Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 février 2017 et régularisée le 17 février 2017 M. et MmeF..., représentés par Me I..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er décembre 2016 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Malo à verser à Mme F...la somme de 676 431,71 euros et à M. F...la somme de 15 000 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2013 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Malo une somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur demande de première instance n'était pas irrecevable car ils n'étaient pas soumis au délai prévu par l'article R. 421-1 du code de justice administrative dès lors qu'ils avaient saisi au préalable la juridiction administrative d'une demande d'expertise ; en outre, leur courrier du 3 avril 2013 adressé au centre hospitalier de Saint-Malo avait pour principal objet de rappeler les faits établis suite à l'expertise, et c'est seulement par leur courrier du 12 février 2014 qu'ils ont officiellement formulé une demande indemnitaire ;
- il résulte du déroulé des faits rapportés dans le rapport d'expertise que le retard de diagnostic du syndrome de queue de cheval dont a été victime Mme F...n'est pas seulement de 24 heures mais de 9 jours ;
- les préjudices de MmeF..., temporaires et définitifs, peuvent être évalués sur la base des constats faits par l'expert à la somme totale de 676 431,71 euros ;
- leur préjudice d'affection de M. F...peut être évalué à la somme de 15 000 euros.
Par des mémoires enregistrés les 13 avril 2017 et 18 septembre 2018 la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me A...B..., demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er décembre 2016 en tant qu'il a condamné le centre hospitalier de Saint-Malo à lui verser la somme de 30 323,03 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2014 et de la capitalisation des intérêts ;
2°) de porter la somme de 1 047 euros qui lui a été accordée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion à 1 055 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Malo une somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le jugement est parfaitement bien fondé.
Par un mémoire enregistré le 14 mai 2018, le centre hospitalier de Saint-Malo, représentés par MeG..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er décembre 2016 en tant qu'il l'a condamné à verser la somme de 30 323,03 euros à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine ;
2°) de rejeter la requête de M. et Mme F...et les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.
Il soutient que :
- M. et Mme F...ont présenté le 3 avril 2013, près d'un an après le dépôt du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Rennes, une demande indemnitaire qui a été rejetée par une décision du 11 juillet 2013 portant mention des voies et délais de recours, laquelle n'a pas été contestée et est donc devenue définitive ; la nouvelle demande présentée le 12 février 2014 est fondée sur la même cause juridique et tend à la réparation des préjudices causés par le même fait générateur ;
- aucune faute ne peut lui être imputée car le retard de diagnostic de 24 heures retenu par l'expert n'est en réalité que le résultat de délais incompressibles : il était nécessaire de réaliser des examens pour confirmer le diagnostic et de préparer l'intervention dans un contexte délicat ;
- au vu de la littérature médicale internationale, il n'est pas établi qu'un retard de prise en charge de 24 heures ait entrainé une perte de chance ;
- à titre subsidiaire, les demandes indemnitaires formulées par M. et Mme F...sont très excessives au regard du taux de perte de chance de 15% retenu par l'expert.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Bris,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
1. MmeF..., qui avait souffert de lombalgies pendant sa grossesse, a accouché le 20 décembre 2008 au centre hospitalier de Saint-Malo par césarienne du fait d'une anomalie de positionnement du placenta. Ses douleurs sciatiques ont perduré après l'intervention. Elle s'est plainte, le 21 décembre dans la soirée, de pertes urinaires. Une consultation neurologique a été réalisée le 22 décembre à 11h, suivie d'une IRM qui a confirmé l'existence d'une volumineuse hernie discale L5 S1 médiane compressive à l'origine d'un syndrome dit " de la queue de cheval ". Mme F...a subi une intervention chirurgicale pratiquée au CHU de Rennes le jour même à 22h30 pour lever la compression, mais a continué à souffrir, après la consolidation de son état fixé au 1er août 2010, de troubles de la sensibilité périnéale et de troubles de la rétention urinaire. Á sa demande, le tribunal administratif de Rennes a ordonné le 16 septembre 2011 une expertise qui a donné lieu à un rapport déposé le 23 avril 2012. L'expert, rhumatologue, a conclu que le centre hospitalier de Saint-Malo avait commis une faute en posant le diagnostic avec environ 12 heures de retard, et que cette faute était à l'origine d'une perte de chance d'éviter le dommage évaluée à 15%. Après avoir formulé le 3 avril 2013 puis le 12 février 2014 des demandes préalables d'indemnisation auprès du centre hospitalier de Saint-Malo, M. et Mme F...ont saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement à leur verser respectivement une somme de 15 000 euros et de 676 431,71 euros. Par un jugement du 1er décembre 2016 le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes comme tardives et a fait partiellement droit à la demande de remboursement de ses débours présentée par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine en condamnant le centre hospitalier de Saint-Malo à lui verser la somme de 30 323,03 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2014 et de la capitalisation des intérêts.
2. Par la voie de l'appel principal, M. et Mme F...demandent l'annulation du jugement du 1er décembre 2016 et renouvellent leurs demandes indemnitaires. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Saint-Malo demande l'annulation de ce jugement en ce qu'il l'a condamné à indemniser la CPAM d'Ille-et-Vilaine et le rejet des conclusions présentées par cette dernière et par les consortsF.... Enfin, la CPAM d'Ille-et-Vilaine conclut à la confirmation du jugement attaqué et à ce que la somme de 1 047 euros mise à la charge de l'établissement hospitalier au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion soit portée à 1 055 euros.
Sur la recevabilité de la demande de M. et MmeF... :
3. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à la date d'introduction de la demande des requérants : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ". Aux termes de l'article R. 421-3 du même code : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : 1° En matière de plein contentieux ; (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que M. et Mme F...ont adressé par un courrier du 3 avril 2013 une demande d'indemnisation précisément argumentée et chiffrée au centre hospitalier de Saint-Malo, qui leur a opposé un refus par une lettre du 11 juillet 2013, notifiée le 13 juillet suivant. Cette lettre, qui comportait la mention des voies et délais de recours ainsi que l'indication selon laquelle le délai de recours contentieux serait suspendu en cas de saisine de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, a eu pour effet de déclencher le délai de deux mois prévu par les dispositions précitées du code de justice administrative, délai qui s'est achevé le 14 septembre 2013. Or il est constant que M. et Mme F...n'ont saisi que le 25 avril 2014 le tribunal administratif d'une demande indemnitaire dirigée contre le centre hospitalier de Saint-Malo.
5. Et contrairement à ce que soutiennent les requérants, la circonstance qu'ils aient en 2011 saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une demande d'expertise et que, de ce fait, la juridiction comme les parties en cause aient été informées de leur intention de demander réparation de leur préjudice n'est pas de nature à faire obstacle à ce que, dès lors qu'une demande d'indemnisation a été formulée après le dépôt du rapport d'expertise et qu'elle a été rejetée, le mécanisme de forclusion résultant de l'écoulement du délai de recours contentieux prévu par les dispositions citées au point 3 du code de justice administrative puisse leur être opposé. Dans ces conditions, la nouvelle réclamation indemnitaire qu'ils ont présentée au centre hospitalier le 12 février 2014, qui tendait à obtenir sur le même fondement juridique la réparation des préjudices causés par le même fait générateur, a fait naître une décision implicite de rejet purement confirmative de la décision du 11 juillet 2013, laquelle n'a pas ouvert à leur profit un nouveau délai de recours contentieux.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté comme tardives les conclusions indemnitaires présentées par M. et Mme F...contre le centre hospitalier.
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine et la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Malo :
7. Aux termes du paragraphe I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ... ".
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'expert, après avoir évoqué un retard de diagnostic de 24 heures dans son pré-rapport, a finalement retenu un retard d'environ 12 heures dans les conclusions de son rapport définitif pour tenir compte du délai incompressible d'organisation de l'intervention, y compris dans un contexte d'urgence. Il a également ramené à 15% le taux de perte de chance qu'il avait évalué à 25% dans son pré-rapport et a pris soins de répondre aux différents dires formulés pour le centre hospitalier de Saint-Malo. Il a ainsi estimé que, compte tenu du contexte connu et signalé depuis plusieurs jours de lombosciatique, la consultation neurologique aurait dû être faite dès le 21 décembre au soir, lorsque les troubles urinaires ont été constatés pour la première fois, alors même que la littérature médicale considère qu'en cas d'apparition brutale des troubles - ce qui n'était pas le cas en l'espèce - un délai de 24 à 48 heures pour la prise en charge d'un tel syndrome est acceptable. Il a également pu, sans contradiction, évaluer à 15% le taux de perte de chance d'éviter les séquelles résultant de ce retard de diagnostic après avoir rappelé que même lorsque l'intervention est faite dans les meilleurs délais (6 à 10 heures), des séquelles sont observées dans 30% des cas. Dès lors, le centre hospitalier de Saint-Malo, qui se borne à reprendre les arguments qu'il avait présentés au cours de l'expertise, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il avait commis une faute et que le retard de diagnostic qui lui est imputé était à l'origine pour la patiente d'une perte de chance évaluée à 15% d'éviter l'aggravation de son état de santé.
9. En second lieu, les premiers juges ont condamné le centre hospitalier de Saint-Malo à rembourser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine 15% des débours que cette dernière a exposés pour la prise en charge des conséquences du syndrome de queue de cheval dont a été victime Mme F... sur la base d'un état récapitulatif et d'une attestation d'imputabilité datée du 25 juin 2014 qui ne sont pas contestés devant le juge d'appel. Par suite, il y a lieu de confirmer la somme de 30 323,03 euros retenue par les premiers juges mise à la charge de l'établissement hospitalier, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2014 et de la capitalisation des intérêts à compter du 8 juillet 2015.
10. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Saint-Malo n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamné à verser la somme de 30 323,03 euros à la CPAM d'Ille-et-Vilaine, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2014 et de la capitalisation des intérêts à compter du 8 juillet 2015.
Sur les frais de l'instance :
11. Il y a lieu, d'une part, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge définitive du centre hospitalier de Saint-Malo les frais de l'expertise d'un montant de 800 euros liquidés et taxés par une ordonnance du 10 mai 2012 du président du tribunal administratif de Rennes.
12. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de porter à 1 055 euros la somme de 1 047 euros que le centre hospitalier de Saint-Malo a été condamné à verser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine en première instance.
13. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. et Mme F...et de la CPAM d'Ille-et-Vilaine présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête présentée par M. et Mme F...et les conclusions présentées par le centre hospitalier de Saint-Malo et par la CPAM d'Ille-et-Vilaine sont rejetées.
Article 2 : Les frais et honoraires de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 800 euros toutes taxes comprises sont mis à la charge définitive du centre hospitalier de Saint-Malo.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...F..., à Mme C...E...épouseF..., à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine et au centre hospitalier de Saint-Malo.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- M. Berthon, premier conseiller,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2018.
Le rapporteur,
I. Le BrisLe président,
O. Coiffet
Le greffier,
M. H...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°17NT00475