Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 août 2014, 3 et 20 mars 2015, 15 et 28 avril 2015, l'Etablissement français du sang, représenté par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 mai 2014 en tant qu'il l'a condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan la somme de 2 882,53 euros ou, à titre subsidiaire de transmettre l'entier dossier au Conseil d'Etat pour avis et de surseoir à statuer dans l'attente de sa décision ;
2°) de rejeter la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan ;
3°) de mettre à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a opposé l'irrecevabilité de la prescription quadriennale soulevée sans l'inviter à régulariser ses conclusions ;
- le tribunal devait tirer les conséquences sur la créance de la caisse primaire d'assurance maladie de la prescription quadriennale soulevée par l'ONIAM ; l'organisme social, en sa qualité de subrogé dans les droits de son assuré social, ne dispose pas de davantage de droits que ce dernier ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la prescription quadriennale a également été régulièrement soulevée dans le mémoire enregistré le 22 mars 2014 devant le tribunal administratif sans que la signature de l'ordonnateur ne soit nécessaire ;
- il n'est pas établi que l'établissement dispose d'une couverture assurantielle pour les années 1978, 1979, 1983 et 1985, durant lesquelles M. B...aurait subi des transfusions sanguines au centre régional de transfusion sanguine de Lille ; ce centre de transfusion sanguine paraît avoir été assuré auprès de la compagnie Axa Iard par la police d'assurance n° 8469946 entre 1978 et 1988, cependant la validité de ce contrat, ou l'épuisement éventuel des garanties ou l'atteinte du plafond de garantie n'ont pu être vérifiés en l'absence de réponse de la compagnie ; dès lors, le recours subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie ne peut être accueilli sans méconnaître les dispositions de l'article 72 de la loi du 31 décembre 2012 de financement pour la sécurité sociale pour 2013 ;
- il peut être opportun de diligenter une enquête dans les conditions énoncées à l'article R. 623-1 du code de justice administrative pour vérifier l'effectivité de la couverture assurantielle ; à défaut d'une telle mesure, il convient de considérer que cette couverture fait défaut ;
- la caisse primaire d'assurance maladie, qui agit dans le cadre d'un recours subrogatoire, doit établir l'existence d'une faute ; or en l'espèce aucune faute ne peut être reprochée à l'établissement dès lors qu'aux dates auxquelles M. B...a reçu des transfusions sanguines, de 1978 à 1988, le virus de l'hépatite C ne pouvait pas être décelé ;
- la dispense de la condition de faute prévue à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique ne concerne que le recours subrogatoire de l'ONIAM et n'est pas prévue en ce qui concerne le recours des tiers payeurs ;
- à titre subsidiaire, il conviendrait de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis relative à la possibilité pour les tiers payeurs d'exercer une action subrogatoire à l'encontre de l'établissement, en application des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, indépendamment de toute faute de l'établissement ; cette demande se justifie compte tenu des divergences jurisprudentielles.
Par des mémoires en défense enregistrés les 19 janvier et 31 mars 2015, la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, représentée par MeM..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etablissement français du sang la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'Etablissement français du sang ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 22 mai 2015, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeH..., s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne le mérite de l'appel de l'Etablissement français du sang.
Par un mémoire enregistré le 3 décembre 2015, M. F...B...et Mme J...B..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants de leurs enfants mineurs D...et A...B..., ainsi que Mme L...B..., M. K...B...et M. G...B..., représentés par Me I..., demandent à la cour :
1°) de condamner l'ONIAM à les indemniser des préjudices subis du fait de la contamination de M. F...B...par le virus de l'hépatite C, et de désigner un expert aux fins de fixer la date de consolidation de son état de santé et d'évaluer les différents postes de préjudice ;
2°) de condamner l'ONIAM aux entiers dépens et de mettre à sa charge le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur appel incident est recevable sans condition de délai ;
- l'action contre l'ONIAM n'est pas prescrite ; quel que soit le délai applicable, il n'a pu courir en l'espèce en l'absence d'appréciation médico-légale de l'état de santé de M. F...B... ;
- la contamination par le virus de l'hépatite C étant imputable aux transfusions sanguines reçues, l'ONIAM est tenu de réparer les préjudices subis ; il y a lieu de désigner un expert aux fins de fixer la date de consolidation de son état de santé et d'évaluer les différents postes de préjudice.
Par un mémoire enregistré le 2 janvier 2016, l'ONIAM conclut au rejet des conclusions des consortsB....
Il fait valoir que :
- à titre principal les conclusions des consorts B...sont irrecevables car elles concernent un litige distinct de l'appel principal formé par l'Etablissement français du Sang à l'encontre des articles 2 et 3 du jugement attaqué le condamnant à régler la créance de la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan ;
- à titre subsidiaire, l'action des consorts B...est prescrite ainsi que l'a jugé le tribunal administratif.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Specht,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de Me C...substituant MeM..., représentant la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan.
1. Considérant que M. F...B..., né en 1963, est atteint d'une hémophilie B sévère, qui a nécessité depuis son enfance un traitement par injection de produits sanguins ; qu'il a découvert en 2002 qu'il était contaminé par le virus de l'hépatite C ; qu'estimant que cette contamination était due aux transfusions de produits sanguins reçus, M. B...et son épouse ont formé le 10 août 2010 auprès de l'ONIAM une demande d'indemnisation de leurs préjudices ainsi que de ceux de leurs enfants ; que, par une décision du 4 avril 2011, l'ONIAM a rejeté ces demandes au motif qu'elles étaient atteintes par la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 ; que M. B...ainsi que son épouse ont saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à les indemniser des préjudices subis du fait de la contamination litigieuse, après la désignation d'un expert aux fins d'évaluer ces préjudices ; que la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, appelée à la cause, a présenté une demande tendant à la condamnation de l'Etablissement français du sang à l'indemniser des débours exposés pour le compte de son assuré social M.B... ; que l'Etablissement français du sang relève appel du jugement du 28 mai 2014 en tant que par ce jugement le tribunal administratif de Rennes a écarté l'exception de prescription opposée par le conseil de l'Etablissement français du sang et l'a condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan la somme de 2 882,53 euros ;
Sur la requête de l'Etablissement français du sang :
2. Considérant qu'aux termes du 1er alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis " ; qu'en vertu de l'article 6 de la même loi, si les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de cette loi, les créanciers des personnes publiques entrant dans son champ peuvent toutefois " être relevés en tout ou en partie de la prescription, à raison de circonstances particulières et notamment de la situation du créancier " ; qu'aux termes du 1er alinéa de l'article 7 de la même loi : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond " ; qu'enfin, aux termes de l'article 8 de la même loi : " La juridiction compétente pour connaître de la demande à laquelle la prescription est opposée, en vertu de la présente loi, est compétente pour statuer sur l'exception de prescription " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'administration ne peut renoncer à opposer la prescription, sauf à en relever le créancier selon la procédure ou pour les motifs qu'elles prévoient ; que ces dispositions ne déterminent pas l'autorité ayant qualité pour l'opposer ni ne régissent les formes dans lesquelles cette autorité peut l'invoquer devant la juridiction du premier degré ; que ni ces dispositions, ni aucun élément tenant à la nature de la prescription ne font obstacle à ce que celle-ci soit opposée par une personne ayant reçu de l'autorité compétente une délégation ou un mandat à cette fin ; que l'avocat de l'Etablissement français du sang, à qui l'établissement avait donné mandat pour le représenter en justice et qui, à ce titre, était habilité à opposer pour la défense des intérêts de ce dernier toute fin de non-recevoir et toute exception, doit être regardé comme ayant été également mandaté pour opposer l'exception de prescription aux conclusions de caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan tendant à la condamnation de cet établissement à l'indemniser ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a jugé que l'exception de prescription quadriennale n'avait pas été valablement opposée, au motif qu'elle l'avait été sous la seule signature de l'avocat de l'Etablissement français du sang ;
4. Considérant que, s'agissant d'une créance indemnitaire détenue sur une collectivité publique au titre d'un dommage corporel engageant sa responsabilité, le point de départ du délai de prescription prévu par les dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées ; qu'il en est ainsi pour tous les postes de préjudice, aussi bien temporaires que permanents, qu'ils soient demeurés à la charge de la victime ou aient été réparés par un tiers, tel qu'un organisme de sécurité sociale, qui se trouve subrogé dans les droits de la victime ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté par les parties en appel que l'état de santé de M.B..., qui avait subi un traitement par bithérapie administré à compter de juillet 2002 jusqu'à la fin de l'année 2002, peut être regardé comme consolidé à compter du mois de février 2004, date à laquelle le professeur Guyader, médecin du CHU de Rennes, a estimé que l'absence de charge virale un an après le traitement permettait d'affirmer la guérison du patient ; que, par suite, le délai de prescription a commencé à courir le 1er janvier 2005 et a expiré le 31 décembre 2008 ; que la prescription de la créance de la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan était acquise lorsque cet organisme est intervenu, le 5 avril 2012, dans la procédure de première instance ; que c'est, par suite, à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a fait droit aux conclusions présentées devant lui par la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan en condamnant l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 2 882,53 euros, alors que la créance invoquée par cette caisse était prescrite ;
Sur les conclusions présentées par les consorts B...dirigées contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales :
6. Considérant que les conclusions présentées par les consorts B...et tendant à ce que l'ONIAM soit condamné à les indemniser des préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C de M. F...B...relèvent d'un autre litige que celui qui a seul été soumis à la cour par l'Etablissement français du sang et qui ne concernait que la condamnation de cet établissement à rembourser les débours exposés par la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan ; que ces conclusions ont, par suite, le caractère d'un appel principal ; que, n'ayant été enregistrées que le 3 décembre 2015, après l'expiration du délai d'appel, elles sont tardives et, par suite, irrecevables ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Etablissement français du sang est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etablissement français du sang, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan le versement à l'Etablissement français du sang, de la somme de 1 500 euros au même titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1102301 du 28 mai 2014 du tribunal administratif de Rennes est annulé en tant qu'il a condamné l'Etablissement français du sang à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan la somme de 2 882,53 euros.
Article 2 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan devant le tribunal administratif de Rennes et celles présentées par elle devant la cour, ainsi que les conclusions présentées devant la cour par les consortsB..., sont rejetées.
Article 3 : La caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan versera à l'Etablissement français du sang la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etablissement français du sang, à la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, à l'ONIAM, à M. F...B...et Mme J...B..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants de leurs enfants mineurs D...etA... B..., et à Mme L...B..., M. K...B...et M. G...B....
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Specht, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 18 février 2016.
Le rapporteur,
F. SpechtLe président,
I. Perrot
Le greffier,
A. Maugendre
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14NT02143