Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 16 mai 2017, 21 juin 2017 et 30 mai 2018 le CHRU de Tours, représenté par MeJ..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 16 mars 2017 ;
2°) de rejeter les demandes indemnitaires présentées par Mme D...et M. H...et par la CPAM de la Sarthe devant le tribunal administratif d'Orléans ;
Il soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;
- l'existence d'une infection nosocomiale n'est pas établie et, subsidiairement, c'est à tort que les premiers juges ont mis l'ONIAM hors de cause ;
- le préjudice d'incidence professionnelle de B...et la perte de revenu de M. H...ne sont pas établis ;
- les indemnisations accordées doivent être ramenées à de plus justes proportions s'agissant des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire, et de l'assistance par tierce personne ;
- les demandes d'indemnisations complémentaires présentées par la voie de l'appel incident par Mme D...et M. H...ne sont pas fondées.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 août 2017 l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge du CHRU de Tours la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le CHRU de Tours ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 août 2017 Mme D...et M.H..., représentés par MeA..., concluent :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à ce que la somme que le CHRU de Tours a été condamné à leur verser soit portée à 351 917,41 euros ;
3°) à ce que soit mise à la charge du CHRU de Tours la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- les moyens soulevés par le CHRU de Tours ne sont pas fondés ;
- les préjudices suivants ont été insuffisamment réparés par les premiers juges : dépenses de santé actuelles et futures, frais de transport, assistance par tierce personne jusqu'à l'âge de treize ans, déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice esthétique, déficit fonctionnel permanent, pertes de revenus de Mme D...et de M.H..., préjudice d'affection de KayeneH....
Par un mémoire en défense enregistré le 18 mai 2018 la CPAM de la Sarthe, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce que le CHRU de Tours lui verse la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le CHRU de Tours ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Berthon,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. B...H...est née le 16 juin 2008 avec une cataracte de l'oeil gauche. Le 10 février 2009, elle a été opérée de cette affection au CHRU de Tours. Le 17 février 2009, une endophtalmie a été diagnostiquée. Un prélèvement a révélé la présence d'un streptococcus pneumoniae (pneumocoque). Le 27 mars 2009, après l'échec des traitements mis en place, l'énucléation de l'oeil gauche a dû être réalisée. B...H...a subi de nombreuses interventions chirurgicales jusqu'en 2012 pour traiter diverses complications en lien avec l'énucléation et pour la pose d'un conformateur puis d'une prothèse oculaire. Mme D...et M. H..., ses parents, ont saisi en 2009 la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) d'une demande d'indemnisation. Celle-ci a désigné un expert, médecin ophtalmologue et, sur la base de son rapport, a estimé que la responsabilité du CHRU de Tours était engagée. Après l'échec de la procédure amiable, Mme D...et M H...ont, le 21 mars 2014, demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans d'ordonner une nouvelle expertise. Celle-ci, également confiée à un médecin ophtalmologue, a été rendue le 28 octobre 2014. Mme D...et M. H...ont adressé une demande indemnitaire préalable au CHRU de Tours, puis ont saisi le tribunal administratif d'Orléans. Par un jugement du 16 mars 2017, celui-ci, après avoir estimé que l'état de santé de la jeune B...n'était pas consolidé et que, par conséquent, son taux d'incapacité ne pouvait être définitivement fixé, a évalué provisoirement ce taux à 23% et a condamné le CHRU de Tours à verser les sommes de 199 095,22 euros, 36 804 euros et 10 000 euros à Mme D...et à M. H...au titre respectivement des préjudices deB..., de leurs préjudices propres et du préjudice d'affection de KayeneH..., la soeur deB.... Il a également condamné cet établissement hospitalier à verser la somme de 39 354,28 euros à la CPAM de la Sarthe ainsi qu'une rente annuelle de 1171,10 euros jusqu'au 10ème anniversaire deB..., puis de 684,20 euros jusqu'à son 13ème anniversaire. Le CHRU de Tours relève appel de ce jugement. Mme D...et M. H...demandent, par la voie de l'appel incident, la majoration des sommes qui leur ont été allouées en première instance.
Sur la responsabilité du CHRU de Tours :
2. En premier lieu, aux termes du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins " sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
3. Il résulte de l'instruction, et en particulier des conclusions concordantes des experts, que l'endophtalmie diagnostiquée le 17 février 2009 dont a souffert B...H...a été causée par un pneumocoque qui n'était ni présent ni en incubation lorsqu'elle a été admise au CHRU de Tours le 10 février 2009 pour y être opérée de la cataracte. Par suite, et dès lors que cet établissement ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère, l'infection dont a été victime B...H...doit être regardée comme une infection nosocomiale.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales... ". Dans le cas d'une infection nosocomiale contractée à l'occasion d'une opération communément pratiquée, ne présentant pas de risque particulier, et s'étant déroulée sans incident, devant donc normalement permettre au patient de recouvrer une grande partie de ses capacités fonctionnelles, le taux d'atteinte à l'intégrité du patient doit être calculé non pas par la différence entre sa capacité avant l'intervention et sa capacité après consolidation des conséquences de l'infection, mais en se référant à la capacité dont l'intervention aurait permis la récupération en l'absence de cette infection.
5. Il résulte de l'instruction que B...H...aurait, en l'absence d'infection nosocomiale et en cas de succès de l'opération de la cataracte pratiquée le 10 février 2009, obtenu une acuité visuelle de l'oeil gauche de 5/10ème au plus, et que son oeil droit dispose d'une capacité visuelle stabilisée de 10/10ème. Par suite, le tribunal administratif d'Orléans a correctement évalué le taux de l'incapacité permanente dont l'enfant reste atteinte, en tenant compte également d'une incapacité de 1% liée à une parésie de la paupière gauche, en le fixant à 23%, niveau correspondant au seul surcroît d'incapacité résultant de l'infection nosocomiale.
6. Par ailleurs, et contrairement à ce qu'ont estimé les juges de première instance, il résulte du rapport de l'expert judiciaire que l'état de santé de B...H...est consolidé depuis le 18 mars 2013, sans qu'y fasse obstacle le fait que certains de ses préjudices ne pouvaient être définitivement liquidés à cette date ou que sa capacité visuelle binoculaire était encore susceptible d'être affectée par l'évolution de l'acuité visuelle de l'oeil droit, circonstance sans lien avec l'infection nosocomiale dont elle a été victime.
7. De ce qui a été dit aux points 4 à 6 il résulte que, d'une part, la responsabilité du CHRU de Tours est intégralement engagée et que, d'autre part, cette responsabilité n'est pas provisoirement engagée dans l'attente de la consolidation de l'état de santé de B...H..., comme l'ont estimé les premiers juges, mais définitivement établie.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
En ce qui concerne l'assistance par tierce personne :
8. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.
9. L'expert judiciaire a évalué le besoin en assistance par tierce personne de B...H...à 4 heures par jour avant la consolidation de son état de santé, en raison des soins quotidiens lourds rendus nécessaires par son handicap, et à 3 heures par semaine ensuite. Contrairement à ce que soutient le CHRU de Tours, la réalité de ce besoin est établie par l'instruction. Il sera fait une juste appréciation du préjudice de B...H...en accordant à ses parents, sur la base d'un taux horaire moyen de rémunération tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche, fixé à 13 euros pour la période allant du 10 février 2009 au 18 mars 2013 et à 14 euros pour la période allant du 19 mars 2013 à la date du présent arrêt, des sommes de 85 644 euros et de 14 364 euros.
10. Compte tenu de l'âge de B...H...à la date du présent arrêt et du prix de l'euro de rente tel que défini par le barème de capitalisation actualisé en 2018, le préjudice indemnisable de B...H...au titre de son besoin d'assistance par tierce personne entre la date du présent arrêt et le treizième anniversaire de l'enfant doit être fixé à 14 549 euros.
11. Il résulte de ce qui précède que le préjudice résultant pour Mme D...et M. H... de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne doit être évalué à un total de 114 557 euros, dont il y a toutefois lieu de déduire les sommes perçues au titre de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, telles qu'elles ressortent du dossier, soit 14 944 euros sur la même période. Le préjudice final s'élève donc à 99 613 euros.
En ce qui concerne les autres préjudices patrimoniaux :
12. Les frais de santé exposés par les parents deB..., qui consistent en l'achat de compresses, de sérum physiologique et de doliprane, sont justifiés à hauteur des 419,19 euros alloués en première instance. Il y a donc lieu de confirmer cette somme. En revanche, comme l'a jugé le tribunal administratif, il n'y a pas lieu d'indemniser Mme D...et M. H...au titre de leurs dépenses de santé futures, celles-ci n'étant pas davantage justifiées en appel qu'en première instance.
13. M. D...et Mme H...ne produisent aucun document justifiant que leur soit alloué une indemnité au titre de leurs frais de déplacement. L'indemnisation de ce préjudice doit donc être écartée.
14. Il résulte de l'instruction que le handicap de B...H...l'empêchera d'exercer les métiers nécessitant une bonne vision binoculaire et rendra plus fatiguant l'exercice des autres activités professionnelles. Dans ces conditions, la somme de 10 000 euros retenue au titre de l'incidence professionnelle par les premiers juges doit être confirmée.
15. Il résulte des bulletins de salaires produits par M. H...que celui-ci a dû s'absenter régulièrement de son travail en raison des soins reçus par B...entre février 2009 et mars 2013. Toutefois, pendant cette même période, ses bulletins de paie ne font état d'absence non rémunérées que pour les mois de juin 2012, octobre 2012 et janvier 2013, pour un montant total de 292,32 euros. Les autres absences constatées correspondent soit à des congés annuels soit à des congés de maladie, pour lesquels aucun préjudice n'est établi. Il y a donc lieu de ramener à 292,32 euros la perte de revenu subie par M. H...qui peut être regardée comme étant en lien direct avec le dommage de sa fille.
16. MmeD... ne produit pas davantage en appel qu'en première instance de justificatif de la perte de revenus professionnels qu'elle allègue. Par suite, sa demande à ce titre ne peut qu'être écartée.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
17. Le déficit fonctionnel temporaire de B...H...a été évalué par l'expert à 100% pendant les hospitalisations et à 50% le reste du temps. Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer l'évaluation faite par le tribunal administratif d'Orléans de ce chef de préjudice à hauteur de 7 200 euros.
18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 du présent arrêt que le déficit fonctionnel permanent de B...H...doit être fixé à 23 % à compter du 18 mars 2013. Il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en confirmant la somme de 40 000 euros allouée par les premiers juges.
19. Les souffrances endurées par B...H...ont été évaluées par l'expert à 5,5 sur une échelle allant de 1 à 7. Contrairement à ce que soutient le CHRU de Tours, ce chef de préjudice, qui inclut non seulement la souffrance physique mais aussi la souffrance morale de la victime et n'a donc pas cessé avec la fin des soins prodigués à la jeuneB..., n'a pas été excessivement évalué par les premiers juges. Il y a donc lieu d'indemniser ce chef de préjudice à hauteur de 18 000 euros, comme en première instance.
20. Dans les circonstances de l'espèce, l'important préjudice esthétique temporaire et permanent subi par B...H...en raison de la perte de son oeil gauche sera justement évalué à la somme de 20 000 euros.
21. Il y a lieu de confirmer, en l'absence de toute contestation du CHRU de Tours sur ce point, les sommes de 30 000 euros et de 10 000 euros retenues par le tribunal administratif d'Orléans au titre du préjudice d'affection respectivement subi par Mme D...et M. H...et par KayeneH....
22. Il résulte de ce qui précède que la somme que le CHRU de Tours est condamné à verser à Mme D...et à M. H...doit être ramenée à 235 524,51 euros.
Sur les droits de la CPAM de la Sarthe :
23. En l'absence de toute contestation du CHRU de Tours sur ce point, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en tant qu'il a condamné cet établissement de santé à verser à la CPAM de la Sarthe la somme de 39 354,28 euros en capital ainsi qu'une rente annuelle de 1171,10 euros jusqu'au 10ème anniversaire de B...H..., puis de 684,20 euros jusqu'à son 13ème anniversaire, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal dans les conditions indiquées par le tribunal administratif au point 38 de son jugement.
24. Il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, le CHRU de Tours n'est fondé à demander la réformation du jugement attaqué que dans la mesure énoncée au point 22 et que, d'autre part, Mme D...et M. H...ne sont pas fondé à demander la majoration des sommes qui leur ont été allouées en première instance.
Sur les frais de l'instance :
25. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de maintenir les frais d'expertise, liquidés et taxés par le président du tribunal administratif d'Orléans à la somme 1 500 euros, à la charge définitive du CHRU de Tours.
26. Le CHRU de Tours étant partiellement gagnant dans la présente instance, il n'y a pas lieu de mettre à sa charge les sommes demandées par Mme D...et M.H..., par l'ONIAM et par la CPAM de la Sarthe au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme globale de 245 899,22 euros que le tribunal administratif d'Orléans a condamné le CHRU de Tours à verser à Mme D...et à M. H...en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leurs filles B...H...et Kayene H...est ramenée à 235 524,51 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1503785 du 16 mars 2017 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions du CHRU de Tours et les conclusions présentées en appel par Mme D...et M.H..., par l'ONIAM et par la CPAM de la Sarthe sont rejetés.
Article 4 : Les frais d'expertise liquidés et taxés par le président du tribunal administratif d'Orléans à la somme 1 500 euros sont maintenus à la charge définitive du CHRU de Tours.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au CHRU de Tours, à Mme G...D..., à M. I... H..., à l'ONIAM et à la CPAM de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur
- M. Berthon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 février 2019.
Le rapporteur,
E. BerthonLe président,
I. Perrot
Le greffier,
M. K...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT01506