Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 février et 3 décembre 2021, Mme B... A... et M. C... A..., représentés par Me Soublin, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 11 décembre 2020 ;
2°) avant dire droit d'ordonner une expertise médicale ;
3°) de condamner le CHU de Caen ou l'ONIAM à leur verser, la somme de 95 000 euros en réparation des préjudices subis, majorée des intérêts de droit capitalisés ;
4°) de mettre à la charge du CHU de Caen ou de l'ONIAM la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- les opérations d'expertise ont méconnu le principe du contradictoire eu égard aux liens existant entre l'expert et le sachant ; l'expert n'a pas renseigné le tribunal sur les questions qui lui étaient posées ;
- le CHU a commis une faute dans l'organisation du service en donnant du lait maternisé à l'enfant prématuré en méconnaissance du choix des parents et lui faisant ainsi perdre une chance de se soustraire au risque lié à une alimentation non humaine ;
- une infection nosocomiale est à l'origine du décès de l'enfant ;
- le CHU devra réparer les préjudices qu'ils ont subi : frais d'obsèques, souffrances du nourrisson, préjudice moral des parents.
Par un mémoire enregistré le 8 avril 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM), représenté par Me Welsch, conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 30 septembre 2021, le CHU de Caen, représenté par
Me Le Prado, conclut au rejet de la requête présentée par M et Mme A....
Il soutient que :
- les conclusions tendant à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée sont irrecevables faute d'avoir été présentées devant le premier juge ;
- aucun moyen n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brisson,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Soublin, représentant M. et Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a accouché, le 23 novembre 2014 au CHU de Caen, de Noham, né grand prématuré et qui est décédé le 24 janvier 2015. M. et Mme A..., ont présenté des réclamations préalables au CHU de Caen et à l'ONIAM qui les ont rejetées. Par un jugement du 11 décembre 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande. M. et Mme A... relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L 5 code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. (...) " et aux termes du 2ème al de l'article R. 621-7 du même code, " Les observations faites par les parties dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport de l'expert. ".
3. Est entaché d'irrégularité le jugement, statuant sur le fond du litige, qui a été adopté sur le fondement d'une expertise irrégulière car dépourvue de caractère contradictoire. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige.
4. Par une ordonnance du 11 mai 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a ordonné une expertise médicale et désigné un expert à cet effet. En l'espèce, s'il est établi que l'expert a déposé un pré-rapport auquel les parties ont pu répliquer par la production de dires, il est constant que cet expert s'est entretenu, hors la présence des parties, avec le professeur praticien hospitalier responsable du service de néonatalogie, dans lequel le nourrisson était hospitalisé, en qualité de sachant. Dans ces conditions, et alors que, contrairement à ce que soutient le CHU de Caen, le moyen tiré par les requérants de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure est recevable, même s'il n'a été invoqué pour la première fois que devant la cour, les requérants sont fondés à soutenir que l'expertise, qui repose en grande partie sur la teneur des propos échangés seulement entre l'expert et ce praticien alors que compte tenu des fonctions occupées par ce dernier, son avis a été déterminant, présente un caractère irrégulier. Ce défaut a été de nature à exercer une influence sur le sens de l'avis émis par l'expert et par suite du jugement rendu dans ces conditions.
5. Il s'ensuit que le jugement du 11 décembre 2020 est entaché d'irrégularité et doit, pour ce motif, être annulé.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme A....
Sur les conclusions à fin de nouvelle expertise :
7. Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - (...) les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. "
8. M. et Mme A... soutiennent à titre principal que le CHU de Caen a commis diverses fautes à l'origine du décès de leur enfant et à titre subsidiaire, qu'une infection nosocomiale doit être constatée. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, il y a lieu pour la cour d'ordonner avant dire droit une expertise médicale aux fins précisées ci-après.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1802211 du 11 décembre 2020 du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la demande présentée par M. et Mme A..., procédé à une expertise médicale.
Article 3 : L'expert a pour mission de :
1°) se faire remettre l'intégralité du dossier médical du petit Noham A... et tous documents utiles à l'exercice de sa mission ;
2°) entendre les différentes parties et tout sachant dont l'avis pourrait être utile à l'accomplissement de sa mission ;
3°) décrire l'histoire médicale de Noham A... et recueillir les doléances de ses parents ;
4°) déterminer si les actes et soins effectués lors de sa prise en charge au CHU ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale ; dans la négative, analyser de façon précise et motivée la nature des erreurs, imprudences, manques de précaution, négligences, maladresses ou autres défaillances qui peuvent être relevées ; indiquer si les obligations en matière d'information des parents ont été remplies ; dire si, et dans quelle mesure, les manquements relevés sont la cause d'une perte de chance de survie, en chiffrant cette perte de chance en pourcentage ;
5°) préciser si l'état et le décès de Noham sont la conséquence d'une faute de service du CHU ou s'il s'agit d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale ; dans ce dernier cas, vérifier le respect des protocoles applicables ; en cas de pluralité de causes, chiffrer en pourcentage la part revenant à chacune ;
6°) déterminer et évaluer sur une échelle de sept degrés les préjudices subis par Noham ; déterminer ceux qui sont strictement imputables au CHU, en les distinguant des conséquences normalement prévisibles de l'état de santé de Noham, à l'exclusion de tout état antérieur et de toute cause étrangère ; fixer le montant des débours et frais médicaux, y compris futurs, en relation directe et exclusive avec les éventuels manquements du centre hospitalier ;
7°) de manière générale, donner à la cour toutes les informations ou appréciations utiles, de nature à lui permettre de déterminer en l'espèce les responsabilités encourues et les préjudices subis.
Article 4 : L'expert, qui pourra, selon les modalités requises par l'article R. 621-2 du code de justice administrative, s'adjoindre des sapiteurs, accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 5 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 6 : L'expert avertira les parties par lettre recommandée avec accusé de réception quatre jours au moins avant les opérations d'expertise.
Article 7 : L'expert, qui communiquera aux parties un pré-rapport avec un délai leur permettant de faire valoir leurs dires avant d'analyser leurs observations dans son rapport définitif, déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai de six mois à compter de la notification de la présente ordonnance et notifiera aux parties des copies du rapport dans les conditions prévues à l'article R. 621-9 du code de justice administrative.
Article 8 : Tous droits et moyens sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à M. C... A..., au centre hospitalier universitaire de Caen, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.
Copie en sera adressée pour information au Docteur D....
Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. L'hirondel, premier conseiller ;
- M. Frank, premier conseiller
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Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2022.
Le conseiller le plus ancien,
M. E...
La présidente-rapporteure
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°21NT00365 2