Procédure devant la cour :
I- Par une requête et des mémoires enregistrés les 17 mai 2018, 23 août 2018 et 22 août 2019 sous le n°18NT01987, le syndicat départemental d'électricité des Côtes d'Armor, représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 mars 2018 ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Rennes ainsi que les conclusions présentées par elle devant la cour par la voie de l'appel incident ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- après avoir interprété de manière erronée l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes n° 09NT02536 du 16 décembre 2011 comme reconnaissant l'existence d'une emprise illégale sur la propriété des époux B..., il a précisé à ces derniers par un courrier du 19 juin 2012 que la limite de la propriété communale n'était pas clairement établie et leur a proposé en vain de faire procéder à un bornage par un géomètre expert ;
- le réseau électrique litigieux se situe en dehors de la propriété de Mme B..., ainsi que le démontre le tracé sur plan réalisé par la société " Etudes de travaux d'Armor " à partir de points de géoréférencement et moyennant des mesures de détection opérées in situ ; les annotations manuscrites portées par Mme B... sur le plan qu'elle produit sont dépourvues de valeur probante ; Mme B... ne produit aucune autre pièce probante ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les travaux d'enfouissement avaient occasionné la destruction de la majorité des arbres et arbustes longeant la parcelle cadastrée n° 1110, ce que le constat d'huissier du 23 août 2005 n'établit pas plus que l'élargissement allégué de la voie au détriment de la propriété de Mme B... ;
- à supposer l'emprise avérée, la situation pourrait être régularisée par une expropriation ; le coût exorbitant du déplacement de la ligne (25 000 euros) constituerait une atteinte excessive à l'intérêt général ;
- le réseau enfoui étant situé en dehors de la propriété de Mme B..., aucun des préjudices allégués ne saurait donner lieu à indemnisation ;
- les préjudices matériels tenant à la perte de jouissance du droit de propriété et au manque à gagner résultant de l'impossibilité de louer la portion de terrain prétendument impactée ne sont pas établis dès lors que, d'une part, un talus n'a pas vocation à être donné à bail et, d'autre part, l'impossibilité de vendre et la dévaluation de la propriété de Mme B... ne sont pas établies ; les justificatifs de frais et honoraires se rapportent à des procédures distinctes ; la somme demandée au titre du préjudice moral est en tout état de cause disproportionnée ;
- chiffrée à 100 000 euros en première instance, la demande de Mme B... à hauteur de 175 000 euros en appel n'est pas recevable dans la mesure de cette différence.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 décembre 2018 Mme B..., représentée par Me A..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 mars 2018 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande ;
3°) à la condamnation du SDE des Côtes d'Armor à lui verser la somme de 175 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'emprise irrégulière sur sa propriété, somme assortie des intérêts aux taux légal à compter de la notification de sa réclamation préalable ;
4°) à ce qu'il soit enjoint au SDE des Côtes d'Armor de faire cesser cette emprise irrégulière dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) à ce que soit mise à la charge du SDE des Côtes d'Armor la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens invoqués par le SDE des Côtes d'Armor ne sont pas fondés ;
- la parcelle dont elle est propriétaire est délimitée et clôturée par rapport à la parcelle de ses voisins et au chemin rural qui la longe par un talus en granit haut de 0,80 mètres bordé d'une douve et surmonté d'arbres séculaires, d'une haie vive d'essences locales plantée derrière la crête du talus formant un petit muret du côté de sa parcelle ; aux termes du code des usages locaux pour les Côtes d'Armor, ce talus et cette douve constituent la limite séparative et la ligne démarcative de sa parcelle, ce code précisant d'une part que " le talus appartient exclusivement à celui vers lequel le rejet se trouve " et d'autre part que " qui a le talus a la douve " ; le talus fait donc partie de sa propriété et tant le document cadastral que ce code démontrent qu'elle est propriétaire des lieux ; le plan de récolement et le rapport produits par le SDE sont erronés dès lors qu'ils sont fondés sur la situation résultant des travaux litigieux et d'un arrêté d'alignement annulé ;
- l'emprise irrégulière sur son terrain, qui n'est grevé d'aucune servitude, et n'a pas donné lieu à la signature d'une convention d'occupation, est manifeste ; la ligne électrique a été enfouie dans la douve lui appartenant puis recouverte de terre et granits prélevés sur le talus et une tranchée a par ailleurs été creusée au-delà de la douve dans le pied du talus, élargissant le chemin rural adjacent d'une bande de plus de 2 mètres prise sur sa propriété ; cet empiètement a été entériné par l'arrêté illégal du maire de la commune de Plévenon du 2 décembre 2005 ;
- l'annulation de l'arrêté du 2 décembre 2005, devenue définitive, a fait revivre la situation résultant de l'arrêté du 26 octobre 2005, qui établit l'emprise irrégulière dès lors qu'il se réfère au plan cadastral qui distingue bien les trois voies que sont la voie communale n° 18, un chemin rural et un chemin privé ; alors que le plan cadastral distingue trois voies, à savoir la voie communale n° 18, un chemin rural et un chemin privé, la commune a renommé l'ensemble " rue croix de la mare " sans procéder ni à un reclassement ni à une enquête publique ;
- il résulte des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative que le propriétaire victime d'une emprise irrégulière peut demander au juge de prescrire la mesure permettant d'y mettre un terme ; le propriétaire peut également solliciter que l'administration remette le bien en cause dans son état initial ; la ligne électrique peut être déplacée sans qu'en résulte une atteinte excessive à l'intérêt général ; les travaux en cause n'étaient pas d'utilité publique et le SDE n'a pas apporté la preuve qu'il était dans l'impossibilité de déplacer la ligne électrique litigieuse ; les foyers raccordés à cette ligne étaient d'ores et déjà alimentés par la ligne préexistante située sur le côté droit du chemin rural ;
- elle subit l'occupation irrégulière de sa propriété depuis plus de treize ans, ainsi que les nombreuses procédures qui en ont découlé ; son époux est décédé avant qu'ils aient été rétablis dans leurs droits ;
- l'emprise irrégulière dont elle est victime lui a causé des préjudices financiers tenant à l'impossibilité de vendre son bien tant qu'il ne sera pas remis dans son état initial ainsi qu'à la perte de valeur vénale résultant de l'emprise irrégulière, d'autant que les cours de l'immobilier ont fortement chuté depuis 2005 ; elle a droit à une indemnisation de la différence entre le montant qu'elle aurait dû percevoir en cas de vente et la dévaluation de sa propriété, soit 50 000 euros ;
- elle subit un préjudice matériel d'un montant total de 100 000 euros du fait de l'emprise irrégulière dont elle est victime, qui la prive de la jouissance d'une partie de sa propriété d'une surface d'environ 100 m2 ; la valeur locative de cette partie de terrain peut être évaluée à 500 euros par mois, soit un montant annuel de 6 000 euros et un manque à gagner de 78 000 euros depuis l'année 2005 ; les dégâts occasionnés sont énormes, le talus détruit constituant un patrimoine architectural irremplaçable de même que les espèces locales et arbres anciens qui ont été détruits, de même que sa clôture ; elle a dû exposer des frais importants pour faire valoir ses droits ;
- elle-même et son époux, aujourd'hui décédé, ont subi un préjudice moral d'autant plus important qu'elle est âgée, qu'il y a lieu d'évaluer à la somme de 25 000 euros ; l'emprise irrégulière et les procédures judiciaires qui en ont résulté ont provoqué de graves troubles du sommeil et une méfiance envers l'administration.
La requête a été communiquée le 23 mai 2018 à la commune de Plévenon, qui n'a pas produit d'observations.
Le syndicat départemental d'électricité des Côtes d'Armor a produit le 24 août 2020 un dernier mémoire qui n'a pas été communiqué.
II- Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er juin 2018, 4 octobre 2018 sous le n°18NT02189 Mme B..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 mars 2018 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande ;
2°) de condamner le SDE des Côtes d'Armor à lui verser la somme de 175 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'emprise irrégulière en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'emprise irrégulière sur sa propriété, somme assortie des intérêts aux taux légal à compter de la notification de sa réclamation préalable ;
3°) d'enjoindre au SDE des Côtes d'Armor de faire cesser cette emprise irrégulière dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge du SDE des Côtes d'Armor la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle invoque les mêmes moyens que dans l'instance n°18NT01987 visée ci-dessus.
Par des mémoires en défense enregistrés les 8 août 2019 et 27 janvier 2020 le SDE des Côtes d'Armor, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée le 6 juin 2018 à la commune de Plévenon, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu : - le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., substituant Me B..., représentant le SDE des Côtes d'Armor et de Me D..., substituant Me C..., représentant la commune de Plévenon.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... est propriétaire d'une parcelle bâtie cadastrée section D n° 1110 et n° 1111, située au lieu-dit " La Petite Moinerie " à Plévenon (Côtes d'Armor). Dans le cadre de sa mission, le syndicat départemental d'énergie (SDE, devenu syndicat départemental d'électricité) des Côtes d'Armor a fait réaliser entre les mois de juin et septembre 2005, sur le territoire de la commune de Plévenon, des travaux de renforcement du réseau électrique comportant notamment l'enfouissement d'une ligne électrique basse tension dans l'accotement du chemin longeant la parcelle appartenant Mme B.... Cette dernière et son époux, aujourd'hui décédé se sont plaints auprès du SDE et de la société ALLEZ, chargée de l'exécution des travaux, de ce que, à l'occasion de ces travaux, une partie du talus séparant leur parcelle du chemin aurait été endommagée, le chemin ayant selon eux été élargi à cette occasion et empiétant désormais de deux mètres sur leur propriété. Le 26 octobre 2005, le maire de la commune de Plévenon a pris un arrêté d'alignement individuel relatif à la parcelle cadastrée section D n° 1111, constatant que la limite du domaine public avait été déterminée conformément au plan cadastral. Le maire a toutefois pris dès le 2 décembre suivant un nouvel arrêté se substituant au précédent, portant alignement individuel et fixant l'alignement de la parcelle en cause par rapport au chemin situé à l'est de cette parcelle et la séparant d'une autre parcelle, cadastrée à la même section sous le n° 462. Ce second arrêté a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Rennes n° 060377 du 31 août 2009, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes n° 09NT02536 du 16 décembre 2011, au motif que, le chemin en cause ne pouvant être regardé comme faisant partie du domaine public communal, le maire n'était pas compétent pour en constater la limite par rapport aux propriétés privées sur le fondement des dispositions de l'article L. 112-1 du code de la voirie routière, lesquelles permettent seulement de constater la limite d'une voie publique par rapport aux propriétés privées. Mme B... a adressé au SDE des Côtes d'Armor, par un courrier du 5 mars 2015, une réclamation préalable tendant à l'indemnisation, à hauteur d'une somme totale de 100 000 euros, des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de l'emprise irrégulière résultant selon elle de l'enfouissement de la ligne électrique litigieuse. Cette demande ayant fait l'objet d'une décision expresse de rejet le 21 avril 2015, Mme B... a saisi le tribunal administratif de Rennes de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au syndicat de faire cesser l'emprise irrégulière, ainsi que de conclusions indemnitaires chiffrées à 100 000 euros. Par un jugement n° 1502089 du 23 mars 2018, le tribunal administratif de Rennes a condamné le SDE des Côtes d'Armor à verser à Mme B... la somme de 2 500 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2005 et a rejeté le surplus de ses conclusions.
2. Dans l'instance enregistrée sous le n° 18NT01987, le SDE des Côtes d'Armor relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident dans l'instance n° 18NT01987 et de l'appel principal dans l'instance n° 18NT02189 Mme B... demande à la cour de réformer ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande, de condamner le SDE des Côtes d'Armor à lui verser la somme totale de 175 000 euros et d'enjoindre au SDE de faire cesser l'emprise irrégulière. Il y a lieu de joindre les deux instances.
Sur l'existence d'une emprise irrégulière :
3. Si Mme B... soutient qu'elle subit une emprise irrégulière de l'ouvrage public constitué par la ligne électrique installée en 2005 sur le terrain dont elle est propriétaire, il résulte toutefois de l'instruction, en particulier du plan de récolement et du rapport de détection de réseau réalisé à la demande du SDE par une entreprise certifiée, que le tracé de la ligne électrique telle qu'elle a été effectivement mise en place n'empiète pas sur la parcelle dont Mme B... est propriétaire. Cette dernière ne saurait à cet égard utilement faire valoir que le SDE a admis par un courrier du 29 mars 2012 la réalité de l'emprise irrégulière alléguée, alors qu'il s'était simplement mépris sur la portée de l'arrêt de la cour du 16 décembre 2011 mentionné au point 1 et s'est rétracté par un courrier du 19 juin suivant. En se bornant à produire des plans cadastraux annotés de sa main et un constat d'huissier qui prend notamment acte de l'absence de bornage de la propriété, Mme B... n'établit pour sa part ni que le talus sous lequel a été enfouie la ligne lui appartiendrait en tout ou partie, ni que les limites de son terrain auraient été modifiées par un élargissement arbitraire du chemin rural qui le borde. Dans ces conditions, et alors au surplus que Mme B... n'a pas donné suite à la proposition du SDE de faire procéder au bornage de son terrain afin d'en délimiter précisément l'assiette, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'enfouissement de la ligne électrique litigieuse constituait une emprise irrégulière sur la propriété de celle-ci, et ont pour ce motif condamné le syndicat à indemniser l'intéressée des préjudices qu'elle estime avoir subis.
4. Il résulte de ce qui précède que le SDE des Côtes d'Armor est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamné à indemniser Mme B... des préjudices qu'elle estimait avoir subis. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme B... par la voie de l'appel principal dans l'instance n° 18NT02189 et par la voie de l'appel incident dans l'instance n° 18NT01987 doivent être rejetées, ainsi que, en tout état de cause, ses conclusions à fin d'indemnisation.
Sur les frais de l'instance :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le SDE des Côtes d'Armor, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, verse à Mme B... la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme B... le versement au SDE des Côtes d'Armor de la somme globale de 800 euros au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes n° 1502089 du 23 mars 2018 est annulé.
Article 2 : La requête de Mme B... et ses conclusions d'appel incident sont rejetées.
Article 3 : Mme B... versera au SDE des Côtes d'Armor la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat départemental d'électricité des Côtes d'Armor, à Mme E... B... et à la commune de Plévenon.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2020 à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. Berthon, premier conseiller,
- Mme G..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 octobre 2020.
Le rapporteur
M. G...Le président
C. BrissonLe greffier
A. B...
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 18NT01987, 18NT021892
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