Par une requête, enregistrée le 3 septembre 2020, M. D... B..., Mme H... B... et M. G... B... représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 juillet 2020 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre à l'administration de délivrer les visas sollicités, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à défaut, de lui enjoindre de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le motif sur lequel est fondée la décision contestée n'est pas, comme l'a jugé le tribunal, insuffisant à justifier légalement le refus de visa mais insusceptible de lui donner une base légale, aucune disposition ne subordonnant la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale à la déclaration préalable devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire des membres de sa famille ayant vocation à le rejoindre à ce titre ;
- le motif, tenant à la tardiveté des demandes de visa, que le ministre de l'intérieur a demandé au tribunal de substituer au motif illégal sur lequel s'est fondée la commission, n'est pas de nature à justifier légalement les refus de visa, aucun texte n'instituant de condition de délai ;
- le motif, tenant au défaut de production d'un jugement de déchéance de l'autorité parentale de la mère, que le tribunal a accepté de substituer au motif illégal fondant la décision de la commission, n'est pas au nombre des motifs d'ordre public, seuls susceptibles de faire obstacle à la délivrance d'un visa de long séjour aux enfants d'un réfugié, et est par suite illégal ;
- ce motif procède, en outre, d'une inexacte application des dispositions de l'article L. 411-2 et L. 411-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le consentement de la mère des demandeurs étant matériellement impossible à obtenir ;
- le tribunal a, en réponse au moyen tiré de ce que la commission n'a pas procédé à un examen sérieux et particulier de la situation de ses enfants, jugé que le ministre de l'intérieur avait procédé à cet examen ;
- la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas procédé à un examen véritable et sérieux de leur situation ;
- les refus de visa méconnaissent les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il indique s'en rapporter à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les observations de Me F..., substituant Me C... et représentant les consorts B....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., titulaire du statut de réfugié, et Mme H... B... et M. G... B..., ses enfants majeurs, relèvent appel du jugement du 3 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 24 mai 2017 maintenant les refus opposés aux demandes de visa présentées, au titre de la réunification familiale, par Mme H... B... et M. G... B... .
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) ". L'article L. 411-2 du même code dispose : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 411-3 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
3. En premier lieu, pour maintenir les refus de visa opposés aux jeunes H... B... et G... B..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tenant au fait que M. B... ne les avait pas déclarés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et que, partant, les demandeurs n'étaient pas " présentés comme membre de famille de réfugié en application de l'article R. 722-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ".
4. Si l'article R. 722-4, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lequel s'est fondée la commission prévoit que le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides est habilité à certifier la situation de famille des réfugiés, les dispositions de cet article n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner la délivrance de visa de long séjour au titre de la réunification familiale à la certification préalable par le directeur général de l'Office de la composition de la famille du réfugié. Ainsi, s'il est constant que M. B... n'a pas, lors de sa demande d'asile, indiqué être le père d'un enfant et d'un second enfant à naître, une telle circonstance ne constitue pas un motif légal de refus.
5. En deuxième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Pour rejeter la demande de M. B..., le tribunal administratif de Nantes a jugé que le motif invoqué devant lui par le ministre de l'intérieur et tenant à l'absence de consentement de la mère des demandeurs, dont le décès ou la déchéance de l'autorité parentale ne sont pas établis, justifiait légalement la décision contestée.
7. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles des articles L. 411-2 et L. 411-3 du même code, auxquelles le II de l'article L. 752-1 renvoie expressément, que l'enfant du réfugié dont l'autre parent ne sollicite pas en même temps que lui un visa de long séjour sur le fondement des dispositions du 1° ou du 2° de cet article a droit à la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale pourvu que soient remplies les conditions fixées par les articles L. 411-2 ou L. 411-3. Il s'ensuit que l'enfant, mineur de dix-huit ans, souhaitant rejoindre son parent réfugié sans son autre parent, bénéficie de plein droit de la délivrance d'un visa de long séjour soit lorsque son autre parent est décédé ou déchu de l'autorité parentale, soit s'il a été confié à son parent réfugié ou au conjoint de ce dernier en exécution d'une décision d'une juridiction étrangère et est muni de l'autorisation de son autre parent.
8. En l'espèce, M. B... soutient que la mère de ses enfants a disparu en 2007 et a confié leurs deux enfants à sa soeur. Cette dernière a, à plusieurs reprises, attesté devant notaire s'occuper, depuis 2007, des enfants de sa soeur dont elle n'a plus de nouvelles. Il ressort, par ailleurs, des pièces du dossier que M. B... a régulièrement, avant même les demandes de visa, adressé des sommes d'argent à la tante maternelle de ses enfants. Le ministre de l'intérieur n'apporte aucun élément susceptible de mettre en cause la véracité de ces éléments et notamment la disparition de la mère. Dans les circonstances particulières de l'espèce et alors que le statut de réfugié du requérant fait obstacle à ce qu'il s'adresse aux autorités de son pays pour faire constater le décès de la mère de ses enfants ou obtenir un jugement de déchéance de l'autorité parentale, les intéressés doivent être regardés comme satisfaisant aux conditions posées par les articles L. 411-2 et L. 411-3 et, par suite, comme pouvant prétendre à la délivrance de visas de long séjour. Le motif invoqué par le ministre de l'intérieur procède, dès lors, d'une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 752-1, L. 411-2 et L. 411-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ne pouvait, en conséquence, légalement fonder la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Ainsi, c'est à tort que le tribunal l'a substitué au motif erroné retenu par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
9. En troisième lieu, si le ministre de l'intérieur a également fait valoir devant les premiers juges que les refus de visa litigieux étaient légalement justifiés compte tenu du délai séparant l'obtention du statut de réfugié de M. B... et les demandes de visa présentées par ses enfants, les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoient aucune condition de délai, pourvu que les demandeurs respectent la condition d'âge. Par suite, un tel motif n'est pas davantage de nature à fonder légalement la décision contestée. Il n'y a dès lors pas lieu de procéder à la substitution de motif demandée.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
11. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour à Mme H... B... et M. G... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants de la somme de 1 300 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 juillet 2020 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 24 mai 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme H... B... et M. G... B... un visa de long séjour, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera aux requérants la somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., Mme H... B..., M. G... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme A..., présidente assesseur,
- Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 février 2021.
Le rapporteur,
K. E...
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02762