Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 avril 2019 Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 14 février 2019 en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande indemnitaire ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Bretagne Sud à lui verser la somme totale de 179 070 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bretagne Sud la somme de 4 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité du centre hospitalier de Bretagne Sud pour retard de diagnostic doit être confirmée ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle a droit à la réparation intégrale de ses préjudices, à l'exception du déficit fonctionnel permanent qui doit être indemnisé après application d'un taux de perte de chance ;
- elle a droit aux indemnités suivantes : 41 334,50 euros au titre de la perte de gains professionnels avant le 25 février 2009, date de sa mise à la retraite pour invalidité ; 112 5835,50 euros au titre du même préjudice après cette date ; 4 800 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ; 10 000 euros au titre des souffrances endurées ; 6 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ; 4 400 euros en remboursement des frais qu'elle a exposés à l'occasion des opérations d'expertise.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 février 2020 le centre hospitalier de Bretagne Sud, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., née en 1955, infirmière au centre hospitalier de Bretagne Sud, a présenté au début de l'été 2005 un déficit de l'extension du pouce et de l'index de la main droite. Le 10 janvier 2006, elle a consulté un médecin neurologue de l'établissement dans lequel elle travaillait, qui a envisagé un diagnostic de sclérose latérale amyotrophique ou de neuropathie à bloc de conduction. Plusieurs examens réalisés à partir de 2008 dans d'autres établissements de soins ont toutefois permis de diagnostiquer une compression du nerf radial au niveau du coude et plus précisément de l'arcade de Frohse. Une intervention chirurgicale de décompression du nerf a été réalisée en 2013, qui a permis de soulager les douleurs de Mme A... sans toutefois faire disparaître totalement la parésie dont elle souffre au niveau du pouce et de l'index. Estimant avoir été victime d'une erreur de diagnostic fautive, Mme A... a saisi le 21 juin 2012 la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Bretagne. Le 23 avril 2014, sur le fondement d'une expertise rendue le 23 décembre 2013 par un chirurgien orthopédiste et un neurologue, la commission s'est déclarée incompétente, au motif que le préjudice de Mme A... ne remplissait pas la condition de gravité fixée par les articles L. 1142-1 et D. 1142-1 du code de la santé publique. Saisi par Mme A..., le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a ordonné une nouvelle expertise, confiée à un rhumatologue, lequel a rendu son rapport le
18 janvier 2016. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier de Bretagne Sud à lui verser la somme totale de 179 070 euros en réparation de ses préjudices. Par un jugement du 14 février 2019, le tribunal a condamné cet établissement de santé à lui verser la somme de 18 316,75 euros. Mme A... relève appel de ce jugement.
Sur la responsabilité :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
3. Il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté en défense que si les diagnostics de sclérose latérale amyotrophique ou de neuropathie à bloc de conduction pouvaient être évoqués en janvier 2006, Mme A... présentant certains des symptômes de ces maladies, l'évolution de son état de santé, marquée par l'absence d'apparition des autres symptômes associés à la sclérose latérale amyotrophique, et l'absence de résultat d'un traitement spécifique de la neuropathie à bloc de conduction auraient dû conduire le neurologue du centre hospitalier de Bretagne Sud à réorienter son diagnostic initial, au plus tard à l'été 2006, vers une compression du nerf radial, pathologie dont souffrait en réalité Mme A... et qui n'a été diagnostiquée qu'au début de l'année 2008 dans un hôpital parisien. Mme A... a donc été victime d'un retard de diagnostic fautif d'environ dix-huit mois, qui engage la responsabilité du centre hospitalier de Bretagne Sud.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne le taux de perte de chance :
4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
5. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport établi par l'expert désigné par le tribunal administratif de Rennes, que Mme A..., même en l'absence de faute, encourait un risque de parésie de la main droite. Elle n'est donc pas fondée à demander la réparation intégrale de son dommage. Le même expert évalue à 50% la chance perdue par Mme A... d'obtenir une amélioration de son état de santé en raison de la faute du centre hospitalier de Bretagne Sud. Ce taux retenu par les premiers juges n'est infirmé par aucune des autres pièces de l'instruction et peut donc être confirmé en appel.
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
Quant aux frais divers :
6. Il est constant que Mme A... a été assistée par des médecins-conseils lors des différentes opérations d'expertise. Elle justifie avoir exposé à ce titre une somme totale de 3 400 euros (deux factures de 800 euros, une facture de 1 400 euros et une facture de 400 euros). Cette dépense résultant uniquement de la faute du centre hospitalier, il n'y a pas lieu de lui appliquer un abattement pour perte de chance. Le centre hospitalier de Bretagne Sud doit donc être condamné à rembourser à Mme A... la somme de 3 400 euros.
Quant à la perte de gains professionnels avant le 25 février 2009 :
7. Mme A... était infirmière au centre hospitalier de Bretagne Sud. Elle a bénéficié d'arrêts de travail du 1er décembre 2005 jusqu'au 25 février 2009, date à laquelle elle a été mise à la retraite pour invalidité. Elle demande la réparation de ses pertes de revenus professionnels à compter du 10 juillet 2006. Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Rennes, il n'y a pas lieu de limiter le préjudice de l'intéressée à la période courant jusqu'à la fin de l'année 2007 au motif que Mme A... a développé à partir de cette date une fibromyalgie, dès lors que ses arrêts de travail jusqu'au 25 février 2009 sont tous motivés par la pathologie de la main droite dont elle a souffert.
8. Il résulte de l'instruction que, pour la période allant du 10 juillet 2006 au 25 février 2009, le revenu professionnel de Mme A... a été diminué de 25 371,50 euros (961,50 euros du 10 juillet au 31 décembre 2006, 10 752 euros en 2007, 11 738 euros en 2008 et 1 920 euros du 1er janvier au 25 février 2009). Après application du taux de perte de chance retenu au point 5, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Bretagne Sud à verser à la requérante la somme de 12 685,75 euros.
Quant à la perte de gains professionnels à partir du 25 février 2009
9. Il résulte de l'instruction, en particulier des conclusions claires et concordantes des expertises diligentées tant par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Bretagne que par le tribunal administratif de Rennes, que Mme A... était apte à reprendre son métier d'infirmière sur un poste adapté sans port de charges lourdes et que sa mise à la retraite est, pour l'essentiel, la conséquence de la fibromyalgie dont elle a souffert à partir du début de l'année 2008. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à demander la réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi à partir du 25 février 2009.
En ce qui concerne les préjudices personnels :
10. Mme A... a subi un déficit fonctionnel temporaire évalué à 10% par l'expert judiciaire jusqu'à la date de consolidation de son état de santé, fixée au 10 juillet 2010. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de confirmer la somme de 1 500 euros, tenant compte du taux de perte de chance de 50%, allouée par les premiers juges et non contestée par le centre hospitalier.
11. Les souffrances endurées par Mme A... ont été évaluées à 3 sur 7 par l'expert judiciaire, incluant les souffrances physiques supplémentaires dues au retard de diagnostic et les souffrances psychologiques liée au diagnostic initial erroné de sclérose latérale amyotrophique, maladie grave et incurable. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte évaluation de ce préjudice en accordant à Mme A... la somme de 5 000 euros, non contestée en défense.
12. L'expert judiciaire a évalué le déficit fonctionnel permanent de Mme A... à 6%. Dans les circonstances de l'espèce, la somme de 4 260 que le tribunal a condamné le centre hospitalier de Bretagne Sud à verser à Mme A... doit être confirmée.
13. Il résulte de ce qui précède que la somme de 18 316,75 euros que le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de de Bretagne Sud à verser à
Mme A... doit être portée à 26 845,75 euros.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu de mettre définitivement à la charge du centre hospitalier de Bretagne Sud les frais d'expertise taxés et liquidés par une ordonnance du 25 janvier 2016 du président du tribunal administratif de Rennes à la somme de 2 026,57 euros euros.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Bretagne Sud la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 18 316,75 euros que le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de Bretagne Sud à verser à Mme A... est portée à 26 845,75 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1603659 du tribunal administratif de Rennes du 14 février 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le centre hospitalier de Bretagne Sud versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., au centre hospitalier de Bretagne Sud et à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère Morbihan.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. B..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 février 2021.
Le rapporteur
E. B...Le président
I. PerrotLe greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01361