Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 novembre 2015, M. B...D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 octobre 2015 ;
2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur du 4 juillet 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 200 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision contestée du ministre de l'intérieur est insuffisamment motivée ;
- le motif tiré de ce qu'il a été incapable de s'expliquer sur ses relations en faveur de 1' opposition soudanaise en relation avec le représentant en France du mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE) est entaché d'une erreur de fait ;
- les motifs concernant sa situation personnelle et tirés de l'insuffisance de ressources et d'un défaut de maîtrise de la langue française sont entachés d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation alors qu'au surplus, il est bien intégré dans la société française dans laquelle il vit depuis quatorze ans alors qu'il ne peut rejoindre son pays d'origine pour des raisons de sécurité et dans lequel il ne dispose plus d'attaches familiales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 décembre 2015, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B...D... ne sont pas fondés.
M. B...D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 décembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le décret n° 2011-1265 du 11 octobre 2011 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...'hirondel.
1. Considérant que M. B...D..., ressortissant soudanais, relève appel du jugement du 23 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 4 juillet 2013 rejetant sa demande de naturalisation ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 27 du code civil : " toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande d'acquisition, de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu'une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée. " ;
3. Considérant que la décision contestée énonce les considérations de droit et les éléments de fait propres à la situation personnelle de l'intéressé qui en constituent le fondement ; que, par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée doit être écarté ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " Hors le cas prévu à l'article 21-14-1, l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993: " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande " ; que l'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation ; qu'elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France ;
5. Considérant, en outre, qu'aux termes de l'article 21-2 du code civil : " L'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité / (...) Le conjoint étranger doit également justifier d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en Conseil d'Etat " ; qu'aux termes de l'article 14 du décret du 11 octobre 2011 relatif au niveau de connaissance de la langue française requis des postulants à la nationalité française au titre des articles 21-2 et 21-24 du code civil et à ses modalités d'évaluation : " Pour l'application de l'article 21-2 du code civil, tout déclarant doit justifier d'une connaissance de la langue française caractérisée par la compréhension des points essentiels du langage nécessaire à la gestion de la vie quotidienne et aux situations de la vie courante ainsi que par la capacité à émettre un discours simple et cohérent sur des sujets familiers dans ses domaines d'intérêt. Son niveau est celui défini par le niveau B1, rubriques " écouter ", " prendre part à une conversation " et " s'exprimer oralement en continu " du Cadre européen commun de référence pour les langues, tel qu'adopté par le comité des ministres du Conseil de l'Europe dans sa recommandation CM/ Rec (2008) 7 du 2 juillet 2008. " Un arrêté ministériel précise, pour les déclarants qui ne produisent pas de diplôme justifiant d'un niveau égal ou supérieur au niveau requis, les attestations devant être produites, permettant de justifier de la possession de ce niveau de langue et délivrées par des organismes reconnus par l'Etat comme aptes à assurer une formation " français langue d'intégration ". Cet arrêté définit les conditions dans lesquelles des prestataires agréés par ces organismes peuvent délivrer de telles attestations (...) " ;
Considérant, d'une part, que pour justifier d'une compréhension suffisante de la langue française au sens des dispositions précitées, M. B...D...a produit trois attestations délivrées par l'association CESAM selon lesquelles il a assisté courant 2007 et 2008 à des formations linguistiques intitulées " apprentissage de la langue française ", " de l'apprentissage linguistique à l'insertion professionnelle " et " Remédiation technique linguistique - Métiers de la propreté " ; que ces attestations ne sauraient toutefois établir, à elles seules, que le postulant disposait à la date de la décision contestée d'une maîtrise équivalente de la langue française à celle exigée par le décret précité du 11 octobre 2011 ; qu'il ressort, en revanche, des pièces du dossier que la précédente demande d'acquisition de la nationalité française avait été ajournée pour ce motif en prescrivant à l'intéressé de suivre 500 heures de cours de français ; que selon le procès-verbal d'assimilation établi le 12 octobre 2011, l'intéressé, qui n'a en réalité suivi que 255 heures sur les 500 heures prescrites, lit, comprend et écrit le français avec difficulté ; que cette analyse est confirmée par le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques qui, dans son avis émis le 2 avril 2012, indique que le postulant a été dans l'impossibilité de s'exprimer clairement sur ses positions politiques et militantes au sein d'une structure d'opposition et de définir son relationnel en raison de son absence de maîtrise de la langue française ; que les attestations produites par M. B...D...ne sont pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de ces constatations ;
6. Considérant, d'autre part, que si M. B...D...soutient justifier d'une insertion réussie dans la société française, il fait seulement valoir n'être titulaire d'un contrat de travail dans la même entreprise que depuis le mois de décembre 2012 ; qu'il ressort, en revanche, de ses déclarations de revenus produites en défense par le ministre qu'il ne disposait que de quelques centaines d'euros de revenus au titre des années 2007 à 2011 et que le couple a bénéficié d'une allocation différentielle de revenu de solidarité active (RSA) selon un relevé de la caisse d'allocations familiales de la Côte d'Or du mois de février 2013 ;
7. Considérant qu'il suit de là que le ministre de l'intérieur a pu, sans commettre d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste d'appréciation retenir les deux motifs tirés d'une insuffisante maîtrise de la langue française et d'un défaut d'intégration professionnelle pour rejeter la demande d'acquisition de la nationalité française de M. B...D... ; que la circonstance que ce dernier ne puisse retourner dans son pays d'origine où il craint pour sa sécurité et qu'il ne dispose plus d'aucune famille dans ce pays est sans incidence sur la légalité de la décision contestée ; qu' il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que ces deux motifs pour rejeter la demande de M. B...D... ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le conseil de M. B... D..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...B...D...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 décembre 2016.
Le rapporteur,
M. F...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 15NT03507