Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 8 juillet 2019 et 21 janvier 2020 M. A... et le GAEC Le Manoir du Lait, représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 3 mai 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 22 novembre 2016 du préfet de la Manche ;
3°) d'enjoindre à l'Etat, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de procéder aux travaux préconisés par l'expert judiciaire ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ; aucun non-lieu ne peut en l'espèce être prononcé ; ils disposent d'un intérêt à agir ;
- la décision du préfet est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; la gestion défaillante de l'ouvrage, le préjudice et le lien de causalité sont établis.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 décembre 2019 le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable comme étant dépourvue d'objet ; les requérants ne présentent pas d'intérêt à agir ;
- le moyen n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de Me B..., représentant M A... et le GAEC Le Manoir du lait.
Considérant ce qui suit :
1. La société EDF était depuis 1946 concessionnaire du barrage de Vézins (Manche) et de ses ouvrages annexes au nombre desquels figure le canal d'évacuation des eaux de crue. Par un arrêté du 3 juillet 2012, le préfet de la Manche a décidé d'arrêter l'exploitation du barrage, EDF continuant à le gérer jusqu'à son démantèlement. A la demande de l'Etat, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a désigné un expert aux fins de décrire les désordres affectant le talus, l'évacuateur de crues et le canal de restitution du barrage dans le cadre du programme des travaux de son démantèlement ainsi que l'exploitation agricole contigüe à ce barrage, appartenant à M. A..., cogérant du GAEC Le Manoir du Lait. Après que l'expert a déposé son rapport le 11 avril 2016, M. A... et le GAEC ont, le 27 septembre 2016, saisi l'Etat d'une demande tendant à ce qu'il soit procédé à la réalisation des travaux en vue de mettre fin à la dégradation du talus et aux risques d'atteinte à la sécurité publique. Par une décision du 22 novembre 2016, le préfet a refusé de faire droit à cette demande. M. A... et le GAEC Le Manoir du Lait relèvent appel du jugement du 3 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de procéder à l'exécution de ces travaux.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Si le ministre fait valoir que les travaux préconisés par l'expert dans son rapport du 11 avril 2016 ont été réalisés, à la seule exception de ceux destinés à combler le fossé entre les profils 10 et 12 situés au droit de la propriété des requérants, qui ont été rendus impossibles en raison du refus de ces derniers d'ouvrir l'accès à leur propriété, cette circonstance n'est pas de nature à priver d'objet la demande à fin de réalisation de ces travaux formulée par M. A... et le GAEC Le Manoir du Lait. L'exception de non-lieu à statuer opposée par le ministre de la transition écologique et solidaire ne peut, par suite, être accueillie.
Sur la responsabilité de l'Etat :
3. Lorsqu'une administration a été saisie d'une demande tendant à ce qu'elle procède à des travaux ayant vocation à prévenir ou faire cesser des dommages de travaux publics, il appartient au juge, saisi de la contestation du refus opposé à une telle demande, après avoir vérifié l'imputabilité du dommage à ces travaux publics ou à l'ouvrage public ainsi que l'existence de la faute que commet la personne publique en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, d'apprécier si les travaux requis sont nécessaires pour prévenir tout dommage.
4. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport déposé par l'expert désigné par le tribunal administratif de Caen, que si les lâchers d'eau de fort débit et de longue durée sont à l'origine d'une imprégnation des sols limoneux et qu'une mauvaise gestion des eaux pluviales accentuée localement par les travaux censés l'améliorer contribue à l'instabilité du talus du canal de dérivation des eaux, l'exploitation agricole de M. A... et du GAEC Le Manoir du Lait n'a subi ni désordre ni préjudice. Si les requérants se prévalent à cet égard de ce qu'un bovin a, en novembre 2016, fait une chute en empruntant le chemin situé entre le bâtiment de stabulation et le talus, l'attestation des services de secours intervenus pour sauver l'animal ne permet pas de connaître les causes, circonstances et emplacement précis de cette chute. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les fissures apparues sur le mur de la fumière seraient en lien direct et certain avec le fonctionnement du barrage ou les opérations liées à son démantèlement.
5. Si les requérants font valoir que l'ouvrage fait courir des risques pour la sécurité des personnes, des biens et des animaux en raison des mouvements de terrain susceptibles de l'affecter, il est constant, ainsi qu'il a été rappelé au point 2, qu'ils n'ont pas autorisé l'accès à leur propriété lorsque qu'EDF a réalisé les travaux de confortement des berges du canal préconisés par l'expert.
6. Dans ces conditions, l'Etat, en ne donnant pas suite à la demande de réalisation de travaux formulée par les intéressés, n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre, que M. A... et le GAEC Le Manoir du Lait ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... et du GAEC Le Manoir du Lait est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A..., au GAEC Le Manoir du Lait et au ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera transmise au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 18 février 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot président de chambre,
- Mme D..., président-assesseur,
- M. Berthon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2021.
Le rapporteur
C. D...
Le président
I. Perrot
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 19NT02662