Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 janvier 2018 et le 9 octobre 2019 les consorts C..., représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2017 ;
2°) à titre principal, d'ordonner une nouvelle expertise ;
3°) à titre subsidiaire, de juger que le CHU de Nantes a commis une faute, d'ordonner une expertise complémentaire afin d'évaluer leurs préjudices et de condamner le CHU de Nantes à leur verser une provision de 500 000 euros.
Ils soutiennent que :
- l'expertise est irrégulière car elle n'a pas été réalisée à leur contradictoire et est fondée sur des faits erronés ;
- la prise en charge de Mme D... C... à son arrivée au CHU de Nantes, par une sage-femme sans la présence d'un médecin, est fautive, de même que l'absence de diagnostic de l'hématome rétro-placentaire dont elle souffrait et de réaction adaptée ;
- la sage-femme a tardé à demander l'intervention d'un médecin après l'apparition des premiers signes d'anoxie de l'enfant ;
- la prise en charge de Margaux C... à sa naissance est fautive, en raison notamment du retard avec lequel une trachéotomie a été pratiquée, et révèle une faute du CHU de Nantes dans l'organisation du service ;
- le dossier médical comporte des erreurs dont l'expert n'a pas tenu compte ;
- ils sont fondés à demander une indemnisation provisionnelle de 500 000 euros.
Par une lettre du 6 février 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique informe la cour qu'elle n'entend pas intervenir à l'instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 février 2019 le CHU de Nantes, représenté par Me H..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les consorts C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant les consorts C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... C..., enceinte de 37 semaines, s'est présentée le 26 juillet 1999 à 7h05 au service des urgences du CHU de Nantes, où sa grossesse était suivie, en raison des douleurs et des contractions utérines qu'elle ressentait. Son enfant, G... C..., victime d'une anoxie à partir de 7h23, est née en état de mort apparente à 7h40. Elle souffre aujourd'hui de très importants troubles neurologiques. En 2012, estimant que la prise en charge de la mère et de l'enfant avait été fautive, les consorts C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes la désignation d'un expert. Par une ordonnance du 24 avril 2012, un neuro-pédiatre a été désigné, assisté en tant que sapiteurs par un médecin réanimateur et par un gynécologue obstétricien. Le rapport d'expertise a été rendu le 28 décembre 2012. Le 1er août 2014, les consorts C... ont adressé une demande indemnitaire au CHU de Nantes, qui l'a implicitement rejetée. Le 23 mars 2015, ils ont saisi le tribunal administratif de Nantes d'un recours tendant à la condamnation du CHU de Nantes à leur verser une indemnité provisionnelle de 500 000 euros et à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée. Par un jugement du 15 novembre 2017, le tribunal a rejeté leur demande. Les consorts C... relèvent appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article R. 621-7 du code de justice administrative : " Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise ; cet avis leur est adressé quatre jours au moins à l'avance, par lettre recommandée. / Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport. ".
3. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.
4. Il résulte de l'instruction que le gynécologue obstétricien qui a suivi la grossesse de Mme C... a indiqué sur son dossier médical " m'appeler pour l'accouchement ". Dans le cadre des opérations d'expertise, l'un des sapiteurs a appelé par téléphone ce médecin, le 26 décembre 2012, pour connaître la portée de cette indication manuscrite. Selon les mentions figurant dans le rapport d'expertise du 28 décembre 2012, le gynécologue obstétricien lui a répondu que cette indication ne révélait pas un risque particulier pour Mme C... mais que, s'agissant de l'une de ses patientes, il souhaitait être présent dans la mesure de ses disponibilités. Il est constant que cette information n'a pas été portée à la connaissance des consorts C... préalablement à la remise du rapport définitif d'expertise. Eu égard à l'importance que revêtait en l'espèce cette information, qui a nécessairement eu une influence sur la réponse aux questions posées à l'expert, les consorts C... sont fondés à soutenir, comme ils l'ont déjà fait en première instance, que le principe du contradictoire a été méconnu. Cette information qui n'est pas un élément de pur fait et qui a été contestée par les requérants, n'est pas corroborée par d'autres éléments de l'instruction. Le jugement attaqué, qui se fonde exclusivement sur l'expertise du 28 décembre 2012 pour rejeter la demande indemnitaire des consorts C..., après avoir écarté les notes médicales aux conclusions contraires produites par ceux-ci, a donc été rendu à la suite d'une procédure irrégulière et doit, pour ce motif, être annulé.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande des consorts C....
6. Il résulte de l'instruction que, lorsque Mme C... a été admise entre 7h05 et 7h10 aux urgences du CHU de Nantes, elle ressentait depuis environ 20 minutes de très vives douleurs, distinctes des contractions utérines qui avaient débuté la veille vers 16h, que l'enregistrement du rythme cardiaque du foetus a révélé des décélérations plus ou moins brutales à 7h15, 7h23, 7h24 et 7h28, puis en continu à partir de 7h29, que la sage-femme qui a assisté Mme C... n'a appelé un médecin qu'à 7h33 et qu'à la naissance du bébé à 7h40, en état de mort apparente, aucun médecin réanimateur n'était présent. Or, selon le médecin conseil des consorts C..., il était nécessaire de prendre l'avis d'un médecin à l'arrivée de Mme C... au centre hospitalier en raison de ses douleurs particulières, de ses antécédents et des irrégularités du rythme cardiaque foetal. En outre, deux professeurs de médecine, gynécologues obstétriciens, également consultés par les requérants, estiment que les douleurs de Mme C... évoquaient un hématome rétro-placentaire ou une rupture utérine qui imposaient l'appel immédiat du médecin de garde et que les complications subies par Margaux C... rendaient indispensable la présence d'un médecin réanimateur à sa naissance. Eu égard à ces éléments médicaux étayés, versés à l'instruction par les requérants, en contradiction avec les conclusions du rapport d'expertise du 28 décembre 2012, il y a lieu d'ordonner une nouvelle expertise, avant dire droit, afin notamment de déterminer si les conditions de prise en charge de Mme C... et de sa fille ont été conformes aux règles de l'art.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1502452 du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2017 est annulé.
Article 2 : Il est ordonné, avant de statuer sur les conclusions des consorts C..., une expertise, confiée à un gynécologue obstétricien et à un médecin réanimateur en néonatologie, qui auront pour mission :
- de se faire communiquer tous documents relatifs au suivi médical, interventions soins et traitements dont Mme D... C... et Margaux C... ont fait l'objet au CHU de Nantes ;
- de décrire les conditions dans lesquelles s'est déroulé l'accouchement de Mme D... C... le 26 juillet 1999 ; de préciser les complications survenues et les examens et soins prodigués ;
- de dire si la prise en charge de Mme D... C... le 26 juillet 1999 a été attentive, diligente et conforme aux données acquises de la science médicale ;
- d'examiner Margaux C..., de retracer, en tant que de besoin, son histoire médicale et de décrire son état de santé actuel et/ou prévisible ;
- de dire si la prise en charge de Margaux C... à sa naissance a été attentive, diligente et conforme aux données acquises de la science médicale ; de se prononcer sur l'origine des complications qu'elle a alors présentées ;
- de déterminer si des erreurs, manquements ou négligences ont été commis dans le fonctionnement ou l'organisation du service ;
- d'indiquer si les fautes éventuellement constatées ont fait perdre à Margaux C... une chance de voir son état de santé s'améliorer ou d'échapper à son aggravation ;
- de donner toute précision sur la date éventuelle ou prévisible de consolidation de l'état de santé de Margaux C... ;
- de déterminer et d'évaluer les préjudices subis par Sophie C... et par Margaux C... (déficit fonctionnel temporaire et permanent, souffrances endurées, préjudice esthétique temporaire et permanent, besoins en assistance par une tierce personne, etc.) en distinguant, le cas échéant, ceux qui résultent d'une faute du CHU de Nantes ;
- d'une manière générale, de donner à la cour toute information ou appréciation utile de nature à lui permettre de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer les préjudices subis.
Article 3 : L'expertise sera menée contradictoirement entre les consorts C..., le CHU de Nantes et la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique.
Article 4 : Les experts seront désignés par le président de la cour. Ils accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Les experts en notifieront des copies aux parties intéressées.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à M. I... C..., à Mme G... C..., au CHU de Nantes et à la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme J..., présidente-assesseure,
- M. E..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 décembre 2019.
Le rapporteur
E. E...La présidente
N. J...
Le greffier,
M. F...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00152