier que l'enfant D..., âgé de de 11 ans à la date de la décision attaquée, réside en Algérie avec ses parents et ses deux frères cadets, âgés de 7 et 3 ans, dans un appartement dont Mme C... est propriétaire, et est régulièrement scolarisé. Si Mme C... soutient que cet enfant, avec qui elle a construit des liens affectifs forts, souffre de troubles psychologiques, elle n'apporte aucun élément, notamment d'ordre médical ou professionnel, au soutien de ses allégations. Elle indique également que l'enfant connaît des problèmes de compréhension, qui entravent son parcours scolaire et ont entraîné un redoublement, et qu'il est victime de harcèlement scolaire. Toutefois ces éléments, à les supposer établis, ne caractérisent pas une situation médicale, familiale ou matérielle de nature à justifier qu'il soit séparé de sa famille alors qu'il n'est ni légalement abandonné ni délaissé ou dans une situation matérielle de détresse. Dans le cadre de l'examen au cas par cas de l'intérêt supérieur de l'enfant à rejoindre une personne qui n'est pas titulaire à son égard de l'autorité parentale en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, la commission n'a pas commis d'erreur de droit en recherchant si des circonstances graves et avérées justifiaient la séparation de l'enfant de son environnement familial, social et culturel. Alors même que Mme C... justifie de conditions d'accueil, décrites ci-desssus, lui permettant de prendre en charge l'enfant et d'une volonté de pourvoir à ses besoins, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu, sans faire une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce ni méconnaître les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, estimer qu'il n'est pas établi qu'il soit de l'intérêt supérieur de l'enfant de vivre auprès de Mme C... en France, compte tenu de la présence dans son pays de plusieurs membres de sa famille proche, dont ses parents et ses jeunes frères avec qui il a toujours vécu, et de l'absence de circonstances graves et avérées justifiant la séparation de l'enfant de son environnement familial, social et culturel.
11. En dernier lieu et pour les mêmes motifs, la décision attaquée n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- M. L'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2022.
La rapporteure,
H. DOUET
Le président,
A. PÉREZ
La greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00374