Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 13 novembre 2019 et 10 avril 2020 M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er juillet 2019 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet d'Ille-et-Vilaine des 20 juillet 2018 et 22 mars 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et une autorisation provisoire de séjour et de travail dans un délai de quarante-huit heures ou, à titre de subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 135 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Il soutient que :
- les décisions contestées sont entachées d'un vice d'incompétence ;
- ces décisions sont entachées d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation ;
- c'est à tort que le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité au motif que la validité des pièces d'état civil produites à l'appui de sa demande n'était pas établie ;
- il remplissait les conditions de délivrance d'un titre de séjour prévues par les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en ne saisissant pas la commission du titre de séjour, le préfet a entaché ses décisions d'un vice de procédure ;
- les décisions contestées ont été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation à ce titre.
La requête et le mémoire complémentaire ont été communiqués les 14 février et 16 avril 2020 au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen entré mineur en France en 2015, a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du département d'Ille-et-Vilaine puis placé sous tutelle départementale. Il a sollicité à sa majorité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux décisions des 20 juillet 2018 et 22 mars 2019, le préfet d'Ille-et-Vilaine a rejeté sa demande au motif qu'il ne justifiait pas de son état civil par des documents probants. M. B... relève appel du jugement du 1er juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Selon l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de ce dernier article : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par les décisions contestées, le préfet d'Ille-et-Vilaine a dénié toute force probante aux documents produits par l'intéressé à l'appui de sa demande de titre de séjour, à savoir un jugement supplétif du 28 juin 2016 du tribunal de première instance de Boké et sa transcription, le 29 juin suivant, sur le registre de l'état civil guinéen. Le préfet a en effet estimé que ces documents comportaient des anomalies au regard de la législation guinéenne et n'avaient pas été valablement légalisés par le consulat de Guinée en France.
5. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a produit devant les premiers juges un extrait d'acte de naissance (volet n° 1) du 6 janvier 2000 le déclarant né le 28 décembre 1999 à Boké / Kamsar, document légalisé le 18 août 2015 par le ministère des affaires étrangères de la République de Guinée. L'authenticité de cet acte, dont M. B... soutient sans être contredit qu'elle a été constatée en 2015 par les services spécialisés de la police aux frontières, n'est pas contestée par le préfet d'Ille-et-Vilaine.
6. D'autre part, en ce qui concerne le jugement supplétif du tribunal de première instance de Boké du 28 juin 2016 et l'acte de naissance n° 983 transcrit sur la base de ce jugement dans les registres de l'état civil guinéen, auxquels l'authenticité non contestée des premiers actes produits confère au demeurant un caractère superfétatoire, il ne résulte pas des dispositions des articles 175, 179 et 196 du code civil guinéen que les prescriptions qu'elles imposent pour l'établissement des actes d'état civil seraient également applicables à l'établissement des jugements supplétifs. Par ailleurs, le grief tiré par le préfet de l'absence de mention du nom du représentant du ministère public manque en fait. Si, en outre, ce jugement a fait l'objet d'une transcription avant l'expiration du délai d'appel prévu par les dispositions de l'article 601 du code de procédure civil guinéen, qui concerne les matières contentieuses et gracieuses, l'article 899 du même code prévoit la transcription immédiate du dispositif des jugements supplétifs d'actes de naissance sur les registres d'état civil. En tout état de cause, ni la circonstance que l'acte de naissance a été émis dans le délai d'appel prescrit par cet article ni l'absence de formule exécutoire, à supposer applicable l'article 555 du code de procédure civil guinéen, ne sont de nature à remettre en cause la sincérité des mentions portées dans les documents d'état civil présentés à l'appui de la demande de titre de séjour. La circonstance que l'extrait du registre d'état civil déclare l'intéressé né à Boké alors que le jugement supplétif mentionne une naissance à Kamsar, subdivision territoriale de Boké, ne saurait davantage suffire à écarter la force probante des documents produits par M. B..., lequel produit au demeurant devant la cour un nouveau jugement supplétif du 30 avril 2019 et un extrait du registre d'état civil du 10 mai suivant, le déclarant né à Kamsar. Enfin, ces documents ont été légalisés par le ministère des affaires étrangères de la République de Guinée et par un diplomate de l'ambassade de la République de Guinée en France lequel, contrairement à ce que soutient le préfet, était habilité à les légaliser, ainsi qu'il ressort d'une attestation fournie par cette ambassade à M. B... et dont l'authenticité n'est pas contestée. Par suite, les pièces produites par l'intéressé doivent être regardées comme établissant et confirmant avec une force probante suffisante son état civil. C'est donc irrégulièrement que, par les décisions des 20 juillet 2018 et 22 mars 2019, le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé d'instruire la demande de titre de séjour de M. B... au motif qu'il ne justifiait pas de son état civil par des documents probants.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard au motif d'annulation retenu, et après avoir vérifié qu'aucun autre moyen opérant et fondé n'était susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, le présent arrêt implique seulement qu'il soit procédé au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. B... et que soit délivré à ce dernier, dans l'attente, un récépissé de demande de carte de séjour l'autorisant à travailler en application des dispositions des articles R. 311-4 à R. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'adresser au préfet d'Ille-et-Vilaine une injonction en ce sens et de fixer à deux mois le délai imparti pour son exécution. Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser au conseil de M. B... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E
Article 1er : Le jugement ° 1804542, 1901864 du 1er juillet 2019 du tribunal administratif de Rennes ainsi que les décisions du préfet d'Ille-et-Vilaine des 20 juillet 2018 et 22 mars 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer la demande de titre de séjour présentée par M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente un récépissé de demande de carte de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre.
Article 4: Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- Mme D... premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 octobre 2020.
Le rapporteur
M. D...
Le président
I. Perrot
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19NT043782